Vers un dispositif européen ? - L'Infirmière Magazine n° 291 du 15/12/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 291 du 15/12/2011

 

À L’ÉTRANGER

DOSSIER

L’Allemagne et l’Espagne ont elles aussi initié un système de DMP. Et des discussions sont engagées pour la création d’un dossier médical du patient trans-européen.

Le système national de santé espagnol est très décentralisé. Il est géré par les dix-sept communautés autonomes, qui ont obtenu le transfert des compétences pour administrer leur propre service de santé. Ce système public, gratuit et ouvert à tous les citoyens, est très largement informatisé. Chaque personne dispose d’une carte sanitaire, propre à chacune des régions. Équivalent de notre carte Vitale, elle contient les données d’identification administratives de chacun des patients.

Contrairement à la situation française, la constitution d’un dossier médical accessible aux différents acteurs de la santé est automatique. La problématique espagnole actuelle est d’homogénéiser ces informations afin de permettre aux professionnels de santé d’avoir accès aux données des patients qui, pour une raison quelconque, doivent être soignés en dehors de leur communauté territoriale d’origine (près de 4,6 millions de patients à l’année). En Allemagne, devaient coexister, dès novembre, le dossier médical personnalisé (électronique), disponible depuis le début des années 2000, et la carte médicale électronique, dont la généralisation est programmée d’ici à un an. Cette carte contient des données administratives et médicales du patient. Seuls les professionnels de santé gèrent les données et ont accès à ce support. La création de cette carte a relancé le débat autour du dossier médical personnel, qui ne contient, lui, que des informations introduites et gérées par le patient : imageries, comptes-rendus d’opération, examens biologiques… Comme dans le DMP français, l’usager peut également y masquer tout ou partie des informations et documents. Et pour accéder au dossier, les professionnels de santé doivent obtenir l’autorisation du patient. De fait, une grande partie des médecins allemands se montrent réservés sur ce dispositif, estimant qu’ils ne peuvent contrôler la fiabilité des informations données par le patient. Cependant, la fédération des médecins KBV, qui regroupe les dix-sept associations de médecins conventionnés, s’est exprimée en faveur du dossier médical personnalisé « à condition que les données gérées par le patient soient fiables, car c’est une garantie importante pour assurer une prise en charge de qualité », a indiqué la Fédération.

Un véritable suivi médical

Avec ses 8,2 millions d’habitants, l’Andalousie est la plus peuplée des communautés autonomes espagnoles. Elle s’est engagée dès 1999 dans une stratégie innovante de gestion des données sanitaires de ses citoyens. Déployée progressivement des 1 500 dispensaires aux 44 centres hospitaliers que compte la région, cette plateforme permet aux professionnels de santé d’avoir accès aux dossiers médicaux de leurs patients. Des informations basiques aux traitements suivis par le patient, en passant par les résultats d’analyses ou l’imagerie médicale, toutes les données sont progressivement intégrées au système. Pour Jesus Huerta, secrétaire général du système de santé andalou (SAS), ce dispositif de partage de données permet une meilleure qualité de service en offrant aux soignants la possibilité d’un véritable suivi du malade. Il évite les doublons concernant les examens et permet, par exemple, aux services d’urgences de gagner un temps précieux. Il est aussi la clé d’une véritable coopération entre la ville et l’hôpital. Dotée d’importants verrouillages, l’accessibilité aux dossiers est régie par des normes de sécurité très strictes. La mise en place de ce système a été soumise et approuvée par les associations andalouses d’usagers dans le cadre d’un forum de travail. Et, d’ici à la fin de l’année, les citoyens andalous disposant d’un certificat électronique pourront télécharger leur dossier médical. Un pas de plus dans le processus de transparence et d’autonomie du patient.

