La santé en partage - L'Infirmière Magazine n° 291 du 15/12/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 291 du 15/12/2011

 

DÉMOCRATIE SANITAIRE

DOSSIER

Le dossier médical personnel (DMP), outil de coordination de la prise en charge et de démocratie sanitaire, a vocation à être partagé entre l’usager et les soignants. Mais beaucoup reste à faire pour que ce nouveau partenariat puisse s’installer.

Verra-t-on, demain, les infirmières gérer leurs dossiers de soins infirmiers via une tablette numérique tel l’I’Pad, consulter les transmissions et alimenter le contenu du dossier médical personnel (DMP) des patients ? Assurément oui. « C’est le cours de l’histoire », estime Jeanne Bossi, secrétaire générale de l’Agence des systèmes d’information partagés de santé (Asip Santé), chargée, depuis 2009, sous tutelle du ministère de la Santé, de développer le DMP. D’ailleurs, à l’heure d’une démographie médicale vacillante, du vieillissement de la population et de l’accroissement des pathologies chroniques, serait-il imaginable que « l’e-sante » ne vienne pas soutenir la nécessaire évolution de la prise en charge, dont la coordination des soins est le pivot. Mieux échanger, mieux partager pour mieux prendre soin, du côté des soignants ; être mieux informé sur son parcours de soins et en conserver la trace, du côté des patients, tel est l’objectif du dispositif. L’évolution est de taille. S’il a connu un démarrage chaotique, le DMP est aujourd’hui sur les rails (Voir encadré p. 16). Mais son lancement s’est opéré sans les infirmières. Il faut souligner que l’ordre national infirmier n’a pas fait montre d’un intérêt remarquable pour être partie prenante de ce projet d’envergure, puisqu’il concerne potentiellement tous les titulaires de la carte Vitale, soit, au bas mot, 50 millions de personnes… « Nous avons été confrontés à un manque de représentativité de la profession infirmière, mais également à la diversité de ses statuts. Et nous ne pouvons mettre en place des groupes de travail qu’avec des partenaires qui manifestent leur envie de participer », explique Jeanne Bossi. « Peut-être faudra-t-il que nous soyons davantage pro-actifs envers l’ordre infirmier dans les prochaines étapes », avance-t-elle. Joint par la rédaction, l’ordre infirmier n’a pas souhaité répondre à nos questions à ce sujet. Pour la secrétaire générale, il semble pourtant indispensable que le DMP comporte, à terme, un volet de soins infirmiers. « S’il y a une catégorie de professionnels de santé pour qui il sera essentiel, ce sont bien les infirmières, car elles sont souvent au centre de la coordination des soins. » Infirmière coordinatrice au sein d’un service de soins infirmiers à domicile (Ssiad), Mireille confie [qu’elle] « en rêve. Ça ne fera pas tout, mais ça me facilitera le travail. Aujourd’hui, une partie non négligeable de mon temps est accaparée par la recherche d’informations. Et une fois la prise en charge engagée, on pourra sans doute avoir une plus grande visibilité sur “le qui fait quoi et pourquoi” Cependant, je vois mal la très grande majorité de notre file active, âgée en moyenne de 75 ans, gérer son DMP, a fortiori via Internet ».

Gratuit et facultatif

Sans attendre « les bonnes volontés ordinales », le DMP est testé dans quatre régions « d’amorçage » (Alsace, Aquitaine, Franche-Comté et Picardie) depuis le printemps 2010. Quelque 45 000 patients ont d’ores et déjà ouvert leur dossier électronique. Cette démarche est volontaire et gratuite. Concrètement, c’est le patient qui décide de l’ouverture, et, par conséquent, de la fermeture de son dossier. La création du DMP peut se dérouler, par exemple, chez un praticien de ville ou lors d’une admission en établissement de santé. Les informations contenues sur la carte Vitale génèrent un identifiant national de santé (INS) qui va être attribué au DMP. Une fois le dossier créé, l’usager peut, via le site www.dmp.gouv.fr, y avoir accès à tout moment et en tout lieu, grâce à un mot de passe et à un code à usage unique. Ensuite, c’est lui qui administre son dossier, toujours via Internet. Lui encore qui décide de donner l’accès à tel ou tel professionnel de santé pour lui permettre de consulter les informations de son dossier et d’en ajouter. L’usager sait quel professionnel a consulté telle ou telle information sur son DMP, à quel moment, et ce qui a été ajouté, voire modifié. Il peut aussi décider de masquer tout ou partie des données, de les mettre en sommeil ou de les détruire. De leur côté, les praticiens peuvent différer la consultation de certaines informations par le patient, s’ils estiment que leur nature doit au préalable faire l’objet d’un entretien médical comme, par exemple, pour l’annonce d’une maladie grave. Enfin, en cas d’urgence, « représentant un risque immédiat pour le patient, et s’il n’y a pas moyen d’obtenir son accord », les professionnels de santé peuvent « forcer » l’accès grâce à une fonction dite « bris de glace ». L’usager peut interdire cette possibilité en paramétrant son dossier. Soulignons que son accès est strictement interdit aux médecins du travail, aux banques et aux assurances. Par ailleurs, toute consultation du dossier sans autorisation est passible de poursuites pénales. L’ensemble des données est hébergé sur des serveurs informatiques d’un groupement de sociétés agréé par l’Asip Santé.

