Se bouger contre la maladie - L'Infirmière Magazine n° 291 du 15/12/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 291 du 15/12/2011

 

CHU DE RENNES

SUR LE TERRAIN

INITIATIVE

Trois fois par semaine, des femmes atteintes d’un cancer du sein se retrouvent pour suivre des séances de gym douce et effectuer une marche dans les environs de Rennes.

La pluie fine qui tombe sur Rennes ce matin-là n’a pas eu raison de la motivation du groupe de marcheuses. La température est clémente, soit, mais l’air est humide et la luminosité plutôt grise. Un gris à rester bien au chaud chez soi. Mais, pour ces douze femmes, touchées par un cancer du sein, en convalescence pour certaines, en plein traitement pour d’autres, mais toutes en arrêt maladie, ce rendez-vous hebdomadaire est bien plus qu’une simple marche. « C’est bon pour tout : le moral, le physique… », lance Caroline. Le point de rencontre de cette séance, organisée dans le cadre du cycle d’activités physiques coordonné par le service de médecine du sport du CHU de Rennes, a été fixé dans les proches environs de la ville, sur les bords de l’étang d’Apigné. Le lieu change régulièrement. En revanche, le programme est toujours le même : une heure trente de marche. Chacune avance à son rythme. Des petits groupes se forment et s’étirent sur plusieurs centaines de mètres. Marcel, le bénévole de la Ligue contre le cancer, qui finance la plus grande partie de ce dispositif pour deux ans, fait ce qu’il appelle « l’élastique » entre les binômes pour s’assurer que tout va bien. Celles qui viennent de commencer le cycle sont plutôt en arrière. Leur capacité physique est diminuée par les traitements. Leur souffle est encore un peu court. « C’est seulement la deuxième fois que je viens », fait remarquer une participante. « Les autres font les malignes…, mais, au début, elles ne marchaient pas à cette vitesse ! », taquine Perrine Dauly, l’éducatrice sportive qui encadre la sortie et, en général, les ateliers collectifs. Les « autres », ce sont les « anciennes ». Elles ont débuté cette activité voilà plusieurs mois, et ont une foulée plus rapide. L’une d’entre elles a adopté des bâtons de marche nordique, sur les conseils de Perrine Dauly. « J’avais de gros problèmes aux bras à cause d’œdèmes lymphatiques, mais c’est nettement mieux maintenant, car les bâtons favorisent la circulation », observe cette marcheuse régulière.

Contrer la fatigue

En cette matinée de novembre, le rythme général est plutôt soutenu. Mais la prouesse sportive n’est pas ici la finalité. Marcher, simplement, est une première source de satisfaction. Avant d’être orientées, par leur oncologue, radiothérapeute, chirurgien ou encore nutritionniste, vers ce programme ouvert aux patientes du Centre de lutte contre le cancer Eugène-Marquis, du CHU et de la clinique de la Sagesse, ces femmes étaient loin de s’imaginer capables de contrer ainsi la fatigue qui les envahit. « Selon les études, entre 75 et 99 % des malades parlent d’asthénie, qui est liée à la pathologie, au traitement et aux difficultés psychologiques, relève le Dr Claudia Lefeuvre, oncologue au Centre Eugène-Marquis et responsable du département des soins de support. Nous nous rendons compte que le moindre effort coûte énormément quand on subit un traitement lourd. Mais, avec le cadre sécurisant qu’offrent à ces patientes la prise en charge par la médecine du sport et l’effet groupe, qui crée une véritable émulation, nous voyons bien que le maintien ou la reprise d’une activité physique adaptée à l’état de santé sont importants, avec un retentissement sur le sentiment de bien-être, sur la qualité de vie, sur l’autonomie, voire sur la survie (voir encadré p. 24)… »

Dès 2008, un programme de réentraînement à l’effort est proposé par le service de médecine du sport aux personnes atteintes d’une maladie chronique (HIV, cancer, obésité…). Le partenariat noué par la suite avec le Centre Eugène-Marquis permet alors un développement du dispositif, avec le démarrage, en mars dernier, d’un cycle d’ateliers collectifs autour d’une séance de marche hebdomadaire et de deux séances de gym douce par semaine. « En raison de notre expérience positive des ateliers “hormonothérapie et alimentation” chez les femmes suivies pour un cancer du sein, nous avons pu constater l’effet bénéfique du groupe, souligne le Dr Claudia Lefeuvre. Les ateliers permettent de rompre l’isolement, de rencontrer des patients qui partagent les mêmes difficultés. Cela favorise la reprise d’une vie sociale et le bien-être, et, plus directement, cela facilite l’accès à une activité physique, alors que les freins sont multiples : aucune activité antérieure, isolement, méconnaissance des recommandations, éloignement géographique… »

