Faut-il loger avant de soigner ? - L'Infirmière Magazine n° 288 du 01/11/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 288 du 01/11/2011

 

PSYCHIATRIE ET PRÉCARITÉ

RÉFLEXION

La France conduit un programme destiné à améliorer le parcours des personnes sans abri souffrant de maladies psychiques sévères. Ce dispositif prône l’accès au logement avant toute autre prise en charge. Si le Dr Estecahandy en est partie prenante, le Dr Morcellet émet des réserves.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : À votre sens, quelle est la priorité dans la prise en charge d’un patient SDF présentant des troubles psychiatriques ?

PASCALE ESTECAHANDY : Je préfère parler d’accompagnement médico-social, vu que ce genre de travail s’effectue en pluridisciplinarité. Je tiens aussi à signaler que ma réponse concerne les situations « hors urgences » car les urgences disposent déjà d’un dispositif adapté. En effet, que ce soit pour un infarctus ou des bouffées délirantes, on sait faire. Ce qui est compliqué réside plus dans le suivi. Pour y parvenir, il faut, au minimum, que la personne puisse s’extraire de sa propre urgence de vie. Un « chez-soi », c’est un endroit où l’on se pose et où l’on se sent en sécurité. Il faut savoir que les personnes qui vivent dans la rue sont agressées de manière beaucoup plus importante que les personnes logées. En fin de compte, la question sous-jacente serait : comment s’inscrire dans un parcours de vie dans lequel il peut être important d’aller mieux ? Prendre soin de soi passe par des éléments de soin, naturellement, comme un traitement et des mesures d’hygiène, mais aussi par de la sociabilisation. Avaler un neuroleptique et rester dans son appartement, ce n’est pas une fin en soi. Si les personnes présentent encore des symptômes sans que cela les empêche d’avoir des relations avec le monde extérieur, d’avoir une vie agréable dans laquelle elles se sentent bien, c’est le principal.

PIERRE MORCELLET : De notre point de vue d’équipe mobile, il faut d’abord réussir à convaincre la personne de nous rencontrer, gagner sa confiance. Il y a un temps d’apprivoisement qui ne doit pas être intrusif. Plus le patient est précarisé et désocialisé, plus il faut prendre de précautions. D’où l’importance du travail effectué en amont par le travailleur social. Cette rencontre nous permet ensuite d’évaluer l’état de la personne, de faire un diagnostic. On parle avec le sujet de sa situation, qui pourrait s’améliorer avec des soins. Parfois, il a de très mauvais souvenirs de la psychiatrie, il faut donc aussi travailler cela. Si, à un moment, la personne arrive à se projeter dans l’avenir et s’approprie l’idée qu’avec des soins, elle pourrait atteindre un mieux-être, on essaie de l’accompagner et de faire la passerelle vers le CMP (centre médico-psychologique, ndlr). Ramener une personne vers le parcours de soins peut prendre beaucoup de temps… C’est pour cela que nous employons la méthode de « l’aller vers ». Il s’agit aussi de fournir un soutien aux équipes sociales et, en cas d’urgence, de faire le mieux possible le lien entre le social et le sanitaire. Par ailleurs, nous tenons à développer un travail en réseau. Comme nous restons conformes à la logique des secteurs, nous tâchons d’avoir un référent précarité dans chacun d’eux.

L’I. M : Dans ce contexte, que représente le logement ?

P. M. : Habiter quelque part nécessite une capacité. La problématique relève, d’une part, de l’accès au logement, et, d’autre part, de la difficulté subjective d’une personne seule à habiter… On peut se sentir comme un cadavre dans son logement. Sans relation interpersonnelle, l’appartement est perçu comme un cercueil. Si, au terme de l’accompagnement, on trouve un espace habitable – pas forcément un logement bourgeois – où la personne se sent bien, l’habitation peut se concrétiser. Ce travail d’accompagnement est important. Je pense encore à ce patient psychotique chronique qui, au bout de bon nombre de démarches avec des travailleurs sociaux, avait obtenu un logement. Le jour de son emménagement, quelqu’un lui a dit : « Tu as un point de chute maintenant ». Ce dernier l’a pris au pied de la lettre. Le soir même, il a sauté par la fenêtre…

P. E. : Le logement, c’est un déterminant de la santé. Je ne parle pas forcément du logement « bourgeois » classique, avec quatre murs, etc., mais du fait d’avoir un endroit à soi quel qu’il soit. Pour certains, ce sera une tente, pour d’autres, une caravane ou un lieu communautaire… Chacun envisage l’endroit où il est bien, tout en tenant compte de ses moyens financiers. En fait, le logement est étroitement lié à la question de la sécurité et de l’intimité. Quand on n’a aucun de ces deux éléments, on ne peut pas être bien.

