Une journée pas comme les autres - L'Infirmière Magazine n° 286 du 01/10/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 286 du 01/10/2011

 

PLAIES CHRONIQUES

REPORTAGE

Le vendredi, des infirmières de l’hôpital de Paimpol se rendent chez des patients porteurs de plaies chroniques. Une prise en charge inédite. Le service, qui propose aussi des téléconsultations, s’affirme comme pôle d’expertise.

Virginie Cesbron a troqué sa blouse blanche pour une tenue de ville. Une valise rouge et une sacoche bleue à la main, cette infirmière quitte son unité. Bientôt, l’hôpital Max-Querrien de Paimpol (Côtes-d’Armor) disparaît de son rétroviseur. La professionnelle de 31 ans va prodiguer des soins, à domicile, à six patients porteurs de plaies chroniques, tous installés à moins de trente minutes. C’est vendredi. Le jour où, depuis juillet 2009, des infirmières(1) de son service passent, à tour de rôle, sur le mode « plaie mobile ». Le cadre de santé Jean-Loup Garandel estime que cette activité n’a pas de réel équivalent en France. Il la distingue de l’équipe interhospitalière de Colmar et du réseau ville-hôpital de Montpellier, qui recourt à des infirmières libérales(2).

À Paimpol, « l’originalité, c’est d’aller au contact du secteur libéral. Normalement, ce sont deux mondes assez étanches », note le cadre. La crainte, au départ, était donc d’essuyer les critiques des infirmières de ville. « Certaines ont pensé qu’on venait les surveiller  », soupire Virginie. Ou estimaient n’avoir nul besoin de conseils. À l’image de ce libéral, prudent, voire méfiant : « Le projet est tout neuf, il faut que chacun trouve ses marques, dit-il anonymement. Il y a peut-être de la place pour tout le monde, ça dépend comment c’est fait. » La venue de ses consœurs de l’hôpital ne semble pas, à ses yeux, toujours apporter une plus-value. Mais, « sur des plaies grandes ou spécifiques, pourquoi pas… ».

« Des spécialistes ès plaie »

Françoise Le Roux, à Plouha, fait montre de plus d’enthousiasme. Cette libérale juge « bénéfique » l’avis que peuvent donner les hospitalières, par téléphone ou sur place. Infirmière coordinatrice de la résidence Saint-Joseph, Anne Liorzou, elle, reconnaît le niveau plus élevé de connaissances des Paimpolaises sur les plaies. Leur avis compte d’autant plus que les pansements sont toujours plus nombreux et que leur choix peut dépendre du « commercial qui passe ». Or, le commerce ne garantit pas toujours la qualité… Grâce aux infirmières de Max-Querrien, « nous avons l’avis pour utiliser le produit, et pour l’utiliser à bon escient, souligne Anne Liorzou. Ce sont des spécialistes de la plaie ! » « Nous avons maintenant un protocole. Un suivi bien précis », renchérit l’IDE Thérèse Even.

Les infirmières de l’hôpital et de la ville se rencontrent au chevet du patient, ou se laissent leurs observations écrites sur l’état de la plaie, le pansement, la conduite à tenir, la date du prochain passage à domicile. De retour à Max-Querrien, l’IDE hospitalière demande à la secrétaire une retranscription écrite, insérée dans le dossier du patient et éventuellement envoyée au médecin traitant. Elle peut aussi proposer des orientations, par exemple une hospitalisation en cas de dégradation, ou une consultation médicale à l’hôpital en vue d’une possible détersion mécanique. Selon Virginie Cesbron, « la plupart » des porteurs de plaies chroniques soignés en « plaie mobile » l’ont aussi été au centre hospitalier.

Les demandes de suivi émanent « des médecins de l’hôpital ou traitants, des infirmières libérales, des Ehpad, de l’hospitalisation à domicile… » Les patients, précisément, perçoivent bien la « plaie mobile », à en croire Jean. Diabétique, amputé, victime d’infections et d’une escarre sacrée, il a été hospitalisé pendant de longs mois. Revenir à domicile, c’était aussi l’espoir de retrouver le moral, même si, chez lui, la solitude lui pèse. Même chose pour Mireille. Elle a développé une escarre du trochanter à cause d’un matelas anti-escarre dégonflé – atteinte d’une sclérose en plaques, faute de sensibilité, elle ne l’a pas sentie. À la maison, elle bénéficie des plats en papillote de son mari… Et, par-delà la fenêtre, elle peut voir la mer. « À l’hôpital de Saint-Brieuc, j’étais barricadée au 6e étage, et à celui de Paimpol, je ne voyais qu’un cerisier…  »

Autres avantages de cette prise en charge : épargner des déplacements aux personnes âgées et/ou à mobilité réduite vivant isolées dans des hameaux, et disposer d’atouts dont sont parfois dépourvues les libérales : des pansements variés et complexes, du matériel spécifique (comme une pince gouge, utilisable pour tailler des bouts d’os empêchant la cicatrisation)… et du temps pour le soin.

