L’hygiène bucco-dentaire chez le sujet âgé - L'Infirmière Magazine n° 291 du 15/12/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 291 du 15/12/2011

 

DOSSIER

QUESTIONS SUR

Madame B. est âgée de 73 ans. Elle est atteinte de la maladie d’Alzheimer, et hospitalisée en urgence à la suite d’une chute. Elle présente des signes de dénutrition et de déshydratation. Quelle démarche de soins adopter ?

En attendant l’arrivée de son entourage, pour réaliser une évaluation nutritionnelle approfondie, les soignants procèdent à un bilan de l’état bucco-dentaire de la patiente afin de s’assurer qu’il n’existe pas de problèmes fonctionnels et/ou de troubles au niveau de la sphère buccale susceptibles d’expliquer la dénutrition.

La santé dentaire des personnes âgées (PA) de plus de 65 ans est-elle satisfaisante ?

La revue de la littérature montre que la prévalence des pathologies bucco-dentaires (BD) augmente avec l’âge(1), et certains gérodontologues n’hésitent pas à dire qu’à l’hôpital comme en institution, l’état de santé BD des personnes âgées est préoccupant, voire « déplorable ». Différentes enquêtes montrent que 45 % des personnes de plus de 65 ans ont au moins une carie ; 35 %, des racines résiduelles ; 50 %, une pathologie parodontale (gingivite ou parodontite) ; 17 %, des saignements. 15 % sont totalement édentées et plus d’un tiers des patients ne se brossent pas les dents tous les jours(2). Quatre personnes sur cinq ont au moins un besoin de soins bucco-dentaires : détartrage, extraction, soin conservateur ou prothèse adjointe(3). Dans l’Essonne, une étude menée en 2000 dans les maisons de retraite met en évidence que seulement 15 % des établissements organisaient sur place des vacations de soins dentaires. L’expérience du Réseau ville-hôpital santé bucco-dentaire & handicap Rhônes-Alpes montre que 50 % des personnes âgées dépendantes n’ont pas bénéficié de soins ni d’examen dentaire depuis plus de cinq ans alors que 60 à 80 % en ont besoin. Globalement, le recours aux soins diminue avec l’âge alors même que les besoins augmentent.

Quelle place a l’hygiène buccodentaire dans la prise en charge globale des patients ?

Quelles que soient les structures de prise en charge, l’hygiène buccodentaire est souvent négligée lors de la planification quotidienne des soins. L’importance de ce soin n’est pas reconnue par le personnel infirmier, ce n’est pas une priorité(4). En institution, beaucoup de soignants sont déroutés par la difficulté du soin, en particulier chez les patients déments. À domicile, de nombreux infirmiers libéraux constatent que « les soins de bouche font l’objet d’une prise en charge allant de l’acceptable à l’inexistant ». Parmi les explications plausibles, certains observateurs(4) avancent le manque de formation des personnels soignants aux problèmes d’hygiène BD des patients dépendants. D’autres évoquent la peur d’agresser (transgression de l’espace personnel + intimité de la bouche) ou de se faire agresser. Une étude qualitative des réticences des soignants à effectuer les soins d’hygiène bucco-dentaires chez les personnes âgées(5) montre que les soins de bouche sont perçus comme un fardeau chronophage, peu gratifiant et fréquemment omis du fait de contraintes de temps. Certains soignants invoquent également le manque de matériel, la non-coopération des patients eux-mêmes (refus, absence de compréhension, attitude agressive), voire des autres soignants et de l’environnement organisationnel.

Quels sont les effets du vieillissement sur le capital dentaire et la sphère buccale ?

L’usure naturelle des dents, la transformation des tissus et des muqueuses BD et l’insuffisance salivaire sont des phénomènes directement liés à l’âge. Le flux salivaire peut se tarir, surtout lorsque la mastication est réduite, ou survenir par dégénérescence des glandes salivaires entraînant une diminution (hyposialie de la sénescence), voire l’arrêt total (asialie) de la sécrétion de salive. Le syndrome de Gougerot-Sjögren (syndrome sec), la prise de médicaments benzodiazépine (Valium), bêtabloquants, atropiniques, antidépresseurs peut également favoriser l’insuffisance salivaire. Il en résulte une sécheresse buccale (xérostomie) chez 61 % des sujets de plus de 65 ans(2), qui peut s’aggraver sous l’effet d’une déshydratation générale, ou encore d’un traitement par radiothérapie du visage ou du cou. Or, la salive est un fluide acqueux essentiel à la santé de tous les tissus bucco-dentaires et nécessaire à la formation du bol alimentaire et à la déglutition. Elle lubrifie les surfaces dentaires et les muqueuses, possède des propriétés antibactériennes, régule le pH buccal, intervient dans la reminéralisation de l’émail, assure un nettoyage naturel de la cavité buccale et participe à la balance hydrique de l’organisme. Les troubles de la salivation peuvent donc avoir des retentissements importants s’ils ne sont pas compensés par une bonne hygiène buccale.

