Des attentes déçues - L'Infirmière Magazine n° 287 du 15/10/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 287 du 15/10/2011

 

RÉFORME

DOSSIER

Alors que les premiers étudiants concernés par le passage au système LMD entrent en dernière année, la profession semble paralysée par le doute.

Génération sacrifiée ! », « Réforme bâclée ! », « Tuteurs non formés ! ». Les slogans agités par les étudiants en soins infirmiers, inquiets de se retrouver en première ligne pour affronter l’inconnu, résument à eux seuls le sentiment qui domine : celui d’un immense gâchis. Comment la reconnaissance du diplôme d’État à bac + 3, revendication historique du mouvement étudiant depuis plus de dix ans, a-t-elle pu susciter autant de crispations à l’heure de son aboutissement ? Comment la Fnési (Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers) et le Cefiec (Comité d’entente des formations infirmières et cadres), main dans la main pour réclamer le passage au LMD, se sont-ils retrouvés d’accord pour dire leur hostilité aux modalités de la réforme proposée ? Les questions soulevées par le nouveau référentiel de la formation, qui, en vertu de son application progressive, concernera cette année tous les étudiants en soins infirmiers, sont nombreuses. Tour d’horizon des principaux points d’achoppement.

Les cours en vidéo sont sans doute l’un des sujets les plus sensibles, illustrant la cruelle déconvenue après les espoirs suscités par la réforme. Les universitaires sont chargés de dispenser au moins 75 % des cours prévus par les unités d’enseignement 1 et 2 (sciences humaines et sociales, droit ; sciences biologiques et médicales). Ce dispositif, censé apporter une légitimité universitaire à la profession, et ouvrir la voie de la recherche, est mis en difficulté par le maillage territorial des instituts de formation : les Ifsi isolés en territoire rural peinent à trouver des universitaires disponibles pour y donner cours.

Numérique… mais peu interactif

La solution trouvée ne rencontre guère de partisans : le télé-enseignement, c’est-à-dire des cours organisés par vidéoconférence par un professeur se trouvant dans une autre ville. Et l’impression, pour nombre d’étudiants en soins infirmiers, d’être dévalorisés par un système les privant de toute interactivité, sans parler des pannes à répétition et des difficultés de liaison observées dans certains instituts. En Aquitaine, plusieurs Ifsi ont même proposé des cours sur DVD, indique la Fnési, qui critique, ainsi, le caractère « antipédagogique » du dispositif. « Le problème est que l’enseignement à distance ne peut pas se concevoir comme un remplacement, c’est une autre façon d’enseigner qui doit être pensée en amont, estime Loïc Vaillant, enseignant hospitalo-universitaire en dermato-vénéréologie et président de l’université François-Rabelais, à Tours. La vidéoconférence ne permet pas, en général, l’interactivité avec l’enseignant. Lorsque je fais cours, les questions intéressantes sont souvent posées dans les cinq dernières minutes, lorsque les étudiants viennent parler au professeur à la tribune. » Aussi propose-t-il l’organisation de séminaires d’étudiants, comme cela se pratique dans d’autres matières, en sociolinguistique par exemple. Plusieurs fois dans l’année, les étudiants se réuniraient par groupes de quelques dizaines dans une ville, pour une durée de trois ou quatre jours, autour du professeur qui leur dispense le télé-enseignement. Ces quelques jours d’échanges auraient pour effet de compenser la faible interactivité le reste de l’année. Quant à la promesse du ministère de limiter à 30 % les cours universitaires donnés par vidéoconférence, Loïc Vaillant y voit « la réponse à une demande ». « Mais il ne s’agit pas seulement d’un problème quantitatif », ajoute-t-il.

Six stages, durant jusqu’à dix semaines… L’allongement des périodes passées sur le terrain suscite un découragement de certains étudiants, le stage devenant un calvaire lorsqu’il se déroule mal d’emblée. Mais, surtout, un surcroît de travail pour les équipes les accueillant, et, pour les tuteurs, un univers entièrement nouveau, avec la suppression de la mise en situation professionnelle (lire l’encadré p. 16) et l’introduction du portfolio, outil censé permettre d’évaluer l’acquisition, par l’étudiant, des dix « compétences transversales », base de la nouvelle approche de la formation. Problème : d’une part, l’étudiant, « acteur et responsable de sa formation », se voit contraint de trouver, parfois en se rendant dans d’autres services que le sien, les moyens de valider certaines compétences s’il veut éviter de voir son tuteur cocher trop de cases « non pratiqué ». D’autre part, certains tuteurs rechignent à remplir ce portfolio, parce qu’ils estiment qu’une compétence n’est jamais acquise pour toujours, et parce que son usage, chronophage, s’adapte mal aux emplois du temps surchargés des soignants.

