Un traitement circonstancié - L'Infirmière Magazine n° 290 du 01/12/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 290 du 01/12/2011

 

DOSSIER

PRISE EN CHARGE

De nombreux facteurs peuvent altérer la qualité du sommeil. L’environnement du patient et son hygiène de vie sont à étudier avant d’opter pour un type de traitement.

L’hygiène de vie et l’environnement du sujet insomniaque sont tout d’abord évalués et adaptés, car de nombreux facteurs sont susceptibles d’altérer la qualité du sommeil (pollakiurie nocturne, travail posté dans la journée, bruit, inconfort de la literie, alcool, psychostimulants, tabagisme, télévision, jeux sur ordinateur ou activité soutenue juste avant le coucher, sevrage récent en hypnotiques ou anxiolytiques). Lorsque l’insomnie est subjective (voir l’examen polysomnographique dans l’Essentiel p. 33), un suivi psychocomportemental est indiqué. Face à une plainte pour une insomnie réactionnelle de faible intensité, la phytothérapie apportera une réponse douce. Cependant, un traitement non médicamenteux est souvent indiqué. La psychothérapie constitue une réponse pertinente aux troubles d’origine psychologique tandis qu’une insomnie symptomatologique impose de traiter la maladie en cause, d’où l’intérêt des antidépresseurs ou des antipsychotiques lorsque les difficultés sont secondaires à une pathologie mentale.

1. CHOIX D’UN HYPNOTIQUE

Lorsqu’un hypnotique est indiqué, la prescription d’un analogue des benzodiazépines est privilégiée en première intention.

BZD et apparentées

Les benzodiazépines (BZD) et apparentées sont, à des degrés divers, toutes des molécules anxiolytiques, myorelaxantes, anticonvulsivantes. Des difficultés à l’endormissement font privilégier une molécule d’action brève ou intermédiaire ayant peu de retentissement sur la vigilance diurne (Stilnox, Imovane, Havlane, Normison). Une insomnie de milieu ou de fin de nuit, avec anxiété diurne, peut faire préférer un hypnotique d’action prolongée (Noctamide, Nuctalon, Mogadon, Rohypnol). Le patient bénéficie alors d’un effet sédatif et anxiolytique sur le nycthémère, mais le risque de somnolence diurne est important.

→ L’action myorelaxante est à l’origine d’une possible hypotonie musculaire, d’une possible diplopie, mais explique surtout le risque d’insuffisance respiratoire (notamment en cas d’association à d’autres dépresseurs ventilatoires tels les opiacés). Elle conduit à limiter la posologie chez le patient insuffisant respiratoire léger ou myasthénique (contre-indications relatives au traitement).

→ La dose est adaptée chez l’insuffisant rénal ou hépatique léger. Une insuffisance hépatique sévère, notamment d’origine alcoolique, fait contre-indiquer l’administration de BZD car elle risque d’induire une encéphalopathie hépatique.

→ La survenue de troubles mnésiques et d’une altération des fonctions psychomotrices n’est pas exceptionnelle : elle justifie une prise précédant le coucher. On observe parfois la survenue de troubles du comportement, avec agitation et somnambulisme.

→ L’arrêt brutal d’un hypnotique, notamment à demi-vie courte, peut entraîner un phénomène de rebond transitoire (insomnie, anxiété, à ne pas confondre avec un syndrome de sevrage), justifiant un arrêt progressif du traitement.

Le traitement par BZD ou apparentées bénéficie d’une bonne tolérance. À noter que la zopiclone (Imovane) est souvent à l’origine d’une amertume buccale.

Enfin, les hypnotiques sont fréquemment utilisés dans une perspective suicidaire. En l’absence d’association à d’autres médicaments, le risque létal reste très faible. L’intoxication se traduit par une dépression respiratoire, une obnubilation, une somnolence, parfois un coma calme, hypotonique, hyporéflexique, avec hypotension et bradycardie. Les signes sont potentialisés par l’association à l’alcool.

Antihistaminiques

Certains antihistaminiques (voir tableau p. 35) sont des hypnotiques faibles dont l’action n’a pas été évaluée par des études fiables et qui ne sont pas cités dans les recommandations. S’ils ne donnent que peu souvent lieu à un usage détourné, leur index thérapeutique n’en reste pas moins réduit en raison de leur action anticholinergique (risque de confusion mentale, de rétention urinaire et de glaucome).

