L’appel du bush australien - L'Infirmière Magazine n° 290 du 01/12/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 290 du 01/12/2011

 

SUR LE TERRAIN

RENCONTRE AVEC

Barbara Turner est née sur les terres rouges de l’outback australien. Après des années passées dans les hôpitaux de la côte est, elle y est retournée pour exercer comme infirmière praticienne dans un centre de santé, dans une région éloignée de tout.

Une petite localité posée le long de la Darling River, dans l’extrême ouest de l’État du New South Wales. Deux pubs, une station-service, trois églises, une épicerie, une école, un stade de rugby… et 700 âmes. Bienvenue à Menindee, dans l’outback australien. Un monde à part. Sydney se trouve à 1 300  km, et Adélaïde, à 600… Broken Hill, la plus grande localité aux alentours, est à 120 km, reliée par l’unique route goudronnée de la région. Les autres axes ne sont que des chemins de terre rouge, accessibles en 4x4. À Menindee, il n’y a pas de docteur… La population a accès aux services de santé grâce à un petit dispensaire gouvernemental. Cinq infirmières et autant d’aides-soignantes y sont employées. Au sein de l’équipe, Barbara Turner, 50ans. Elle est infirmière praticienne : « Je suis arrivée ici en 2004, heureuse de retrouver les grands espaces du bush australien ! »

Barbara a vécu dans ces régions éloignées de tout avec ses parents éleveurs de moutons, avant d’entreprendre des études d’infirmière, à l’hôpital de Broken Hill. « Je n’ai jamais pensé à une autre profession », avoue-t-elle. Après une première expérience dans un centre de santé à Wilcannia (petite ville dans l’ouest de l’État), Barbara part vivre à Sydney pour continuer des études et devenir sage-femme. Un métier qu’elle pratiquera une douzaine d’années dans différents hôpitaux de la côte est. Tout en travaillant, elle enchaîne les formations, longues de préférence ! Spécialisation en santé post-natale, diplôme de sciences sociales par correspondance pendant six ans… « Aujourd’hui, je ne regrette pas ces efforts, car cela me sert dans ma fonction d’infirmière praticienne », affirme-t-elle (voir encadré). La vie citadine, loin du bush, la rend nostalgique. Elle décide alors, en 2000, de retourner travailler à l’hôpital de ses débuts, à Broken Hill. Où un nouveau défi l’attend : « J’avais un poste de manager. J’étais en charge de la formation d’infirmières qui partaient travailler dans des régions reculées. » Tout en embrassant elle-même un énième cursus par correspondance (« Pratiques avancées pour infirmières »)! Quatre ans plus tard, elle rejoint le staff du centre médical de Menindee. Et passe un master d’infirmière praticienne, qu’elle termine en 2008.

Aborigènes et saisonniers

Barbara ne se compare jamais à un médecin : « J’ai certes beaucoup de compétences, je peux diagnostiquer, délivrer certains médicaments ou pratiquer quelques interventions, comme recoudre des plaies, mais je ne suis qu’infirmière ! Et les infirmières praticiennes servent aussi à combler le manque de médecins généralistes dans les régions reculées. » Son rôle est essentiel dans la petite communauté. « Nous avons en charge la population vivant dans un rayon de 100 km autour de notre localité ! précise-t-elle. Des Aborigènes (27 %), des saisonniers venus du sous-continent indien et du reste de l’Asie pour travailler dans les champs, les vignes et les vergers (6 %). » Chaque matin, l’équipe (en général, deux infirmières et deux aides-soignantes) se retrouve à 8 h 30 pour une petite réunion. « Nous parlons des patients et nous organisons la journée », explique-t-elle. L’accueil des patients s’effectue du lundi au samedi, de 9 heures à 17 heures. Les patients consultent. « Bien sûr, il y a des lits, mais les gens n’y restent que quelques heures. Soit ils vont mieux et rentrent chez eux, soit ils sont hospitalisés à Broken Hill ou ailleurs », commente Barbara. Ici, les journées ne se ressemblent jamais. « Nous pouvons recevoir jusqu’à 60 personnes par jour, la plupart sur rendez-vous. Mais il y a aussi les urgences », continue-t-elle.

