Après l’hôpital, la plage - L'Infirmière Magazine n° 288 du 01/11/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 288 du 01/11/2011

 

PÉDIATRIE

SUR LE TERRAIN

ENQUÊTE

Les séjours thérapeutiques apportent aux enfants hospitalisés une respiration dans le quotidien des traitements et une expérience qui pourra leur permettre de mieux vivre avec ou après leur maladie. Ils permettent aux soignants d’installer avec eux une nouvelle relation, plus libre.

Leur faire oublier l’hôpital… C’est l’un des enjeux, et pas le moindre, des séjours thérapeutiques. Ils doivent se dérouler sous un contrôle médical sans faille, d’où l’importance d’une préparation minutieuse avant le départ. L’as­sociation « À chacun son Everest ! » accueille dans sa maison, à Chamonix, des enfants et des adolescents en rémission ou guéris de leur cancer. Pendant une semaine, ces derniers partagent une aventure au contact de la montagne afin de se reconstruire physiquement et psychologiquement. Les équipes médicales de 22 services hospitaliers proposent aux jeunes de partir avec l’association, après la période lourde des traitements, quand ils ont retrouvé une forme physique leur permettant de faire un effort. Le Pr André Baruchel, chef du service de pédiatrie hématologique des hôpitaux Saint-Louis et Robert-Debré (AP-HP), valide personnellement les dossiers médicaux des enfants et des adolescents qui partiront avec « À chacun son Everest ! ». « La rigueur que nous devons observer en aval est fondamentale, explique le professeur. L’oncologie est une médecine pour laquelle nous devons prendre en compte de multiples paramètres. En fonction des protocoles dans lesquels se trouve l’enfant, on peut prévoir son état de santé. Nous avons une check-list à respecter afin d’anticiper au maximum les problèmes médicaux. J’interagis beaucoup avec les services qui nous envoient les dossiers d’inscription. »

Professionnels volontaires

Chaque année, l’hôpital Robert-Debré organise la « Régate des oursons ». Une cinquantaine d’enfants partent pendant quatre jours sur les côtes bretonnes et découvrent les plaisirs de la voile. Les candidats au départ sont choisis par les équipes des différents services de l’hôpital, en fonction de critères sociaux et psychologiques, et à condition que leur état de santé soit stabilisé. Ils sont accompagnés par une vingtaine de professionnels volontaires de l’hôpital, toutes professions confondues. Annie Escot, cadre de santé, est l’une des deux organisatrices de cette régate : « Une fois que l’accord médical est donné, on met au point l’ensemble de ce qui est nécessaire pour qu’un enfant puisse partir, avec, autour, toute la sécurité que cela nécessite. Par exemple, pour une jeune patiente trachéotomisée, qui doit “être aspirée” régulièrement, il sera indispensable qu’une infirmière spécialisée du service qui la suit reste en permanence à ses côtés. » Le séjour est anticipé pour chaque patient, en fonction de sa pathologie. Médicaments, oxygène, aspirateur de mucosités, tensiomètres et blouses stériles sont apportés sur place. De manière générale, une infirmière prend en charge cinq enfants. Durant le séjour, la vigilance est de mise. Pendant les activités en mer de la Régate des oursons, placées sous la surveillance de la SNSM (Société nationale de sauvetage en mer), un médecin assure une présence permanente sur un Zodiac, muni d’un sac d’urgence. Chaque bateau embarque un skipper, un co-skipper et au moins un accompagnant.

Les stages organisés par « À chacun son Everest » se déroulent sous la houlette d’une équipe complète de professionnels : médecin, infirmière, animateurs, encadrement de montagne. L’association a tissé des liens étroits avec le service de pédiatrie de l’hôpital de Sallanches pour faire face à tout problème médical pouvant survenir pendant le séjour.

Séjours de « répit »

Outre l’organisation médicale et logistique, le séjour demandera un travail de préparation avec les jeunes patients. À l’hôpital Necker, le Magec, centre de référence national des maladies génétiques à expression cutanée, organise des week-ends d’éducation thérapeutique et des semaines de « répit » pour les enfants atteints d’épidermolyse bulleuse ou d’ichtyose. Sarah Chaumon, infirmière « douleur », coordonne les séjours de répit, qui ont lieu dans un hôpital de pédiatrie et de rééducation de la région parisienne. Pour permettre aux enfants de vivre au mieux cette nouvelle prise en charge, elle rédige avec eux le livret de suivi qui les accompagnera pendant leur séjour. Les enfants y inscrivent leurs soins, la manière dont ils sont habitués à les réaliser, comment ils y participent, ce qu’ils peuvent faire et ne pas faire. « Pour moi, il est essentiel qu’ils puissent s’exprimer à ce sujet et se faire entendre, explique l’infirmière. Il y a des choses, importantes pour eux, qu’ils peuvent s’interdire de demander quand ils se trouvent dans une structure hospitalière. Par exemple, un enfant peut préciser qu’il n’aime pas être tout nu pendant les soins. Il sera alors possible de fragmenter ceux-ci en utilisant du linge ou une serviette pour couvrir certaines parties de son corps. Ce sont des détails importants pour les jeunes patients. » Dans le livret de soins, les enfants peuvent également préciser sur quelle partie de leur corps ils sont capables de passer leur crème, ou, d’une manière plus générale, ils peuvent indiquer qu’ils ne savent pas lire, ce qui est toujours difficile à confier à de nouveaux interlocuteurs.