L’I. M. : Par rapport aux dispositifs préexistants, qu’apporte l’opération « Un chez-soi d’abord »?

P. E. : Elle inverse le process. Jusqu’à aujourd’hui, en France, il faut montrer qu’on est capable d’habiter pour habiter. Cela signifie se soigner, arrêter les consommations… Une personne qui a de l’argent et se saoûle tous les jours ne sera pas virée de son appartement. En revanche, si cette personne est à la rue, il faudra qu’elle prouve qu’elle est capable de ne pas boire pour avoir un logement. En somme, en plus d’être à la rue, malade, etc., elle doit montrer qu’elle est capable de se soigner pour avoir accès à la sécurité et à l’intimité ! Nous sommes dans un système très normatif. Lorsque les gens sont dans la rue, ils ne sont pas dans la norme, pour une raison ou pour une autre. Et on leur dit : « On veut bien vous réinsérer mais, pour cela, il faut que vous prouviez que vous êtes réinsérables. » C’est absurde ! Il faut qu’ils soient au top pour accéder au minimum. En plus, il s’agit d’essayer d’entrer dans un système qui, souvent, les a rejetés… C’est le parcours du combattant. À cela s’ajoute le fait qu’on leur interdit l’échec. Quand on entre dans le circuit du social, il faut montrer patte blanche tout le temps. Une personne qui buvait et qui se remet à boire est considérée comme une catastrophe, dans le social et dans le soin. C’est la peur de l’accompagnant. Pourtant, dans la vie, combien d’entre nous connaissent, dans leur entourage, des situations problématiques de ce genre ?

P. M. : Il est évident que laisser une personne sans logement, c’est destructeur. Les équipes sociales le savent. C’est d’ailleurs pour cela qu’elles font tout pour éviter de dépasser un délai trop long, qui peut engendrer des séquelles graves. L’intérêt de « Un chez-soi d’abord » n’est pas tant d’innover, car il existe déjà des dispositifs comme les appartements associatifs ou thérapeutiques, chacun ayant ses spécificités. Par exemple, les appartements thérapeutiques équivalent à une hospitalisation sur le plan administratif. L’intérêt de cette opération réside donc plus dans le fait qu’elle met le projecteur sur un public souvent oublié et sur la pénurie de logements. Cette initiative pose toutefois un problème. Étant associée à un travail de recherche, elle implique la création de deux types de publics : un groupe qui bénéficie de logements et un groupe témoin… Les patients qui font partie du second groupe peuvent très mal le vivre. Alors qu’ils sont soumis à des aléas en permanence, on les a fait entrer dans un dispositif qui aurait pu leur permettre d’obtenir un logement pour, finalement, les laisser dans le groupe témoin…

L’I. M. : Le rétablissement est-il possible ?

P. M. : Si quelqu’un est en désespérance, dans la honte de sa situation, mais qu’il retrouve sa capacité à nouer du lien social, j’appelle cela être en « bonne santé ». En revanche, lorsqu’une personne a des idées noires, même si on lui démontre par A + B que sa situation n’est pas si catastrophique et qu’elle peut remonter la pente, je considère qu’elle est malade.

P. E. : Il faut partir des compétences des personnes, éviter de se concentrer sur ce qu’elles n’ont pas (travail, logement). La société réduit les espaces de liberté et pousse parfois au burn-out. Si nous partons du principe que les gens sont les mêmes, que nous leur apportons autant qu’ils nous apportent, le rétablissement est possible. Les gens que l’on accompagne ne sont pas des handicapés sociaux.

DR PASCALE ESTECAHANDY

MÉDECIN GÉNÉRALISTE

Coordinatrice du réseau ville-hôpital « accès aux soins des personnes démunies » du CHU de Toulouse, elle supervise aussi le dispositif « Un chez-soi d’abord », lancé en janvier 2011 à Marseille, Toulouse, Lille et, bientôt, à Paris.

DR PIERRE MORCELLET

PSYCHIATRE

Responsable de l’équipe mobile psychiatrie-précarité du centre hospitalier Édouard-Toulouse à Marseille (13), il intervient également en CMP. Il est l’auteur d’un article paru dans la revue Vie sociale et traitement dans lequel il examine la notion de soin et analyse la mission des équipes mobiles.