Mélatonine

Produite par l’épiphyse, la mélatonine (Circadin) est une hormone impliquée dans la régulation du cycle veille-sommeil. La production de mélatonine diminue avec l’âge, d’où l’intérêt d’une éventuelle supplémentation dans le traitement, sur une période limitée, de l’insomnie idiopathique du sujet âgé. Ce médicament dénué d’action myorelaxante, anxiolytique ou amnésiante est indiqué dans l’insomnie idiopathique avec sommeil de mauvaise qualité au-delà de 55 ans.

2. PRESCRIPTION ET SUIVI

→ Le traitement hypnotique est conduit à la posologie minimale efficace. Il vise l’insomnie occasionnelle (traitement de 2 à 5 jours, lors d’un voyage ou d’un stress) ou transitoire (traitement de 2 à 4 semaines). Si l’insomnie devient chronique, il est indispensable de chercher une étiologie spécifique, voire d’adresser le patient à un centre d’hypnologie. L’arrêté du 7 octobre 1991 limite la durée de prescription d’un hypnotique à 4 semaines. Si l’état du patient le justifie, le médecin peut établir une nouvelle prescription. Selon les références médicales opposables, les hypnotiques ne doivent pas être associés entre eux, ni être prescrits sans tenir compte des durées de prescription maximales réglementaires ou sans respecter les posologies de l’AMM. Un traitement doit être débuté par la dose la plus faible possible, et ne sera pas systématiquement reconduit sans réévaluation objective de son utilité.

→ Chez le sujet âgé, tout hypnotique peut entraîner une baisse de la vigilance diurne, une altération des fonctions cognitives, voire, avec un antihistaminique ayant des propriétés anticholinergiques, un épisode de confusion mentale. BZD et apparentées et myorelaxants majorent les risques de chute. Leur prescription demeure donc prudente : leur posologie devrait être réduite de moitié chez le sujet âgé.

→ Chez un sujet alcoolodépendant (non insuffisant hépatique sévère), il est possible d’administrer une BZD ou apparentées en privilégiant le recours à des produits aussi peu métabolisés que possible par le foie (Stilnox, Imovane, Havlane, Noctamide) et en intégrant le paramètre de la vulnérabilité du patient aux comportements addictifs (voir encadré p. 36).

→ Chez le sujet dépressif, il y a risque de passage à l’acte suicidaire lorsque des BZD sont administrées seules à des patients dépressifs.

→ En cas de grossesse, l’usage d’une BZD ou apparentées pendant le dernier mois de la grossesse peut être à l’origine d’une hypotonie et d’une détresse respiratoire du nouveau-né, qui peut manifester des signes de sevrage (excitabilité, agitation, etc.). La restriction à cet usage est plus nuancée pendant les deux premiers trimestres de la grossesse. À noter aussi que l’utilisation d’un hypnotique n’est pas compatible avec l’allaitement : risque de léthargie, d’hypotonie du nourrisson et d’une altération des interactions mère-bébé.

DR DENIS RICHARD

3. LES MESURES NON MÉDICAMENTEUSES

Des mesures hygiéno-diététiques et des changements comportementaux sont préconisés pour aider à retrouver le sommeil. Dans son rapport de 2006, la HAS (Haute autorité de santé) propose des règles élémentaires d’hygiène du sommeil telles que dormir selon ses besoins et éviter les siestes longues ou après 16 heures, adopter un horaire régulier de lever et de coucher, mais aussi limiter le bruit, la lumière, et éviter une température excessive dans la chambre à coucher. Pratiquer un exercice physique régulier peut également aider à améliorer le sommeil, mais toujours avant 17 heures. Le repas du soir devra être plutôt léger. Et, enfin, il faut éviter la caféine, le tabac et l’alcool.

Pour « recréer une association mentale entre le coucher et le sommeil », il convient de ménager une période de transition entre veille et sommeil, en évitant les activités excitantes ou angoissantes une heure avant le coucher, et de se mettre au lit uniquement lorsque les premiers signes de somnolence seront ressentis. Au bout de 15 à 20 minutes, lorsque l’endormissement est impossible, il faut sortir de son lit et aller dans une autre pièce « s’occuper à une activité non stimulante » en attendant que le besoin de sommeil se fasse de nouveau sentir. La procédure peut être répétée aussi souvent que nécessaire.