Côté allemand, la carte de santé électronique est loin de faire l’unanimité chez les usagers. La mobilisation contre ce dispositif a d’ailleurs retardé sa mise sur pied, initialement prévue au milieu des années… 1990. Et son déploiement « forcé » a relancé le relatif engouement des Allemands pour le dossier médical personnel, considéré comme une sorte de contre-pouvoir médical puisqu’ils peuvent garder la main sur son contenu et son accès. « La possibilité de scanner soi-même ses documents, carnet de vaccination, analyses et examens, est un vrai plus, se réjouit un utilisateur. En outre, c’est rassurant de savoir qu’on peut y avoir accès partout et à tout moment. » Surfant sur cette vague, des caisses de maladie privées proposent depuis quelques années des logiciels gratuits à leurs adhérents afin qu’ils ouvrent leur dossier personnel. Comme en France, ce support est perçu comme un outil favorisant une meilleure coordination du parcours de soins, une amélioration de la prise en charge et de la prévention. Mais également comme un dispositif susceptible de générer des économies en évitant la multiplication inutile d’examens. Le dossier souffre cependant d’un manque de visibilité et demeure peu connu du public et des professionnels de santé. La sécurisation des données reste l’un de ses points faibles.

Bénéfices sanitaires et sociaux

Assurément, l’Espagne a quelques longueurs d’avance sur l’Allemagne et sur la France. En Andalousie toujours, la communauté a déployé « un système d’attention sanitaire » au citoyen baptisé « Salud Responde », que l’on peut traduire par « Santé à votre écoute ». Très complet, ce service public permet aux citoyens d’entrer en contact par téléphone ou par Internet avec leur service de santé. De la simple prise de rendez-vous aux conseils de prévention (vingt services au total), Salud Responde ne gère pas moins de 17 millions de contacts par an. Aujourd’hui, 95 % des rendez-vous sont pris via ce système. « Ce service permet de désengorger les dispensaires, mais également de diminuer le nombre de consultations, explique son directeur, José María González Conejo. Nous disposons aussi d’un système de suivi des ordonnances qui permet au patient de renouveler son traitement en appelant directement une infirmière, qui, en consultant son dossier, peut, via sa carte sanitaire, reconduire l’ordonnance. »

Infirmier, Enrique Terol travaille pour la cellule « stratégie de soins en Andalousie » du SAS. Pour lui, « l’intégration des nouvelles technologies dans le suivi du patient a permis de gagner en qualité de service et en sécurité. La meilleure collaboration entre les personnels soignants (suivi ville-hôpital), l’autonomie accrue du personnel infirmier (prescriptions, suivi personnalisé des patients, prévention), la possibilité d’accéder aux examens du patient via son dossier médical sont autant d’éléments qui offrent une véritable continuité des soins et un rapprochement avec le patient. Quant à la charge administrative, si elle n’a pas augmenté, elle n’a pas pour autant diminué… » Une étude européenne a calculé que chaque euro investi dans ce projet avait rapporté 1,7 euro en bénéfices sanitaires et sociaux pour la population, indique le directeur de Salud Responde. Via l’Agence nationale des systèmes d’information partagés de santé (Asip Santé), la France participe au projet européen Smart Open Services for European Patients (epSOS). L’objectif de ce programme est de définir des référentiels d’interopérabilité dans le domaine de la e-santé qui permettront aux professionnels de santé d’accéder de manière sécurisée, d’un pays à l’autre, aux informations de santé des patients qui auront donné leur consentement. Bref, la e-santé devient une réalité… partagée.

BIBLIOGRAPHIE

Rapport de la mission de relance du DMP

Sous la direction de Michel Gagneux, président de l’Agence des systèmes d’information partagés de santé (Asip Santé).

Téléchargeable sur le site http://esante.gouv.fr

Le « dossier médical personnel » et l’informatisation des données de santé

Avis n° 104 du Conseil consultatif national d’éthique.

Téléchargeable sur le site www.ccne-ethique.fr

« Le DMP en questions »

Brochure éditée par le Collectif interassociatif sur la santé.

L’objectif de ce support est de mettre en avant les garanties que présente cet outil.

Téléchargeable sur le site www.leciss.org