Oxygène et reconnaissance

Le temps, c’est aussi un élément crucial d’appréciation des plaies chroniques. Les prendre régulièrement en photo permet d’évaluer leur évolution. Depuis le mois de septembre 2010, les infirmières de l’hôpital ont la possibilité de transmettre au médecin une photo de la plaie, prise par téléphone et agrémentée d’un message, par exemple sur le choix du pansement. « Le médecin traitant, qui devrait être le chef d’orchestre, ne voit jamais ou très peu les plaies », justifie Jean-Loup Garandel. Et les personnels médicaux de l’hôpital, eux, comment voient-ils le dispositif ? « Dans les deux ou trois premiers mois, certains ne comprenaient pas trop les déplacements des “plaies mobiles” dans les services. Maintenant, ils demandent leur venue. »

Le système « plaie mobile » entend également donner « de l’oxygène et de la reconnaissance » aux infirmières de l’hôpital elles-mêmes. « Le vendredi est une journée un peu particulière, confie Virginie Cesbron. Ça change la relation au patient. On est invité chez lui, dans son univers. Il faut savoir s’adapter à lui, à ses contraintes horaires. À domicile, quand un patient ne veut pas, il ne veut pas ! Alors qu’à l’hôpital, on peut dire : “Vous êtes hospitalisé, faites-nous confiance”, et il n’y a pas la crainte de perdre un client… Il est aussi très intéressant d’entrer en contact avec les libérales, de découvrir leur façon de voir les choses et de travailler. Nous avons davantage d’autonomie, de liberté d’action et de responsabilités. Cela peut donner envie de devenir libérale ! »

Plus généralement, le dispositif paimpolais atténue « l’usure » dont pourrait pâtir une professionnelle ne voyant que des plaies ou presque, suppute Jean-Loup Garandel. En effet, depuis la fermeture du bloc opératoire et l’ouverture de cette unité de vingt lits (dix de plaies chroniques et dix de périchurgie), le 1er janvier 2011, les infirmières soignent beaucoup plus de plaies qu’auparavant. Mais le dispositif leur permet d’exercer, dans une même filière, plusieurs activités : les soins à l’hôpital et les visites à domicile, donc, mais aussi les consultations externes et les visites de service. Ces deux dernières pratiques sont assurées avec le Dr Cécile Moisan, chirurgienne vasculaire, le jeudi (son jour de présence à Paimpol) et, depuis début 2008, par télémédecine le lundi(3).

« Robocop » sur roulettes

La télémédecine ? « C’est comme une visite normale, sauf que je ne suis pas là », assure Cécile Moisan. Elle se trouve, en effet, à Saint-Brieuc, à quarante minutes de route. À Paimpol, elle apparaît sur un écran. Le patient (qui a préalablement signé un document spécifiant son accord pour une telle consultation) est filmé par webcam et l’infirmière montre la plaie à l’aide d’une caméra haute définition. La crainte de voir les personnes âgées dépassées par la technologie a été balayée : « Elles comprennent très bien », sourit Céline Le Hégarat, infirmière. « Robocop » – surnom donné au procédé technique, monté sur roulettes – n’aurait qu’un défaut : sa batterie, à changer tous les deux ans.

Jean-Loup Garandel s’enthousiasme : « Le médecin, quand il est en “visio”, ne peut pas faire autre chose que les plaies. L’infirmière le “gère” sur roulettes, de chambre en chambre. Alors que quand il est ici, il peut être arrêté dans sa progression » par d’autres tâches. Cela n’empêche pas la chirurgienne d’être momentanément indisponible (« c’est moi qui lui téléphonais pour une urgence ! », réplique le cadre) ni de se montrer assez directive… Elle s’appuie, en tout cas, sur les descriptions et les reformulations de l’infirmière. Très impliquée. Surtout une fois diplômée en plaies et cicatrisations. « Nous apprenons à parler “technique”, à décrire le pansement, la peau périlésionnelle », confirme Dominique Toullelan, infirmière.