Quelles sont les conséquences dentaires d’une mauvaise hygiène chez les PA ?

En premier lieu, il peut se former une accumulation de la plaque dentaire et du tartre sous l’effet des sels minéraux de la salive. La plaque dentaire comprend plus de 400 types de bactéries qui colonisent toutes les surfaces BD. Son accumulation peut être responsable de caries radiculaires (au niveau des collets), peu douloureuses et donc souvent négligées, de parodontite (inflammation des tissus qui entourent la dent et détruit l’os) ou de gingivite (inflammation de la gencive), qui peuvent favoriser à terme le « déchaussement » des dents. De même, une mauvaise hygiène endobuccale associée au contexte « à risque » spécifique de la PA favorise la colonisation par candida albicans et les candidoses buccales (voir encadré).

Une mauvaise hygiène dentaire peut-elle avoir des répercussions sur l’état général du patient ?

Oui ! Des répercussions très importantes. Elle rend la mastication difficile, ce qui influence le type d’alimentation, la qualité des apports nutritionnels, et peut entraîner des troubles digestifs, des carences alimentaires (déficits en vitamines A, C, en acide folique, thiamine et protéines) et une dénutrition. Par ailleurs, les recommandations de l’Afssaps (2001) et celles de la conférence de consensus de la Société de pathologie infectieuse de langue française (2002) indiquent que la présence de nombreux germes dans la cavité buccale prédispose à la survenue de pneumopathies (y compris abcès du poumon) par inhalation ou aspiration et est corrélée au développement de bactériémies qui exposent les personnes âgées à des risques de valvulopathie, de cardiomyopathie et de complications infectieuses sur prothèses articulaires et autres prothèses implantées (stents, stimulateurs et valves cardiaques). Ces affections représentent la seconde cause d’infections en institution(1).

Par ailleurs, de nombreuses études ont mis en évidence une corrélation entre la sévérité de l’atteinte parodontale et les dosages de cholestérol total, de triglycérides et de LDL-cholestérol. Des débris bactériens, des endotoxines et des lipopolysaccharides peuvent, en effet, atteindre les vaisseaux sanguins et être à l’origine d’altérations favorisant d’autant plus l’athérosclérose et les thromboses artérielles chez les personnes âgées qu’elles cumulent une mauvaise hygiène BD et un déficit des systèmes de défense tissulaire et immunitaire.

Par quels moyens peut-on pallier l’insuffisance salivaire et la sécheresse buccale ?

Peuvent être utilisés :

– Des médicaments sialagogues pour stimuler la sécrétion de salive lorsque les glandes salivaires fonctionnent encore (teinture de Jaborandi, Sulfarlem®). Indications : hyposialies médicamenteuses, post-radiothérapiques et hyposialies de la sénescence.

– De la salive artificielle ; par pulvérisation buccale (Artisial®, Bioxtra®…) : attention à l’acidité de ces produits qui peut nuire à l’écologie de la bouche.

– Gel oral lubrifiant (Aequiasial®, Hyalugel®). Ces protecteurs de la muqueuse buccale forment un film lipidique durable et limite la perte en eau tout en donnant aux tissus une souplesse plus agréable pour les patients.

Le confort peut également être amélioré par l’hydratation fréquente, l’absorption d’ananas frais, l’utilisation de spray à l’eau, de glaçons aromatisés, d’eau gazeuse glacée, de bâtonnets citronnés et glycérinés frais, et par le brossage pluriquotidien des prothèses dentaires si le patient est appareillé.

Comment réaliser une bonne évaluation de l’état buccal d’un patient ?