Les six salles de soins ne désemplissent guère. L’une d’elles est destinée à la télémédecine. Le matériel est là, et les premiers essais ont démarré. « Cela va changer la vie de tant de patients qui, jusqu’à aujourd’hui, devaient dépenser des fortunes pour se rendre à Sydney ou à Adélaïde pour un simple examen chez un spécialiste », se réjouit l’infirmière. Des coûts qui, souvent, empêchaient les gens de se soigner correctement. Mais Barbara se déplace aussi chez les patients. Une cinquantaine par semaine. Ici, on compte les déplacements en heures. « Être infirmière ici ne peut être qu’un choix, admet Barbara, car c’est très dur. Nous avons la chance d’avoir une équipe unie et un staff médical très fidèle. La plupart des employés sont nés ici. »

Premiers secours

Quand elle ne soigne pas, Barbara se rend sur les fermes pour faire de la prévention. Sur l’alimentation, le surpoids, ou encore le diabète, un fléau majeur en Australie : « Cette maladie se propage surtout chez les Aborigènes, qui ont totalement abandonné leur nourriture naturelle pour celle achetée dans les magasins, industrielle et trop riche en sucre. » Mais d’autres thèmes sont abordés : « Nous sensibilisons les travailleurs aux problèmes dus à la chaleur, aux piqûres d’insectes ou de serpents. », ajoute-t-elle. Il est utile d’apprendre les gestes de premiers secours quand 70 ou 80 km vous séparent d’un soignant ! Parfois, l’urgence oblige à précipiter les prises de décision. « Nous avons de temps en temps des interventions à la limite de nos compétences. Pour y arriver, je dois avoir confiance dans le geste que je vais pratiquer, décrit Barbara. Je me souviens d’une infirmière qui avait travaillé dans le bush toute sa vie. Elle m’avait dit, alors que j’étais étudiante, que même si j’avais peur d’un geste, l’important était de ne pas communiquer cette peur au patient ! » « Mais il existe un autre exercice délicat, qui demande une très haute précision : celui qui consiste à communiquer à un médecin, par téléphone, l’état d’un malade ou d’une victime d’accident », ajoute Barbara.

Rapidité et précision

Pan essentiel de la médecine dans ces contrées reculées, les « médecins volants », Royal flying doctors (RFDS)(1), existent depuis la fin des années 1920. 21 bases et une cinquantaine d’avions – qui transportent chaque année plusieurs dizaines de milliers de patients – sont disséminés dans le pays. La plus proche se trouve à Broken Hill. En cas d’urgence, attaque cardiaque, accident de la circulation, une équipe médicale se déplace. Les avions peuvent atterrir ici, à Menindee, mais également sur les propriétés, pour la plupart équipées d’une piste d’atterrissage. Il existe un protocole, à respecter scrupuleusement. Faire vite, être précis devant les victimes. Pas question de faire venir un avion et toute une équipe pour des choses bénignes. « Au fil du temps, une certaine confiance s’installe entre les flying doctors et nous, ici, sur le terrain, constate l’infirmière. Si je leur dis de venir très vite, ils comprennent tout de suite la gravité de la situation. »

Barbara travaille quarante heures par semaine. Comme les autres infirmières, elle observe des soirs de permanence et, parfois, des nuits de garde. Et elle passe son temps libre à lire des ouvrages pour développer de nouvelles compétences ou se rendre à des conférences scientifiques aux quatre coins du pays. « C’est très important d’apporter ces connaissances nouvelles dans nos contrées, afin que la population profite aussi des progrès », confie-t-elle. La prochaine étape sera l’inscription à un doctorat « Philosophie et soins infirmiers ». Pour autant, elle ne quittera pour rien au monde l’outback. Elle se ressource avec ses chevaux. Et quelques livres scientifiques !

1– Les RFDS ont aussi des cliniques dans l’outback, et prodiguent des soins dans des zones où aucun centre de santé n’existe. Ils sont financés essentiellement grâce aux dons de particuliers et d’entreprises.

MOMENTS CLÉS

Barbara Turner

1978 Études d’infirmière à l’hôpital de Broken Hill pendant trois ans.

1983 Départ pour Sydney et études de sage-femme au sein d’un hôpital. Elle suit une spécialisation « Santé de la femme et de l’enfant ».

1993 Exerce dans le Queensland. Diplôme en sciences sociales.

2000 Retour à Broken Hill.

2003 Formation « Pratiques pour infirmières avancées ».

2004 Arrivée à Menindee.

2006 Formation « Éducation contre le risque du diabète ».

2007-2008 Master d’infirmière praticienne.

2009 Infirmière à Menindee.

Infirmiers praticiens

Ce projet a été étudié dans différents groupes de travail incluant des médecins, des infirmières ainsi que des usagers des services de santé. Les deux premiers postes ont été créés en 2001, dans l’État du New South Wales. Ces infirmières hautement qualifiées doivent justifier de plusieurs milliers d’heures de pratique en tant qu’infirmières diplômées (registered nurse, équivalent de l’IDE française) et obtenir un master à l’université.

Articles de la même rubrique d'un même numéro