Un scan très contrasté - L'Infirmière Magazine n° 287 du 15/10/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 287 du 15/10/2011

 

TOUR D’EUROPE

DOSSIER

L’intégration universitaire a commencé chez nos voisins, mais le manque d’homogénéité entre les diverses formations est patent.

Faut-il avoir le bac pour être infirmière ? Le premier cycle universitaire existe-t-il, et si oui, est-il obligatoire pour exercer ? L’organisation des études paramédicales est-elle homogène au niveau national ou dépend-elle du bon vouloir des collectivités territoriales ou des communautés linguistiques ? Ces questions appellent presque toujours des réponses différentes selon le pays où elles sont posées. En dépit d’une inspiration commune, celle des accords de Bologne, en 1999, le tour d’Europe des formations s’avère très dépaysant.

La Belgique à la carte

« Nous n’avons pas cette épée de Damoclès au-dessus de la tête… » Ces mots sont d’une formatrice belge francophone, surprise de constater la rapidité avec laquelle ses collègues françaises sont contraintes de trouver des partenariats entre leur institut et les universités. Les écoles d’infirmières, en effet, sont libres de signer ou non ces partenariats. Un des seuls exemples connus (encore au stade expérimental) est celui de l’Institut supérieur d’enseignement infirmier (Isei), qui a signé un accord avec l’Université catholique de Louvain, dont certains locaux se trouvent dans le même quartier, à Bruxelles. Si les infirmières francophones ou néerlandophones peuvent librement exercer dans tout le pays avec leur diplôme, l’autonomie des communautés linguistiques en matière d’enseignement fait régner la confusion, avec un « brevet d’infirmière hospitalière », accessible sans bac, et un diplôme d’« infirmière graduée » reconnu au niveau licence. Cette coexistence est un sujet de friction récurrent avec la Commission européenne, qui réclame un programme fédéral. Côté recherche, la Flandre a pris de l’avance : « Du côté francophone, la “clinique infirmière” est une option du deuxième cycle en santé publique, et les doctorats sont une option en sciences de la santé publique ou en sciences médicales, note Miguel Lardennois, fonctionnaire de référence des autorités de la santé publique pour la pratique infirmière. Du côté flamand, il existe depuis cinq ans un master en sciences infirmières ainsi qu’un troisième cycle (PhD). À ce jour, trois universités flamandes et une francophone ont développé un pôle de recherche. » D’autres voisins sont à la traîne : au Luxembourg, où la formation infirmière dure quatre ans, le premier cycle universitaire n’existe tout simplement pas.

L’Allemagne conservatrice

Outre-Rhin non plus, pas de formation totalement homogène. « Globalement, la situation est la même dans tout le pays, mais, selon le Land, les programmes et le degré d’intégration dans le système d’enseignement public varient », note Franz Wagner, directeur du centre de collaboration entre l’OMS et l’Association des infirmières allemandes. La formation infirmière (qui nécessite seulement un niveau de classe de seconde) est régie par une loi fédérale mais organisée par les Länder. Après un cursus de trois ans, les infirmières passent un examen national, et leur Land leur remet un diplôme les autorisant à exercer dans tout le pays. La formation se déroule dans des écoles non intégrées à l’université, rattachées à un hôpital. Dans certains établissements, les études commencent par un stage de six mois. La profession, peu valorisée, a néanmoins entamé un processus d’« académisation » dans les années 1990 avec l’introduction de sciences infirmières dans plusieurs universités. « Il s’agissait de programmes pour la formation des professeurs… L’idée était que le métier d’infirmière devienne une profession en formant sa propre relève », note Thomas Foth, infirmier allemand devenu professeur adjoint à l’école des sciences infirmières à l’université d’Ottawa, au Canada. Quant à la recherche, « elle se développe rapidement dans certaines universités allemandes, indique-t-il. Néanmoins, « le système allemand souffre du conservatisme qui frappe les activités devenues essentiellement féminines, du fait de leur histoire, estime-t-il. Elles ne peuvent jamais dépasser un certain niveau de qualification ».