Ateliers collectifs

Au suivi personnalisé hebdomadaire, effectué auprès de certaines patientes par téléphone et par mail, pour réévaluer si besoin le programme d’activités imaginées par le médecin du sport et selon les désirs du patient, s’ajoute donc l’atelier collectif. Un atelier qui servira alors de « tremplin », selon le Dr Vincent Daniel, le médecin du sport. Un tremplin vers une plus grande autonomie et, pour certaines, la poursuite d’une activité dans un club ordinaire. « Pour les patientes qui ont une raideur musculaire ou un bras qui manque d’amplitude par exemple, et qui n’ont pas assez confiance en elles, l’atelier de gym douce est tout indiqué, poursuit ce dernier. Les groupes restent réduits, avec un maximum de douze participantes. L’éducatrice sportive peut vraiment adapter l’intensité et le rythme de répétition du geste pour chaque exercice. »

Cette attention particulière se manifeste tout au long de ce cycle d’activités adaptées. Lors de la consultation infirmière tout d’abord. Régine Denoual, infirmière en médecine du sport, a beau accomplir des examens techniques (pesée, taille, ECG, spirométrie, éventuellement test d’effort), elle n’en est pas moins concentrée sur la personne. « Nous pouvons prendre le temps d’écouter et de parler avec ces patientes, remarque-t-elle. Elles ont souvent un grand besoin d’évacuer. Parfois, nous devons freiner un peu… » Se succèdent ensuite la visite médicale et le rendez-vous avec une éducatrice. « Nous observons qu’il peut y avoir une réticence au tout début, d’autant qu’une minorité d’entre elles pratiquaient une activité physique avant de tomber malades, explique ainsi Perrine Dauly. Par exemple, certaines personnes ne veulent pas s’inscrire à la marche car elles pensent que les sorties sont trop longues. Mais cette appréhension se lève après quelques séances… Être encadrées les met en confiance. »

De la persévérance

Pour Rosine, la réticence s’est manifestée la veille de la première séance de gym. « Je n’ai pas dormi cette nuit-là, se souvient-elle. J’avais peur de me retrouver au milieu de personnes comme moi… » C’était il y a quatre mois. Aujourd’hui, Rosine est une des plus assidues aux séances de gym et de marche. Même crainte du début et même persévérance pour cette autre femme, qui souhaite rester anonyme : « En général, je sens bien les gens. Donc, si telle participante est négative ou si elle me charge trop de ses problèmes, je sais me protéger et me tenir à distance. On a déjà parfois du mal à trouver sa propre énergie. » Fabienne, elle, vit ces séances comme des occasions de se ressourcer. « Ensemble, nous nous motivons, et, pour ma part, même si je dois faire 80 km aller-retour pour venir à la gym, je ne manque aucun cours. Pendant que je suis avec mes “semblables”, ces personnes qui me comprennent, je ne pense pas à la maison ni à tous les soucis qui vont avec le quotidien d’une mère de famille nombreuse. C’est mon moment à moi ! » Caroline, engagée dans le programme depuis avril, vient « pour se changer les idées ». Les petits groupes se forment par affinités. On s’est souvent rencontré auparavant, dans des circonstances moins légères. « J’ai fait la connaissance d’une femme plus jeune que moi pendant ma chimio, raconte encore Fabienne. Nous avons eu toutes les deux notre cancer après une grossesse et une période d’allaitement. Nos enfants ont deux mois d’écart. Nous avons suivi ensemble l’atelier esthétique et celui de gym douce, et elle a repris son travail. Mais j’ai remarqué que beaucoup de participantes ne veulent pas se lier. Une fois la maladie terminée, elles préfèrent oublier… »