Outil de contrôle ?

Faciliter la prise en charge globale du patient, mieux coordonner les soins et leur suivi entre la ville et l’hôpital, éviter la redondance des examens et les inter– actions médicamenteuses… L’intérêt du DMP en termes de qualité et de sécurité de soins est réel. Prescriptions, imagerie médicale, examens biologiques pourront y être stockés. Pour l’heure, n’y sont intégrés que les comptes-rendus d’hospitalisation et opératoires et les résultats d’analyses biologiques. Si, désormais, le dispositif semble faire consensus, il n’en reste pas moins que maintes questions demeurent sur son usage. « Le dossier médical personnel semble un outil intéressant pour le citoyen informé, qui a les moyens de le maîtriser et possède une bonne connaissance du système de santé. De fait, nous estimons que pour les personnes les plus démunies et les plus vulnérables, les droits des patients sur le DMP sont relativement illusoires », indique Gérard Pradelle, de la Fédération Addiction. Une mise en garde également exprimée en 2008 par le Conseil consultatif national d’éthique, qui, favorable à la mise en place du document, avait déclaré, entre autres réserves, que « s’agissant des personnes en situation d’exclusion sociale et/ou de handicap, le DMP, qui s’adresse à des personnes susceptibles de le gérer intellectuellement et matériellement, ne peut être proposé en l’état. » Pour l’instant, le seul garde-fou concerne le professionnel, qui doit toujours penser à informer l’usager lorsqu’il ouvre son DMP, et à recueillir son consentement oral… « Par ailleurs, poursuit Gérard Pradelle, pour ne prendre que cet exemple, les addictions sont toujours soumises à de fortes représentations, y compris dans le secteur médical. Dans ce contexte, le partage d’informations entre soignants et patients n’est pas toujours une démarche simple. Nombre de médecins, également, appréhendent les traitements de substitution parce qu’ils craignent des mésusages de la part des patients. Il ne faudrait donc pas que le dispositif devienne un outil de contrôle de la prescription. Enfin, on ignore s’il peut être saisi par la justice. » Oui, il le peut. « S’il demeure la propriété du patient, le DMP peut être saisi par un juge d’instruction, si ce dernier estime que les informations qu’il contient sont susceptibles de faire avancer son enquête », indique Gilles Devers, avocat au barreau de Lyon. Il faudra sans doute plusieurs années avant que le DMP ne se généralise et trouve sa place dans le système de santé et dans la relation soignant-soigné. Seul l’usage pourra attester que la révolution annoncée a bien eu lieu.

* Au 6 octobre dernier.

Un passif à gérer

Du GIP-DMP à l’Asip Santé, le dossier médical personnel (DMP) a connu moult vicissitudes depuis que la loi du 13 août 2004 relative à la réforme de l’assurance maladie l’a porté sur les fonts baptismaux – sa naissance étant le fruit des dispositions de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades. Des atermoiements qui ont bien failli avoir raison du projet. Outre qu’il avait été lancé à la va-vite, les conditions de son déploiement avaient été largement sous-évaluées. Devant ce patinage, l’Assemblée nationale a fini par mettre les pieds dans le plat. L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, s’est donc saisi du « dossier » et a rendu, au printemps 2009, un rapport peu amène pointant les manquements du Groupement d’intérêt public (GIP-DMP) chargé à l’origine de la mise en œuvre du dispositif, sans épargner les responsabilités politiques. Faisant du passé table rase, ou presque, le GIP-DMP est devenu, en septembre 2009, l’Asip Santé (Agence des systèmes d’information partagés de santé). En 2008, une mission de relance avait été confiée à Michel Gagneux, à l’époque inspecteur général des affaire sociales, et désormais président de l’Asip Santé. Il n’avait pas non plus été tendre sur la mise en œuvre du projet. Autant dire que de 2004 à 2009, sauf une expérimentation de six mois en 2006, il ne s’est pas passé grand-chose.