Les glycopeptides - L'Infirmière Magazine n° 291 du 15/12/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 291 du 15/12/2011

 

FORMATION CONTINUE

IATROGÉNIE AU QUOTIDIEN

1. DESCRIPTION DU CAS

MmeR est âgée de 87 ans. Elle est hospitalisée dans un service de cardiologie pour suite de prise en charge d’une pleuro-pneumopathie enkystée. La patiente pèse 82,5 kg pour 160 cm mais présente des œdèmes.

Son bilan biologique à l’entrée rapporte une hypocalcémie, un important syndrome inflammatoire et une fonction rénale normale (clairance de la créatinine estimée à plus de 90 ml/min selon la formule du MDRD). La NFS montre une anémie (hémoglobine à 9,2 g/dl), et une formule leucocytaire normale.

La prise en charge médicamenteuse de cette patiente comporte un traitement à visée cardiologique (furosemide 40 mg, spironolactone 50 mg), un traitement antalgique (morphine : Skenan 10 deux fois par jour et Actiskenan 5 toutes les 4 heures si douleur, paracétamol 3 g par jour). Durant son hospitalisation, une antibiothérapie par ceftriaxone (Rocephine) est mise en place, rapidement relayée par teicoplanine (Targocid).

Une surveillance des concentrations sanguines est programmée, avec deux prélèvements à J 4. Une prescription informatique est réalisée, associée à un plan d’administration papier. Le détail des horaires de prescription et d’administration est rapporté dans le tableau 1 (voir ci-dessous).

Deux administrations excédentaires de teicoplanine ont été réalisées à J 4 : dans une période de 24 heures, trois perfusions successives ont été administrées, alors qu’une seule était nécessaire. Les prélèvements prescrits et réalisés à J4 sont rapportés dans le tableau 2 (voir ci-dessous).

À J 5, l’équipe médicale identifie le dysfonctionnement, et s’inquiète du risque de surdosage lié aux administrations répétées. Les résultats des prélèvements ne sont malheureusement que partiellement interprétables, car réalisés à des horaires inadéquats par rapport aux administrations. Une nouvelle série de prélèvements est donc réalisée le jour suivant. En raison de ce possible surdosage, une surveillance rapprochée de la fonction rénale et de la NFS est mise en place durant les jours suivants.

Le traitement est réadapté à partir de J6, et aucune conséquence clinique ni biologique ne sera observée.

QUE S’EST-IL PASSE ?

L’administration de cette posologie inappropriée de teicoplanine et la mauvaise planification des prélèvements sanguins s’expliquent par la coexistence de plusieurs supports discordants de prescription et de suivi d’administration.

La prescription initiale faite à J 1 (sur informatique) a été modifiée à J 2 par un autre prescripteur et a fait apparaître accidentellement plusieurs lignes de prescription simultanée sur l’ordonnance.

Un plan d’administration, édité par la pharmacie pour certains médicaments à suivi particulier, a été mis à disposition dans l’unité de soins, mais il comportait des informations différentes de celles de la prescription initiale.

Une mauvaise transmission d’information durant le week-end entre les équipes IDE ainsi qu’une validation inexacte des moments d’administration ont également contribué au dysfonctionnement.

2. LES GLYCOPEPTIDES : RAPPELS

Les glycopeptides sont une famille d’antibiotiques comportant deux représentants : la vancomycine, et la teicoplanine (Targocid). Ces antibiotiques présentent un spectre d’action particulier, puisqu’ils sont efficaces contre les souches de staphylocoques résistant à la méticiline (staphyloccocus aureus métiR ou SARM), et peuvent donc être utilisés dans les infections par ces bactéries particulièrement résistantes.

À noter que ces antibiotiques ne sont pas absorbés par voie orale : pour exercer une action systémique, une administration par voie parentérale est nécessaire. On utilise habituellement des perfusions de 1 à 2 heures, ou bien des perfusions continues (vancomycine).

Indications(*)

Le spectre d’action de ces antibiotiques est étroit : ils sont actifs sur les bactéries à Gram positif, et en particulier sur les staphylocoques et les entérocoques. L’action sur les souches multirésistantes de staphylocoques explique l’utilisation dans les cas d’infections sévères à staphylocoque. Une utilisation en association est possible, en particulier avec les aminosides. Cette association augmente les risques de toxicité auditive et rénale.

Effets indésirables

Les risques principaux liés à l’utilisation de ces médicaments sont représentés par une toxicité auditive (rare, à prédominance cochléaire, pouvant conduire à une légère perte de l’audition), une toxicité rénale, en particulier en cas d’association avec d’autres médicaments nephrotoxiques, et une toxicité hématologique (éosinophilie, thrombopénie). Très rarement, on peut observer des réactions allergiques graves (syndrome de Lyell, choc anaphylactique). Les toxicités semblent liées à des hautes concentrations en glycopeptides. Une surveillance est donc nécessaire pour s’assurer de l’efficacité (on cherche à maintenir une concentration suffisante dans le sang) et de l’absence d’accumulation. En effet, comme la demi-vie est très prolongée, le traitement est long à équilibrer, et, en cas de posologie inadaptée, on peut observer une accumulation qui survient en quelques jours.

Contre-indications et principales interactions

Les glycopeptides ont peu de contre-indications : hypersensibilité, à laquelle s’ajoute l’utilisation chez le nouveau-né pour la teicoplanine.

En raison du risque toxique éventuel, une surveillance doit être mise en place, concernant : l’hémogramme, les fonctions hépatiques, rénales et auditives.

Les toxicités auditives et rénales peuvent se cumuler avec d’autres médicaments : aminosides, AINS, produits de contraste iodés, ciclosporine, diurétiques, anticancéreux. Lorsque l’association est nécessaire, il faut surveiller très attentivement les concentrations en glycopeptides, afin de limiter les risques de sur-exposition et de toxicité.

3. EN PRATIQUE

→ Dose de charge : la teicoplanine (Targocid) s’administre systématiquement en dose de charge pendant 1 à 4 jours : 400 mg deux fois par jour, afin de parvenir plus rapidement à une concentration efficace (posologie adulte).

→ Surveillance des concentrations sanguines : le traitement est adapté dans un second temps, en fonction des concentrations sanguines mesurées. En effet, une surveillance des concentrations sanguines est utile pour s’assurer de l’efficacité et de la tolérance des glycopeptides. En raison de leur mode d’action, il est nécessaire de maintenir en permanence une concentration sanguine supérieure à un seuil (usuellement entre 15 et 30 mg/l). Une surveillance de la concentration minimale (concentration résiduelle) est donc proposée, à réaliser juste avant l’administration suivante.

RÔLE INFIRMIER

→ Pendant la perfusion : observer l’aspect cutané et l’apparition éventuelle de signes allergiques.

→ Après la perfusion : planifier les injections suivantes, ainsi que les dosages des concentrations sanguines, juste avant l’injection suivante pour la concentration résiduelle, et 1/2 heure après la fin de la perfusion pour la concentration pic. Et bannir, autant que possible, les supports multiples de prescription : de la même manière que les retranscriptions, le cumul de supports différents et potentiellement discordants est de nature à favoriser les erreurs.

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