À ces mesures peuvent s’ajouter des techniques de relaxation, comme la sophrologie. Mariama Guillard, IDE et enseignante en sophrologie en région parisienne, est très souvent amenée à aider des patients insomniaques. « L’époque de démarrage des insomnies est essentielle. Je ne fais que poser des questions et les écouter. Ils font les liens eux-mêmes », souligne la sophrologue. Après le dialogue initial, la séance commence par une relaxation simple, poursuivie par des exercices visant à s’entraîner à lâcher prise. Le patient est ensuite encouragé à « se sentir respirer » en posant sa main sur sa cage thoracique ou son ventre. Un exercice qu’il renouvellera chez lui. Autre proposition : visualiser des rituels d’endormissement paisibles adaptés à chacun. « Boire une tisane, baisser la lumière, s’installer confortablement », par exemple, préconise Mariama Guillard. Elle insiste également sur la nécessité de faire une rupture franche entre le monde extérieur et la maison. « En rentrant, il est important de ne pas garder ses vêtements de travail. On peut aussi prendre une douche. C’est à chacun de trouver des solutions pour se couper de l’agitation du dehors », souligne-t-elle.

De nombreuses autres méthodes existent en vue d’améliorer la qualité du sommeil. La restriction temporaire du temps de sommeil, préconisée par la HAS, peut parfois faire ses preuves mais est souvent mal tolérée par les patients. Chez certains, l’acuponcture donne d’excellents résultats. L’hypnose peut également être utilisée. Quant à la luminothérapie, elle vise à recaler l’horloge biologique interne, mais ses retombées ne font pas l’unanimité. Attention, cependant, à bien s’informer sur les praticiens de ces différentes disciplines. Il faut éviter, en effet, de se retrouver entre les mains d’un charlatan.

CHIFFRES

→ L'insomnie concerne entre 33 % et 50 % de la population adulte.

→ Elle a un retentissement clinique (somnolence diurne, troubles de l'attention, irritabilité, etc.) chez 10 % à 15 % de la population.

→ Son étiologie reste inconnue chez 5 % à 10 % de la population.

→ 50 % à 75 % des patients souffrant de troubles psychiatriques ou de douleurs chroniques se plaignent d'insomnie.

→ L'insomnie a un caractère chronique dans 50 % à 85 % des cas.

Vigilance

Accoutumance et dépendance

BZD et molécules apparentées peuvent entraîner une accoutumance et une dépendance.

→ L’accoutumance se traduit par une diminution progressive de l’action hypnotique avec le temps, incitant à augmenter progressivement les doses utilisées.

→ La dépendance est surtout décrite lors de l’usage inadapté et/ou inutilement prolongé d’un hypnotique chez un sujet psychiquement fragilisé ou ayant des antécédents addictifs (alcoolisme, abus de médicaments). Elle peut cependant s’observer à doses thérapeutiques chez un sujet sans facteurs de risque.

→ Le syndrome de sevrage se caractérise par des troubles psychiques (anxiété, irritabilité, agressivité), neurologiques (insomnies, vertiges, céphalées, incoordination motrice, rares convulsions), musculaires (myalgies), sensoriels (hypersensitivité, photophobie…).

→ En pratique, il faut convenir avec le patient, dès l’instauration du traitement, des modalités de son arrêt : elles reposent sur une réduction progressive de la posologie, ou, parfois, sur une utilisation discontinue, un jour sur deux ou trois.

Les BZD et apparentées peuvent faciliter les passages à l’acte sur fond d’amnésie transitoire. Le flunitrazépam (Rohypnol) manifeste notamment des propriétés désinhibitrices et amnésiantes parfois mises à profit à des fins délictueuses ou criminelles. Il peut être consommé à doses massives par des toxicomanes, induisant alors un état de semi-conscience associant obnubilation, ébriété, sensation d’invincibilité, levée des inhibitions et agressivité. De ce fait, il n’est plus indiqué que dans les insomnies sévères. Sa formule a été modifiée en 1998 par l’ajout d’un colorant évitant son administration clandestine à des fins délictueuses, son conditionnement a été réduit en 1999, et sa prescription est réalisée sur ordonnance sécurisée depuis 2001 (prescription ne pouvant excéder 14 jours, avec délivrance fractionnée de 7 jours, arrêté du 01/02/2001).