Des recommandations pour la pratique clinique infirmière élaborées par l’AP-HP permettent d’évaluer l’état buccal afin de mettre en place des soins adaptés. Cette évaluation comporte un recueil d’informations sur l’hygiène buccale du patient et un examen clinique de la bouche (gants, abaisse-langue, lampe) prenant en compte l’état des muqueuses, de la langue, des gencives, de la salivation, des dents, des prothèses dentaires, de la déglutition, des lèvres et de la voix. Cette évaluation peut être objectivée à l’aide de la grille OAG (Oral Assesment Guide). Cet outil prend en compte les différents critères précités et attribue pour chacun d’eux une note de 1 (pas d’altération) à 3 (altérations importantes). Le score à atteindre doit être 8 (hygiène et confort assurés). Si le score est supérieur à 8, des mesures adaptées doivent être mises en place dans le but de ramener le score à 8. La grille OAG permet de suivre l’évolution de l’état buccal et d’apprécier l’efficacité des soins. Le G.O.H.A.I. (Global Oral Health Assesment Index) repose sur le « ressenti » des patients. Il ne peut donc être utilisé que pour des personnes ayant leurs facultés cognitives intactes et tout en tenant compte du fait qu’il existe très souvent une distorsion entre le faible besoin ressenti et le réel besoin de soins constaté(3).

Quels sont les principes à respecter en ce qui concerne les personnes âgées autonomes et celles qui sont dépendantes ?

L’hygiène bucco-dentaire fait appel aux soins de bouche non médicamenteux relevant du rôle propre infirmier (Art. 5 du décret n° 2002-194 du 11 février 2002). Ces soins préventifs doivent être réalisés quotidiennement par les infirmiers lorsque le handicap ou la perte d’autonomie empêchent le patient de les réaliser lui-même. Lorsque les personnes sont autonomes ou semi-autonomes, l’infirmier doit faciliter l’autoréalisation des soins en installant le patient confortablement et en lui mettant à disposition le matériel d’hygiène adapté (hydropulseur, brosse à dents douce à petite tête et gros manche, verre à dents, haricot). Le brossage doit comprendre les faces internes, externes, inférieures et supérieures des dents mais aussi le palais, les joues et la langue. Il peut être complété par le massage des gencives. En cas de saignements ou de douleurs gingivales, il est possible d’utiliser des bâtonnets avec embout coton ou mousse ou le doigt ganté et la compresse. L’hygiène BD peut également nécessiter des soins de bouche à visée thérapeutique réalisés par les infirmiers sur prescription médicale (Art. 6 du décret de compétence).

Dans quels cas doit-on utiliser les bains de bouche ?

Le recours au bain de bouche est envisageable dans plusieurs situations :

– Hygiène buccale négligée ou impossible : utiliser une solution de bicarbonate à 14/000 pour assainir globalement la bouche. Sur prescription médicale, des bains de bouche antiseptiques peuvent être réalisés à base de polyvidone iodée (Bétadine verte®), d’héxétidine à 0,1 % (Givalex® ou Hextril®) ou de chlorexidine (Hextril®).

– Bouche ulcérée et douloureuse : sur prescription médicale, bains de bouche à base d’antalgiques (aspirine) ou d’anti-inflammatoires (bétaméthasone), de sucralfate (présence d’aphtes) ou application de gel à la lidocaïne à 2 % , plus ou moins associés à un traitement antalgique par voie générale en fonction de l’importance des symptômes.

– Présence d’une mycose (muguet, perlèche, glossite, langue noire villeuse…): l’usage de bicarbonate à 14/000 pourra être associé à un traitement antifongique local type Fungizone® ou Triflucan®.

D’une manière générale, le bain de bouche ne doit pas contenir d’alcool ni être actif. Il ne doit pas non plus être avalé. Mieux vaut privilégier la réalisation du soin plutôt que la durée.

Peut-on remplacer le lavage des dents par des bains de bouche systématiques ?

Les bains de bouche à base de bicarbonate peuvent être utilisés sans limite mais ne remplacent pas le brossage des dents, seul capable d’agir sur la plaque dentaire. Quant aux bains de bouche antiseptiques, ils ne doivent en aucun cas être réalisés de façon systématique ou durable (8 jours au maximum) car ils peuvent déséquilibrer la flore commensale buccale et favoriser les mycoses buccales.

Quels sont les principes d’entretien des prothèses dentaires ?

