Le casse-tête des RTT en prime à l’hôpital - L'Infirmière Magazine n° 291 du 15/12/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 291 du 15/12/2011

 

TEMPS DE TRAVAIL

ACTUALITÉ

Depuis 2002, les personnels hospitaliers ont accumulé des millions d’heures sur des comptes épargne temps qui arrivent à échéance. Comment solder ces heures ? Au vu de la pénurie de personnel et des difficultés financières des établissements, l’équation semble insoluble.

Jeu de dupes » ! Le 30 novembre dernier, au sortir du ministère de la Santé, le secrétaire général du SNPI, Thierry Amouroux, ne mâchait pas ses mots. Ce jour-là, la DGOS recevait les représentants syn­dicaux des agents hospitaliers pour une première « réunion de concertation » sur l’épineuse question de la gestion des comptes épargne temps (CET). Un enjeu de taille, car, depuis 2002 et l’entrée en vigueur des 35 heures dans la fonction pu­blique hospitalière, les personnels hospi­taliers ont accumulé des millions d’heures sur ces CET, qui arrivent aujourd’hui à échéance. Combien exactement ? Aucun chiffre officiel n’est disponible. Mais, selon le SNPI et la CGT, le montant total avoisinerait les dix millions de jours ! « Face à ce chiffre, la DGOS n’a pas moufté, souligne Cécile Marchand, représentante CGT. Nous ne devons pas être loin du compte. Rien qu’à l’AP-HP, de source sûre, près de 1,3 million de jours ont été stockés ! »

Selon les hôpitaux, les services, ou même au sein des services, les CET sont plus ou moins garnis, en fonction de l’ampleur de la pénurie de personnel et de la plus ou moins bonne santé financière des établissements. Les premières catégories professionnelles concernées sont les médecins hospitaliers. En effet, 41 000 d’entre eux ont accumulé à eux seuls plus de deux millions de jours. Mais « les cadres et les infirmières spécialisées sont aussi très touchés, insiste Fernand Brun (FO). Et avec eux, ici et là, toutes les catégories de personnel. La situation est certes disparate, mais le problème est global. »

« L’arbre qui cache la forêt »

Si la question des comptes épargne temps est aujourd’hui posée sur la place publique, c’est parce que, selon la loi, les modalités les régissant sont valables dix ans. Le décret les ayant créés datant du 3 mai 2002, le problème est censé être réglé d’ici à mai 2012. Sans que personne n’y croie vraiment, vu la somme des jours dus. « Car les CET, c’est l’arbre qui cache la forêt, souligne le secrétaire national de la CFDT Santé Sociaux, Dominique Coiffard. Ils sont le reflet du manque criant de moyens, humains et financiers, accordés à l’hôpital public. » En 2008 déjà, des négociations avaient permis au personnel hospitalier de se faire payer une partie (30 %) de ses jours. Mais le stock s’est reconstitué à vitesse grand V.

Alors, que faire aujourd’hui ? Les solutions manquent. Et les syndicalistes se disent « pessimistes », ulcérés par un ministère qui renvoie dos à dos salariés et établissements hospitaliers. Quelles sont concrètement les options sur la table ? Première possibilité : se faire payer ces jours. Mais avec quel argent ? Les établissements sont censés avoir provisionné pour cela. Sauf que tous ne l’ont pas fait… ou n’ont pas pu le faire. Selon les syndicats de médecins, les hôpitaux n’auraient que 30 % de la somme nécessaire au paiement des seuls CET des médecins, soit quelque 600 millions d’euros. « Notre inquiétude, souligne Cécile Marchand, c’est que les hôpitaux qui n’ont pas assez provisionné sont justement ceux qui ont des difficultés financières. Que veut le ministère ? Qu’ils se serrent encore la ceinture, quitte à fermer des lits ? » Pour Thierry Amouroux, se pose également la question du montant du rachat des journées. Le ministère propose des indemnisations journalières calquées sur celles de l’année 2008, soit 65 euros pour la catégorie C, 80 euros pour la B, et 125 euros pour la catégorie A. « Une arnaque, commente-t-il. 80 euros, cela correspond au salaire d’une infirmière débutante ! »

Une autre option existe néanmoins : que chaque agent récupère les jours qui lui sont dus. « Mais vu la pénurie de personnel, c’est irréaliste…, sauf à fermer les services ! », remarque Cécile Marchand. La dernière piste évoquée le 30 novembre est la transformation de ces jours en points de régime de retraite additionnelle. C’est envisageable, mais « inquiétant aussi, commente la représentante CGT, car ce régime additionnel est moins favorable aux agents que la retraite de base ».

Bombe à retardement

Le ministère a prévenu : un nouveau décret, prévu pour avril 2012, s’imposant pour régir les CET dans les années à venir, les agents hospitaliers auront, à sa parution, six mois pour faire connaître leurs choix concernant leurs jours accumulés jusque-là. À défaut d’option, les jours épargnés seraient versés au régime de retraite additionnelle. Une solution qui ne satisfait pas les syndicats. « Je suis très préoccupé », commente Fernand Brun. D’autant que le contenu du nouveau décret alarme lui aussi les syndicats. Le projet ministériel prévoit, en effet, de calquer dorénavant les CET des agents hospitaliers sur ceux de la fonction publique d’État : le nombre maximum de jours versés sur un CET serait limité à 10 par an (contre 22 actuellement), et à 60 au total (contre 200). « Inacceptable ! Ne serait-ce qu’en raison des spécificités du travail à l’hôpital, travail de nuit, de week-end…, et de la pénurie de personnel », s’indigne encore Cécile Marchand.

La marge de négociation s’annonce mince. « On va tenter d’obtenir au moins 120 jours par an…, plus si possible », explique Fernand Brun. Et de taper du poing sur la table pour que la question des jours stockés jusqu’ici soit prise en compte, ajoute-t-il. L’affaire n’est pas gagnée, le ministère refusant pour le moment toute rallonge budgétaire. « Il cherche à refiler la patate chaude au prochain gouvernement », commente, plutôt désabusé, Christophe Prudhomme, médecin à Avicenne et vice-président de l’Amuf.

1– CMH : Coordination médicale hospitalière, le premier syndicat de praticiens hospitalier.

2– Amuf : Association des médecins urgentistes de France