Insomnies et travail - L'Infirmière Magazine n° 290 du 01/12/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 290 du 01/12/2011

 

DOSSIER

PRISE EN CHARGE

Insomnies et travail ne font pas bon ménage. Lorsque ce ne sont pas les rythmes de travail qui engendrent des troubles du sommeil, le stress ou l’ambiance professionnelle délétère y participent principalement.

Un Français sur cinq travaillerait en horaires décalés, soit plus de 6 millions de personnes, selon l’Inpes (Institut national de prévention et d’éducation pour la santé). Or, parmi les causes des troubles du sommeil chez l’adulte, le travail de nuit ou le travail posté sont les plus courantes. La conséquence la plus souvent observée de cette organisation du travail est une somnolence diurne excessive. En plus d’engendrer une sensation de mal-être chez ses victimes, cet état peut être la cause d’accidents graves.

L’insomnie psychophysiologique est une autre conséquence importante de ces rythmes décalés. Induite par des situations répétitives de conditionnement au réveil nocturne, elle amène le cerveau à anticiper ces réveils. Le signal du sommeil se trouve donc remplacé par un signal d’éveil.

Chez les travailleurs de nuit, intervient un autre mécanisme : l’obligation d’ignorer les signaux du sommeil pour se tenir éveillé, ce qui induira des problèmes d’endormissement les jours de congé. Moins reconnus, les rythmes dits « coupés », obligent les gens à travailler tôt le matin, à s’arrêter quelques heures sans moyen de rentrer chez eux pour se reposer, et à reprendre jusque tard le soir. À cela s’ajoute l’allongement croissant des temps de trajet domicile-travail, qui réduisent le temps de sommeil et participent à la perturbation du rythme nycthéméral. « Il faudrait que les employeurs comprennent que, contrairement à une machine, on ne peut pas nous arrêter avec un interrupteur, s’emporte le Dr Marc Rey, responsable du Centre du sommeil de l’hôpital de la Timone à Marseille. Le travail de nuit devrait être réservé à l’indispensable. » À défaut d’autres possibilités, le spécialiste enseigne à ses patients des techniques de sommeil « flash » ou « micro-siestes » pour limiter les nuisances. L’épisode de sommeil suivant une nuit de travail dépassant rarement 5 à 6 heures, il est recommandé de le compléter par une sieste de 1 à 2 heures. Pour dormir dans la journée, l’isolement sonore et une ambiance lumineuse minimale sont indispensables. Tout rendez-vous est à proscrire, évidemment, et les téléphones portables seront éteints. L’Inpes recommande une douche fraîche au retour du travail, « pour faire baisser la température du corps et favoriser ainsi l’endormissement ».

De manière générale, « la prise en charge des salariés exposés au travail à horaires atypiques, de par les conséquences qu’il entraîne, doit être pluridisciplinaire, avec, notamment, la participation de médecins spécialistes du sommeil », soulignait le Dr Éric Mullens, de la Fondation Bon Sauveur à Albi, lors d’un colloque organisé par l’Institut national de médecine agricole. Outre le rythme de travail, il convient de prendre en compte de multiples facteurs : individuels (âge, sexe, pathologies, type de dormeur…), domestiques…

Un problème de santé publique

Une prise en charge est donc essentielle compte tenu des risques que représente le travail en horaires décalés. Il peut être à l’origine de troubles cardio-vasculaires, favoriser obésité et diabète. En 2007, le CIRC a classé le travail posté comme cancérogène probable pour l’être humain. Par ailleurs, la somnolence serait responsable de 10 % à 30 % des accidents de la circulation. « Un véritable problème de santé publique », note Sophie Bryche, infirmière à l’Unité du sommeil du CHR de Lille. Des désespérés de l’insomnie, elle en voit de tous les âges « entre 2 ans et 100 ans ». Au sein du service, ça va de la simple consultation avec interrogatoire classique et conseils comportementaux à l’enregistrement des rythmes veille/sommeil sur 48 heures. « Chez les conducteurs d’engins ou les chauffeurs de poids lourds, on vérifie qu’il ne risque pas d’y avoir de problèmes de somnolence diurne », explique-t-elle, déplorant, cependant, que les médecins du travail ne prescrivent pas l’examen systématiquement lorsque les métiers sont à risque. Depuis 2002, les travailleurs de nuit bénéficient toutefois d’une surveillance médicale renforcée. À tout moment, il leur est possible de contacter le médecin du travail de manière à faire le point sur leurs problèmes de sommeil.