Une préparation au séjour peut s’avérer d’autant plus utile que les enfants sont, dans un premier temps, particulièrement déstabilisés par la séparation d’avec leur famille. Par exemple, les troubles des enfants suivis par le centre Magec nécessitent des soins quotidiens qui, parfois, durent plusieurs heures et sont, en règle générale, prodigués par les parents. Même si les autres maladies demandent moins de soins, elles sont omniprésentes dans les esprits et ancrées dans la vie familiale. La clé des séjours thérapeutiques est d’éloigner les enfants du double cocon de la famille et de l’hôpital. Hélène Dufresne, responsable de projet au centre Magec, insiste sur l’importance de la séparation d’avec la famille, et de la socialisation : « Il est important pour ces enfants, qui mènent une vie particulière, de se retrouver en groupe, d’interagir, de rencontrer d’autres adultes que leurs parents, dans un autre cadre, avec d’autres règles de vie. Pour beaucoup d’entre eux, il s’agit d’une première séparation. Cela peut représenter une expérience effrayante, vécue bien plus tôt par les enfants bien portants. Je crois que même si les enfants ne restent pas pendant tout le séjour, ou qu’ils annulent au dernier moment, c’est déjà une réussite. »

« Beau, bronzé, musclé »

Ces séjours permettent de pallier un manque profond, ressenti aussi bien par les jeunes patients que par leur famille. Comme en témoigne la mère de François, parti avec la Régate des oursons après un lourd traitement pour une leucémie, « cela fait du bien qu’il vive quelque chose comme les autres enfants ». François, le regard pudique et malicieux, est réticent à évoquer sa maladie et l’importance qu’a pu avoir pour lui son séjour en bord de mer avec l’hôpital, et préfère plaisanter au sujet de son changement physique de ces derniers mois : « Avant, j’avais une grosse tête bizarre, maintenant je suis beau, bronzé et musclé. » Ce qui ne l’a pas empêché de faire un discours très émouvant à la fin de la régate en remerciant le personnel de Robert-Debré de l’avoir regardé comme un enfant et non comme un malade. Malgré l’appréhension que peut susciter la perspective de se retrouver en présence d’autres malades (voir encadré ci-contre) et de se rappeler l’hôpital, les enfants qui partent en séjour thérapeutique peuvent se trouver enfin dans une situation de « normalité », entourés d’autres jeunes patients. L’expérience commune de la maladie permet une sorte de compréhension immédiate entre les participants. Les enfants ne veulent pas évoquer les moments difficiles mais aiment passer du temps à échanger sur leur expérience. Les activités réalisées en commun aident à dépasser la maladie. Comme le résume Patrice Fiocconi, médecin urgentiste à Robert-Debré, qui accompagne la Régate des oursons, « le fait d’effectuer une sortie en groupe efface la pathologie. Au cours des activités, baignade, jeux, régate, chacun s’adapte, avec son trouble, sans rien demander à personne. Les activités communes banalisent le traitement et montrent à l’enfant qu’il peut faire autre chose avec sa maladie ». Bénédicte Bellal, infirmière dans le service d’orthopédie de l’établissement, relate l’expérience vécue lors d’une régate avec « une petite fille qui avait un problème à la vessie et que l’on devait sonder par le nombril. Camille ne supportait pas qu’on la regarde pendant ses soins. La première fois, les enfants ont eu le réflexe de sortir de la pièce, sauf une petite qui a voulu lui tenir la main. Lors du soin suivant, un petit garçon lui a raconté une histoire. À la fin du séjour, on pouvait sonder Camille n’importe où, même sur le bateau. » La beauté des lieux, les activités pratiquées, la bienveillance des encadrants participent du sentiment de légèreté qui parcourt une parenthèse que l’on pourrait qualifier d’enchantée. Si les séjours thérapeutiques permettent aux enfants de quitter leur quotidien de malades, ils les amènent aussi à vivre des sensations inédites. En témoigne cette image gardée par les soignants de Robert-Debré d’un enfant « débarrassé » de sa chaise roulante et se balançant au-dessus de l’eau, sur le filet d’un catamaran.