« Nous avons commencé à nous intéresser aux plaies chroniques en 2006, à l’arrivée du Dr Moisan. Elle nous a formés », retrace Virginie Cesbron, qui a obtenu un diplôme universitaire en 2009. « Au départ, même s’il y en avait pas mal en chirurgie vasculaire, je n’étais pas spécialisée en plaies », se remémore-t-elle. Et de commenter : « Des plaies, chaque infirmière en voit tous les jours, mais sans toujours s’interroger sur leur origine. De même, si un pansement n’évolue pas, il faut se demander pourquoi. Y a-t-il un problème vasculaire, infectieux ? Qu’en est-il de la nutrition ? Il ne faut pas penser qu’au pansement. »

« L’avenir de notre exercice »

Bâtie sur une consultation de plaies chroniques lancée en 2006, et motivée par le souhait de mieux passer le relais aux libérales, l’offre de soins s’est ainsi étoffée. « Nous n’avons peut-être pas l’inertie d’un grand établissement, nous allons jusqu’au bout. Nous poussons les lignes par nous-mêmes dans les limites de notre champ professionnel. Quand on laisse la base s’exprimer, tout le monde donne ses idées ! Et si on peut les traduire en actions… », sourit Jean-Loup Garandel. Le cadre est conscient de la nécessité de faire connaître l’initiative, sur Internet… ou encore dans la presse, contactant notre magazine.

Mais la presse vient de faire état d’une autre actualité, moins encourageante : fin août, des centaines de Paimpolais ont manifesté pour exiger, notamment, un nouveau scanner. Déjà marqué par la fermeture de la maternité et celle, récente, du bloc opératoire, le contexte local reste tendu. D’ailleurs, le dispositif pour les plaies chroniques n’aurait-il pas été un projet de reconversion en vue de la fermeture du bloc, annoncée en 2010 ? On pourrait l’imaginer, puisque cette activité a été confortée au moment de la restructuration, en 2011. Et, comme un symbole, « toutes les équipes de court séjour ont été “brassées”…, sauf celle des plaies chroniques », remarque Jean-Loup Garandel. Mais ce dernier réfute toute idée de reconversion : l’activité de plaies chroniques a été initiée… dès 2006. « Nous avons été plus pragmatiques que visionnaires. Disposant, dès 2007, de moins de “temps médecin”, nous avons cherché des idées, en fonction des moyens  », comme la télémédecine.

Pour Antoine Lucas, chirurgien à Rennes, la « plaie mobile » représente « l’avenir de notre exercice à tous, cette mutualisation de l’information avec des équipes qui passent, [permettant de] moins déranger et déplacer les patients »(4). « Cela doit se développer, pour homogénéiser la prise en charge sur le terrain », insiste Jean-Loup Garandel. L’ouverture, à l’hôpital, d’un centre de formation continue en plaies chroniques pour les libérales, envisagée en janvier 2012, irait dans ce sens. De même que le développement des stages d’étudiants infirmiers dans le service. Et les Paimpolais ont été invités à « une table ronde nationale pour la mise en place d’un référentiel en télémédecine et plaies ».

À l’avenir, « les malades sortiront plus tôt de l’hôpital »,conclut l’infirmier libéral cité plus haut. Il se peut qu’alors, la coordination ville-hôpital de la « plaie mobile » ne soit plus l’œuvre de quelques pionniers. Mais une obligation.

1– Titulaires d’un DU plaies et cicatrisation. Cinq aujourd’hui, elles seront huit (l’effectif total du service) après formation.

2– Il existe aussi, plus nombreuses, des équipes mobiles en gériatrie et soins palliatifs. Elles sont intrahospitalières.

3– Les IDE en consultations externes, le lundi, sont titulaires d’un DU.

4– Lors des Journées armoricaines plaies et cicatrisation, en 2010. À voir sur www.therashare.tv.

FINANCEMENT

Un contexte incertain

→ « Si le principe de l’équipe mobile me semble acquis, les crédits pérennes n’ont pas encore été notifiés », confie Thierry Deshayes, médecin à l’Agence régionale de santé (ARS) Bretagne. Pour l’heure, la « plaie mobile » a bénéficié de crédits d’aide à la contractualisation, le reste de l’activité « plaies chroniques » étant financé par dotation annuelle de fonctionnement.

Avant l’été, l’ARS indiquait que, « malgré l’absence de données médico-économiques sur ce type de prise en charge, il semble que le principe d’efficience (…) est respecté ». L’agence saluait la diminution de la durée des prises en charge « avec incidence sur le nombre d’actes infirmiers » ou encore « sur les prescriptions de pansements ». Les plaies chroniques figurent dans le projet médical réalisé « avec les établissements partenaires du territoire ».

Mais le contexte économique est tendu et le fait d’être des pionniers complique la tâche sur le plan administratif. Au service de défendre son existence en prouvant que la « plaie mobile » coûte moins (diminution du nombre de jours d’hospitalisation, évalués à 400 euros, contre 33 euros pour une visite « plaie mobile ») et peut soigner mieux (en termes de durée de traitement, de complications…).