Le brossage des prothèses dentaires, contrairement à celui des dents, doit être effectué avec une brosse dure, du savon de Marseille ou un produit spécifique pour prothèses. Celles-ci doivent être portées par intermittence le jour et enlevées la nuit pour éviter l’inflammation des muqueuses (stomatite prothétique) et les candidoses. Il est suggéré de masser régulièrement le palais, les gencives et la langue à l’aide d’une brosse à dents douce. L’infirmier doit s’assurer que les prothèses, lorsqu’elles ne sont pas portées, sont toujours maintenues en milieu humide pour éviter qu’elles se déforment (risque de blessures). L’utilisation d’une boîte à prothèse contenant de l’eau froide ou une solution nettoyante est indiquée. Elle doit être personnalisée au nom du patient et le port de prothèse notifié dans le dossier de soins de manière à en limiter la perte ou l’oubli. Il est préférable de rincer, voire de brosser la prothèse avant de la déposer dans la boîte.

À défaut, la prothèse doit être systématiquement rincée et séchée (pour limiter le risque de candidose) avant d’être replacée dans la bouche. La boîte doit être rincée et l’eau ou la solution nettoyante systématiquement renouvelée tous les jours.

Quel est le rôle éducatif de l’infirmière en matière d’hygiène bucco-dentaire ?

Dans le cadre de son rôle propre, l’infirmier peut jouer un rôle tant auprès des personnes âgées (PA) que de leur entourage familial à travers plusieurs actions :

– expliquer l’utilité d’une bonne hygiène bucco– dentaire quotidienne adaptée à la personne ;

– encourager la PA à signaler tout symptôme à l’équipe soignante (douleurs buccales, aphtes, lésions ouvertes au niveau des muqueuses et des lèvres, saignements) ;

– conseiller les produits à utiliser et expliquer leur mode d’emploi ;

– apprendre à réaliser les soins et en évaluer l’efficacité ;

– recommander une surveillance annuelle par un dentiste et consulter systématiquement en cas de perte de dent ;

– remettre un protocole personnalisé d’hygiène et de soins ;

– s’assurer que la PA ne rencontre pas des problèmes de dextérité manuelle pouvant expliquer une mauvaise hygiène et recommander, dans ce cas, l’achat d’une brosse à dents électrique pour faciliter le brossage de toutes les régions de la bouche ;

– donner des informations sur les remèdes disponibles contre la sécheresse buccale et inviter les patients à boire abondamment.

Le bon état buccal participe grandement au respect de la définition de la santé telle que déclinée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : « La santé est un état complet de bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. » L’arsenal thérapeutique et préventif aujourd’hui disponible permet aux PA de préserver durablement leur capital dentaire avec l’aide bienveillante des soignants.

1– Source : Troubles de la déglutition : de l’état bucco-dentaire à la fausse route – A. Bodineau et col. NPG, Elsevier Masson 2007;7-14.

2– L’hygiène bucco-dentaire des personnes âgées au quotidien – Réseau buccodentaire ville hôpital-Ehpad Limousin. www.lesmaisonsderetraite.fr/sante/hygiene-dentaire.htm

3– Docteur Alain Martinasso, chirurgien-dentiste, Mémoire pour le diplôme universitaire d’évaluation de la qualité en médecine http://bit.ly/rEPgnG

4– Source : « La santé bucco-dentaire des PA »– DGS SD2B – Marysette Folliguet – Mai 2006.

5– Chalmers et col. Oral diseases and conditions in community living olders adults with or without dementia. Care Dentist. 2003 ; 23:7-17 http://bit.ly/s4TDv8

CANDIDOSES BUCCALES DU SUJET ÂGÉ

Quels sont les symptômes ?

→ Candidoses atrophiques aiguës : langue rouge vif, brillante, dépapillée ; inflammation et érythème de la muqueuse buccale, sensation de brûlure.

→ Candidoses atrophiques chroniques localisées ou généralisées : érythème chronique, voûte palatine érythrosique (rouge), œdème sous prothèse dentaire, inflammation labiale (chéilite), fissure labiale (perlèche), habituellement non douloureuses.

→ Candidoses aiguës pseudomembraneuses (muguet) : lésions blanchâtres plus ou moins filamenteuses sur la langue et/ou sur la voûte palatine, muqueuse sanguinolente au grattage, souvent non douloureuses.