Ce rapport nouveau à la maladie, cet allégement résonneront encore longtemps après le séjour. Annie Escot l’explique : « Avec ce séjour, on construit quelque chose pour ces enfants, peut-être même un avenir intellectuel, pour leur permettre de grandir. »

Christine Janin, médecin et alpiniste, a fondé « À chacun son Everest ! » pour aider des enfants guéris de leur cancer ou en rémission à « guérir mieux ». L’association établit un parallèle entre les difficultés d’une ascension et celles du chemin vers la guérison. La semaine est construite comme une expédition. Les enfants redécouvrent progressivement leur corps à travers des activités variées (marche, escalade, via ferrata, accrobranche…), jusqu’à l’ascension de « leur Everest ». « Je les aide à retrouver une estime d’eux-mêmes, à prendre conscience qu’ils ont en eux des qualités qui sont celles des champions et qu’ils ne sont pas que des enfants malades, commente Christine Janin. Ils ont eu du courage, de la volonté au cours des épreuves qu’ils ont traversées. Ils sont souvent dans un sentiment d’infériorité, de honte, de désamour et de culpabilité. Cette expérience permet au jeune de faire le lien entre celui qu’il était avant et celui qu’il est devenu. Il peut se projeter dans l’avenir. »

« Ne plus se cacher sous la blouse »

Les professionnels qui participent à ces séjours vivent pleinement le plaisir des moments partagés avec les enfants. Ils insistent sur le bénéfice que leur apporte le changement de regard des jeunes sur eux, comme l’exprime Bénédicte Bellal : « Cela fait du bien de ne plus se cacher sous la blouse, de jouer le rôle de copine, de maman et, en dernier lieu, de soignante. »

Le fait de partager le quotidien rend les soignants accessibles, les enfants posent des questions qu’ils n’osent pas formuler dans un contexte plus institutionnel. Patrice Fiocconi avance également comme élément positif le fait que « grâce à ces séjours, nous voyons comment les enfants vivent leur traitement ». Autre bénéfice unanimement salué par les soignants, la disparition de la hiérarchie. Les liens personnels se resserrent, liés à des souvenirs forts. Annie Escot souligne l’importance du contact avec les enfants pour des professionnels hospitaliers, comme les ouvriers, qui ne sont généralement pas amenés à rencontrer les jeunes et qui peuvent ainsi savoir pour qui ils travaillent. « Ces séjours permettent aux infirmières d’être mises en présence d’enfants pris en charge sur le long terme, ajoute le Pr André Baruchel. Elles les voient lors de leurs passages dans les services, à des moments difficiles. C’est important qu’elles se retrouvent face à des enfants guéris. C’est ce que nous, les médecins, pouvons vivre, grâce aux consultations : une sorte de bénéfice secondaire qui nous aide à encaisser la violence du travail au quotidien. » Élisabeth Van Kemmel, aide-soignante à l’hôpital Robert-Debré, résume en quelques mots l’enthousiasme unanime des soignants qui ac­com­pagnent ces séjours : « Cela réconcilie avec la vie, avec la maladie et avec notre travail. Nous voyons des enfants qui s’en sortent. »

FINANCEMENT

L’importance du mécénat

L’association « À chacun son Everest ! » est soutenue depuis sa création par un laboratoire et a noué d’autres partenariats de sponsoring, notamment pour le matériel, le transport et la nourriture. Des dons complètent ces partenariats. Les séjours du Magec ont lieu grâce à des financements du secteur privé ou associatif, et sont accueillis à titre gracieux dans un établissement thermal pour les week-ends d’éducation thérapeutique. La Régate des oursons est financée par l’association Robert-Debré, l’opération Pièces jaunes, le Lions Club et le soutien de fondations d’entreprise.

TÉMOIGNAGE

« Je n’oublierai jamais ces trois jours »

FLAVIE, 16 ANS A PARTICIPÉ À LA RÉGATE DES OURSONS

« J’ai deux maladies et je dois aller à l’hôpital tous les six mois. J’ai su que je participais à la Régate des oursons deux jours avant le départ. Au début, je me suis dit que ça n’allait pas être bien, partir comme ça, avec l’hôpital. J’avais l’intention de faire la tête. En plus, j’étais une des plus âgées du groupe. Le premier jour, au déjeuner, j’ai mangé seule dans mon coin. Yasmina(1) est venue discuter avec moi. Ensuite, Bintou et Joyce sont aussi venues vers moi. Le soir, j’ai commencé à parler avec tout le monde. Puis, on a fait du bateau ensemble, on a visité une île, on a fait une boum. Je n’oublierai jamais ces trois jours. D’abord, j’avais peur, je n’avais jamais vu autant de malades. En même temps, je me sentais bien avec eux. On parlait ensemble de notre maladie. J’ai eu l’impression de pouvoir parler sans qu’on me regarde en se disant “c’est quoi cette fille, qu’est-ce qu’elle a ?”. Je me suis sentie mieux là-bas. C’était la première fois que je laissais mon père et mon petit frère. Ce séjour m’a permis de plus m’ouvrir aux autres. »

1– Jeune adulte partie adolescente avec la Régate des oursons. Aujourd’hui, elle accompagne les séjours.

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