La double vie de Cendrio - L'Infirmière Magazine n° 288 du 01/11/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 288 du 01/11/2011

 

SUR LE TERRAIN

RENCONTRE AVEC

Infirmier depuis une vingtaine d’années, Emmanuel Travier a aménagé sa carrière pour s’adonner à la musique. Déjà quatre albums à son actif, de nombreux concerts, et l’espoir de percer les portes du monde de la chanson.

Au milieu de la campagne angevine, un moulin à vent abandonné qui fait face à une vieille bâtisse, « la Maison du meunier ». Une petite salle de concert associative qui accueille des artistes locaux. Le son d’une batterie s’échappe des fenêtres grandes ouvertes. En cette fin d’après-midi, un trio de musiciens (guitare acoustique, basse, batterie) peaufine le son et fait tourner un morceau. Avant le concert de ce soir, et en attendant le public, le chanteur Cendrio, alias Em­manuel Travier, se confie.

« Mon objectif professionnel était de devenir infirmier, raconte-t-il. J’ai échoué une première fois au concours d’entrée à l’école d’infirmiers, j’ai donc entrepris d’autres études, d’abord une formation et un diplôme d’ingénieur puis une spécialisation en “contrôle de processus micro-informatique”… Ensuite, je suis parti deux ans en coopération au Cameroun, comme professeur de mathématiques ! » À son retour, Emmanuel se retrouve sans travail et décide de tenter à nouveau le concours. Qu’il réussit. Le garçon, originaire des Cévennes, n’arrête pas la musique pour autant. « À cette époque, j’écrivais déjà des textes, c’était une passion », décrit-il. Il aime la chanson française, Brassens, Charlélie Couture ou Higelin. « Mais aussi Cabrel et Noir Désir ! Ma priorité, ce sont les paroles. Ensuite, viennent les musiques et la mélodie », précise-t-il. Son premier album(1) sort en 1997. « Je n’ai jamais envisagé de devenir artiste professionnel. Et ce premier opus ne m’a pas empêché de poursuivre ma carrière d’infirmier, d’autant que, dans la profession, le travail ne manque pas ! », observe Emmanuel. Intérim, remplacements… Il passe par tous les services : d’un centre de convalescence à un poste en entreprise, du bloc opératoire à la salle de réveil – « ce que je préfère, pour le rythme, la tension qui règne parfois dans ces services ! » Il a même exercé en libéral pendant une année. « Mais les horaires n’étaient pas compatibles avec ma pratique artistique », ajoute l’infirmier musicien.

Thèmes sensibles

Trois autres albums seront enregistrés, avec les mêmes méthodes : il écrit d’abord les textes, puis s’entoure de copains musiciens : « J’aime faire participer les personnes que j’apprécie, c’est un partage grâce auquel je peux m’ouvrir à d’autres horizons », explique Emmanuel. Tout est fait dans son home studio, chez lui, près d’Angers. Et, sur scène, il défend ses textes. De plus en plus de concerts l’obligent à aménager sa vie professionnelle. « Je ne veux toujours pas choisir entre l’une ou l’autre de mes activités, admet-il. J’aime beaucoup le monde médical. Et cela me permet de rencontrer des gens, de vivre des choses uniques qui m’inspirent beaucoup. » C’est d’ailleurs le cas pour un titre qui figure sur son dernier album, « Ma route », sorti en 2010. La chanson Fier a été écrite en collaboration avec Bertrand Louis (jeune chanteur et compositeur de la nouvelle scène française) : « Je pars, oui, je pars si fier/Si mon corps est à l’agonie, ta main, ton regard me suffit/Je suis là et je ne suis plus jaloux […] Quand ils pousseront la seringue/Je quitterai cette vie de dingue/Je laisserai filer mon pouls… » « Elle évoque un thème sensible dans notre société : l’euthanasie, commente le chanteur. C’est une situation à laquelle on peut être confronté dans la profession d’infirmier, celle d’un patient qui ne veut plus vivre. » « Ce n’est pas une chanson partisane, prévient-il cependant. Honnêtement, j’ai du mal à me positionner sur un tel sujet. » Depuis ce dernier disque (le premier sous son nom de scène, Cendrio, « qui ne veut absolument rien dire, mais cela se retient ! »), la musique a encore grignoté du temps sur son métier. « Je pourrais mettre ma profession entre parenthèses, explique-t-il. Mais, pour l’instant, je joue encore la sécurité. » Emmanuel ne travaille plus que deux jours et demi par semaine. Il est en poste dans un centre de médecine préventive, en Maine-et-Loire : « Nous installons notre unité mobile dans les coins reculés du département et nous réalisons des bilans de santé des patients. Je fais aussi de la formation auprès des jeunes pompiers et, parfois, des remplacements dans des institutions. » Une activité professionnelle qui lui laisse une longue plage, du jeudi soir au dimanche, pour se consacrer entièrement à la chanson. « Quand je quitte le milieu infirmier, je me plonge dans la musique, l’écriture…, mais aussi dans le démarchage de salles, la communication, les affiches… Nous faisons entre 40 et 50 concerts dans l’année ! », s’exclame-t-il. Avec son ami et guitariste Lucas Sanchez, ils ont créé un label. Les chansons sont toujours enregistrées à la maison, pour limiter les frais. « Mais, pour “Ma route”, nous avons fait appel à Gilles Martin, qui travaille le son de Dominique A, d’Indochine ou encore de Claire Diterzi. Si l’on veut passer en radio, il faut que ça sonne », continue le musicien.