Lorsqu’il y a une plainte de somnolence ou de fatigue excessive, les salariés, qui se sentent rarement entendus, accueillent le diagnostic médical de troubles du sommeil avec un grand soulagement. « Chez nous, ils bénéficient d’une prise en charge globale ; ils se sentent vraiment écoutés », se félicite Sophie Bryche.

Le travail posté ou de nuit ne fait pas tout. Une mauvaise ambiance professionnelle, une surcharge de travail liée à l’absence d’un collègue, un problème de santé diminuant temporairement la capacité de travail, des soucis familiaux ou financiers jouent un rôle dans l’installation de l’insomnie. Dans un contexte de crise, un grand nombre d’insomniaques rapportent leurs problèmes de sommeil à des difficultés liées au travail. « L’acquisition accélérée de connaissances liées aux nouvelles technologies peut engendrer de véritables mécanismes de terreur », souligne Marc Rey. Un hiatus perçu par Françoise Le Hucher, infirmière du travail dans les Bouches-du-Rhône : « Imaginez une secrétaire qui travaille depuis vingt ans avec le même logiciel. Du jour au lendemain, on le lui change. Après une formation très courte, on s’attend à ce qu’elle soit aussi efficace qu’avant. C’est impossible ! Le travail engendre ainsi un processus d’angoisse qui peut mener aux insomnies, voire à la dépression », s’insurge-t-elle.

EN PRATIQUE

DES OUTILS D’AIDE AU DIAGNOSTIC

Divers outils complémentaires permettent de poser un diagnotic ou d’évaluer les risques de somnolence.

→ L’agenda du sommeil permet de repérer le rythme de sommeil du patient et les difficultés rencontrées. Il s’agit d’une grille horaire à remplir matin et soir. Le matin, au moyen de quelques signes, le patient décrit le déroulement de sa nuit. Le soir, il y signale les périodes de somnolence ou les siestes de la journée passée. Parmi les autres éléments récoltés, on évalue également la qualité du sommeil, la qualité du réveil et la forme dans la journée.

L’agenda de vigilance et de sommeil doit être rempli pendant une période de trois semaines minimum. Il peut également être nécessaire de réutiliser l’outil par la suite, de manière à observer l’efficacité des mesures mises en place.

Agenda du sommeil à télécharger sur le site du Réseau Morphée : http://bit.ly/uL8ABl.

→ L’échelle de somnolence d’Epworth permet d’évaluer le risque de somnolence diurne, c’est à dire la propension plus ou moins irrésistible à s’endormir si on n’est pas stimulé. Cet outil se présente sous la forme d’un questionnaire invitant à évaluer le rique de s’endormir dans huit situations : pendant la lecture d’un document, devant la télévision ou au cinéma, assis inactif dans un lieu public (salle d’attente, théâtre, cours…), au volant d’une voiture immobilisée depuis quelques minutes…

Pour chaque situation, une note de 0 à 4 est proposée. Un total supérieur à 15 révèle des signes de somnolence diurne sévère.

L’échelle de somnolence d’Epworth est utilisée, notamment, pour le suivi des salariés soumis au travail posté.

→ Elle peut être complétée par le questionnaire CARESSE, outil d’aide au diagnostic et d’évaluation du degré de somnolence du patient.