L’introuvable statut

À cela s’ajoute un statut du tuteur encore flou et non valorisé financièrement. « D’autant qu’il n’existe pas toujours de tuteur, note une infirmière. Dans ce cas, un référent est désigné. Mais on sait très bien qu’en fonction des plannings, l’étudiant est amené à être encadré par d’autres professionnels que le tuteur ou le référent, et il est arrivé que le référent ait très peu travaillé avec l’étudiant et soit en difficulté pour l’évaluer. » Quant à l’indemnité pour les tuteurs, les mesures d’austérité annoncées fin août pour réduire la dette publique amène le Cefiec à ne pas trop y croire. La Fnési, pour sa part, n’a pas pris position sur la question. « Ce que nous proposons, en revanche, c’est une réduction de 30 % de la charge de patients pour les tuteurs », indique Florence Lamaurt, la nouvelle présidente de l’association étudiante.

Trop de portes fermées

Pour accompagner les tuteurs, des initiatives locales ont été prises. L’agence régionale de santé (ARS) de Bourgogne a, ainsi, élaboré un guide à destination des professionnels accueillant des stagiaires. « Et comme nous avons constaté que la plus grande difficulté venait de l’utilisation du portfolio, nous avons rédigé un autre guide, qui permet à l’étudiant de s’autoévaluer tout au long du stage et de préparer le moment où il dressera le bilan avec son tuteur », indique Nadine Gartau, de l’ARS de Bourgogne. Pour chaque acte pratiqué, l’étudiant note sur des fiches le jour où il l’a observé, pratiqué, seul ou guidé, ainsi que ses commentaires. « De nombreux établissements de tout le pays nous demandaient de leur envoyer ce tableau, alors nous l’avons mis à disposition sur notre site Internet »(1), se félicite Nadine Gatau. Quant aux tracas suscités par le stage de dix semaines, certains Ifsi ont contourné le problème en le fractionnant en deux stages de cinq semaines dans des services différents d’un même établissement.

Réunis le 12 mai dernier à Paris, les représentants de l’Association nationale des écoles paramédicales (Andep) ont presque tous fait le même constat : les stages sont de plus en plus difficiles à trouver. Mais quel rapport avec la réforme ? « Il n’y a pas plus d’étudiants en formation, note Florence Lamaurt. C’est une volonté des services de ne plus les prendre en stage, notamment parce qu’ils ne savent pas comment le nouveau dispositif fonctionne. Mais il faudra bien qu’un jour ils rouvrent leurs portes… »

Le secteur privé, ainsi, accueille de moins en moins de stagiaires. Le président de la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP), Jean-Loup Durousset, qui regrette de ne pas s’être senti associé à la réforme, dit « comprendre » la réaction de ses collègues directeurs d’établissement. Mais il se défend de jouer la politique du pire : « Nous n’avons pas donné de consigne consistant à refuser la venue de stagiaires, nous sommes partisans d’une amélioration de la formation, pas d’une détérioration ! Dans le cas contraire, nous arrêterions purement et simplement d’en accueillir. »

1– www.ars.bourgogne.sante.fr/ Professionnels-paramedicaux.100308.0.html

MSP

Le dernier acte

« Mise en situation professionnelle » ou « mise en scène » ? La MSP, consistant, pour l’étudiant, à montrer à son formateur, pendant son stage, comment il accomplit tel ou tel acte, était depuis longtemps considérée par beaucoup d’étudiants comme un rite de passage hypocrite, déconnecté de la réalité du terrain. Mais sa suppression entraîne des remous dans les services : « Ces collègues pensent que la nouvelle formation se trouve amputée d’une partie importante de l’apprentissage du métier d’infirmière, et que, sans cette partie, de nombreux étudiants “laborieux” risquent de passer au travers du filet et de devenir de piètres professionnels, estime Marnia, infirmière dans l’Aisne. Mais, pour moi, la MSP a été une réelle source de stress et de questionnements stupides pour éviter les pièges que les formateurs auraient pu me tendre. La vraie formation se joue tout au long du stage. Dès que j’encadre un étudiant, je lui dis d’office : “c’est toi l’infirmier, vas-y, prends le chariot de soins, c’est moi qui te suis…” et je réajuste au fur et à mesure. C’est très intéressant et, surtout, valorisant pour l’étudiant. »