Un chemin sinueux

Emmanuel/Cendrio a la foi même si, sous l’accent chaleureux, transparaît une petite déception quand il évoque le sort réservé à ses chansons : « En radio, elles trouvent place sur les stations locales, mais la difficulté est de passer sur les “grandes stations”. » Un milieu de réseaux où il faut avoir des connaissances, c’est ainsi qu’il résume la situation. « Arriver à tirer son épingle du jeu dans le milieu artistique tient du miracle », reconnaît-il. Ses disques ne sont que peu distribués. Il y a un côté artisanal dans la diffusion de sa musique. « J’envoie mes CD aux maisons de disques. Je n’ai jamais eu une seule réponse ! », regrette l’artiste. La plupart des textes sont inspirés par la vie, la nature et les choses simples du quotidien. Certains morceaux, comme Le voyage de Stevenson (hommage à l’écrivain voyageur qui sillonna les Cévennes), ou Paris-Montpellier, attestent de la qualité d’écriture de Cendrio. Peut-être lui manque-t-il encore quelques trouvailles, un déclic, pour percer ? Sa vie résonne comme le titre de son disque. Sinueux, le chemin vers les sommets peut être long, et il le sait. Quelques articles dans la presse, plutôt sur des webzines. Quelques-uns de ses vidéo-clips ont été diffusés sur TV7 ou sur d’autres chaînes du câble. Avec sa bande, il va bientôt s’attaquer au prochain enregistrement. Parmi les chansons déjà écrites, l’une d’elle parle des enfants soldats : « Un thème qui me touche particulièrement et qui m’a inspiré un texte. D’ailleurs, ce sera l’occasion de faire un duo avec… » Il n’en dira pas plus pour le moment : « Honnêtement, si, un jour, mes disques marchent, j’arrête mon métier d’infirmier, avoue le Cévenol, les yeux brillants. Mais, en attendant, j’adore cette double vie. »

Emmanuel oublie d’évoquer deux autres activités importantes dans sa vie. Il est également infirmier-pompier volontaire et effectue ponctuellement des gardes au sein d’une caserne. Enfin, il anime des ateliers d’écriture de chansons pour des jeunes et des enfants. « Je viens d’en faire un dans un lycée d’Angers, autour des conduites addictives. Du coup, ma double casquette était parfaite », s’exclame-t-il.

La nuit a enveloppé la Maison du meunier. Quelques dizaines de spectateurs assistent au tour de chant. Des amis ou des voisins venus par curiosité. Sur la petite scène, les trois compères font le spectacle. Les applaudissements sont nourris. Cendrio est heureux, ravi d’avoir un public attentif, chaleureux : « Un concert, c’est à chaque fois l’inconnu. La plupart du temps, les gens ne me connaissent pas, alors il faut que je me donne à fond, que je leur parle. » Quand le dernier morceau s’est envolé, que le dernier spectateur est parti, le chanteur et ses acolytes doivent encore ranger le matériel. Lundi, Cendrio redeviendra Emmanuel. La blouse blanche remplacera le costume de scène. Jusqu’au prochain concert. Mais, chaque soir, Emmanuel griffonnera quelques mots sur son carnet. Nourri par un quotidien dont il tirera de nouvelles paroles.

1– Discographie, clips et dates sur son site : http://cendrio.com

MOMENTS CLÉS

1992 à 1995 Il étudie à l’Ifsi de Nîmes et obtient son diplôme d’État d’infirmier.

1997 Sortie de son premier album, « Sur le même trottoir ».

1998 Infirmier au centre de transfusion sanguine de Poitiers.

2002 Sortie du second album, « Sept couleurs ».

2004 Infirmier sapeur-pompier volontaire à Angers.

2006 Sortie du troisième album, « Les Rayures ». Intervenant en formation continue sur le thème de la sénescence.

2007 Concerts au Limonaire, à Paris.

2010 Sortie du quatrième album, « Ma route ». Infirmier à mi-temps à l’Irsa (Institut interrégional pour la santé).

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