Le paradis suisse

En Suisse francophone, les infirmières sont formées dans des « hautes écoles de santé » (HES) assimilées à l’université. « La plupart des “anciens” enseignants ont dû acquérir une licence en sciences de l’éducation ou équivalent, indique Laurent Chabal, infirmier suisse francophone. La formation la plus en vogue est le master en sciences infirmières, comme celui de Lausanne. » La Suisse alémanique, elle, fonctionne sur un système mixte, avec 10 % des établissements calqués sur le modèle francophone, et les autres ayant un niveau d’« école spécialisée ». Les deux diplômes sont reconnus dans tout le pays, seule la mauvaise maîtrise de la langue en vigueur pouvant empêcher d’exercer.

L’avance ibérique

En Espagne, les études paramédicales sont intégrées à l’enseignement supérieur universitaire depuis le retour à la démocratie. Mais, comme l’a rappelé Luis Cibanal, de l’université d’Alicante, lors d’une rencontre organisée par le Cefiec et la Fédération européenne des enseignants en soins infirmiers, en mars dernier, l’enseignement théorique était, à l’origine, assuré par les médecins. « C’est en 2000 que le ras-le-bol d’être considérés comme des soignants de seconde classe s’est exprimé, et qu’est née la revendication d’une recherche infirmière autonome », indique-t-il. À présent, le pays dispose d’une filière complète de sciences infimières, allant jusqu’au doctorat.

Au Portugal, l’intégration dans l’enseignement supérieur a débuté dès 1988 ; le master en soins infirmiers a été mis en place en 1992, et la licence pour les infirmiers en soins généraux sept ans plus tard. Le doctorat en sciences infirmières existe depuis 2001.

Réforme sauce british

Jusqu’ici, deux formations cohabitaient pour les infirmières du National Health Service (NHS), le système public de santé britannique : un certificat (diploma) obtenu en trois ans, ou un diplôme (degree), en quatre, comprenant davantage d’enseignements académiques. Autrefois formées sur le tas par les hôpitaux eux-mêmes, les infirmières ont été intégrées à l’université au cours des années 1990, dans le cadre du « Project 2000 », très décrié par les associations de patients qui se plaignaient que les soignantes soient devenues « too posh to wash or too clever to care » (« trop snobs pour nettoyer ou trop intelligentes pour prendre soin »). Le vent de la réforme souffle aussi outre-Manche. Dès cette année, certaines universités ne proposeront plus que le degree, et, en septembre 2013, le diploma aura disparu. « Un des grands problèmes posés par cette réforme est que les bourses (6 ? 000 livres par an pour le “diploma” et 4 000 livres pour le “degree”) vont disparaître. Les étudiants infirmiers devront se contenter d’une bourse réduite », commente Colin Parish, journaliste au Nursing Standard, magazine édité par l’ordre infirmier britannique. À noter que des masters permettent aux infirmières de poursuivre leur formation théorique et pratique.

La Grèce à la diète

En Grèce, les deux formations proposées (universitaire, ou au sein des « instituts d’enseignement technologique ») donnent droit à deux diplômes différents. « Dans les faits, les droits professionnels sont les mêmes, mais le diplôme universitaire offre davantage de possibilités en termes de promotion professionnelle », indique Tassos Philalithis, directeur des études du master en santé publique et gestion des soins de santé à l’université de Crète. Dans les deux cas, il est nécessaire d’obtenir le bac pour s’inscrire. Le programme est le même dans toutes les écoles supérieures, et les deux sections universitaires qui délivrent des titres en soins infirmiers déterminent leur propre programme d’études. Très clinique dans les instituts, fortement théorique dans les universités, l’enseignement dispensé varie beaucoup, au point que certains plaident pour un rapprochement des deux cursus. À l’heure de la crise de la dette, les futurs infirmiers grecs s’apprêtent à vivre un autre type de réforme : austérité et retour du chômage. « Le recrutement de personnel enseignant est désormais limité », note Tassos Philalithis, qui évoque aussi le non-remplacement des infirmières partant à la retraite dans le public et les risques de licenciement dans le privé.