Sourires et pause-café

Il n’en reste pas moins que l’ambiance est plutôt décontractée. Souvent, on échange des petits trucs. Des recettes et des astuces pour ne pas avoir de courbatures, comme lors de cette séance de gym, organisée dans une petite salle de la Maison associative de la santé de Rennes. Perrine Dauly est aux petits soins pour chacune des cinq femmes présentes ce matin-là. Les gestes sont tout doux, avec un ballon. « Ça va ? Ça ne tire pas trop ? », demande-t-elle. De légères rotations commencent à assouplir les corps. « N’hésitez pas à presser un peu votre ballon… Jusqu’ici, il n’y a pas eu d’explosion ! », encourage-t-elle. Les premiers efforts commencent à être ressentis. « Ça me brûle presque, au niveau des pectoraux », souligne Fabienne. L’effort est d’autant plus facilement consenti par les unes et les autres que le bienfait de l’activité est quasi immédiat. Invitation est ensuite faite au groupe de s’asseoir pour éviter que les têtes tournent. « Et les tendons, ça donne quoi ? », interroge l’éducatrice avant la pause-café et les petits gâteaux. La douce pression exercée par cette dernière pour amener les participantes à pousser un peu plus, à s’étirer un peu plus, va certainement porter ses fruits. Le fruit, à cette séance, ce sera une noix. Fabienne en a apporté un sac plein, comme promis. Rosine essaie timidement d’en ouvrir quelques-unes à la main, comme avant. Regrette de ne pas y arriver. Et puis, en confiance, elle force un peu plus. La première noix craque. Rosine esquisse un sourire.

1– Certaines personnes rencontrées ont accepté d’être photographiées. D’autres ont souhaité rester anonymes, « invisibles », dira l’une d’elles.

2– La ligue contre le cancer prend en charge le poste d’éducateur d’activité physique adaptée recruté ; deux laboratoires pharmaceutiques, la Maison associative de la santé de Rennes et le Centre Eugène-Marquis sont les autres contributeurs de ce dispositif, qui doit être pérennisé au terme de la première période de deux ans.

TÉMOIGNAGE

« Cela rassure »

ANNE

ANCIENNE PARTICIPANTE AU CYCLE D’ACTIVITÉS

« J’étais en fin de radiothérapie quand on m’a parlé des activités physiques adaptées. Je faisais de la marche avant de tomber malade, donc pas de problème pour participer. La gym était préconisée pour réadapter mon bras puisque j’avais subi un curage vasculaire. Suivre ces séances avec une personne spécialement formée est plus facile que de s’inscrire dans un club ordinaire. On a commencé doucement, pour nous mettre en confiance. J’ai eu un peu peur de mal faire et de me faire mal. Cela finit par être invalidant quand, à cause de la douleur et/ou de gestes déconseillés, on ne fait plus rien. En plus, on a l’impression d’être toute seule alors qu’en échangeant, on est rassurée, d’une certaine manière, de constater qu’on est toutes dans la même situation. J’ai d’ailleurs gardé des contacts. Aujourd’hui, j’ai récupéré un peu de souplesse dans mon bras et je me suis réinscrite à la gym dans le club de ma commune. »

PRUDENCE

QUEL RÉEL BÉNÉFICE SUR LA SANTÉ ?

Dans la motivation partagée par bon nombre de patientes volontaires pour suivre le cycle de six mois d’activités physiques adaptées (APA), le bénéfice en terme de survie apparaît en bonne place. Selon le Dr Claudia Lefeuvre, des études montrent que l’activité physique régulière semble augmenter les chances de survie. Cela a été démontré chez des patientes prises en charge pour un cancer du sein localisé, non évolutif, et suivies pendant deux ans après le diagnostic. Le maintien d’une activité physique diminue le risque de récidive et de décès, avec un bénéfice en terme de survie à cinq et dix ans voisin de 4 à 6 %. Les mêmes constatations ont été relevées pour le cancer du côlon. Mais, sur 180 patients inscrits dans ce programme à ce jour, seuls cinq étaient atteints par ce cancer.

L’argument du bénéfice est manié avec une grande prudence par les médecins.

« Il ne faut pas que la participation ou non à des APA soit culpabilisante pour les patientes, qui pourraient se dire : je récidive, c’est ma faute, je n’ai pas fait de sport ou pas assez de sport… », note le Dr Claudia Lefeuvre. Le dispositif rennais devrait apporter un éclairage nouveau sur le bénéfice de ces APA. « Jamais une évaluation n’a été menée sur une si longue période d’activités dans les études existantes », précise le Dr Vincent Daniel.