CHRONIQUE D’UNE PÉNURIE ANNONCÉE - L'Infirmière Magazine n° 286 du 01/10/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 286 du 01/10/2011

 

HÔPITAL PUBLIC

ACTUALITÉ

Les syndicats avaient prévenu : la réforme des retraites ferait brutalement chuter les effectifs des hôpitaux. Ils ont vu juste. Depuis janvier, les infirmières sont parties en nombre.

En moyenne, 400 infirmières manquantes à l’AP-HP depuis le début de l’année(1) (avec une pointe à 600 au mois de juillet), 240 aux Hospices civils de Lyon, et plus de 100 à l’AP-HM, d’après les directions des trois établissements. Même si, selon la Fédération hospitalière de France (FHF), il n’existe pas d’évaluation nationale officielle de la pé­nurie d’infirmières hospitalières, de fortes disparités régionales s’observent. La pénurie est très marquée dans les hôpitaux psychiatriques (CHS) et en Ile-de-France, indique Cédric Lussiez, directeur de la communication de la FHF.

Non-remplacements

À l’AP-HP, le chiffre avancé par la direction de 400 infirmières manquantes sur 18 000 est d’ailleurs contesté. Pour Thierry Amouroux, président du SNPI-CFE-CGC, « ce chiffre ne tient pas compte des gens qui figurent virtuellement sur les plannings ». En clair, certaines soignantes quittent leur service plusieurs mois avant la date officielle de leur retraite, faisant jouer le cumul de leurs congés, compte épargne-temps…(2) Le syndicat infirmier évalue donc à 1 600 le nombre d’infirmières manquantes à l’AP-HP « en plus des 400 » recensées par la direction. Et ce « du fait des non-remplacements des absences » (congés, maladie, formation, grossesse), précise M. Amouroux. Lequel dénonce, en outre, « la grande mode » des IDE faisant fonction de cadre, qu’il juge « redoutable », en ce qu’elle dépeuple les services de leurs soignants.

À l’inverse, certaines régions, « plutôt situées à l’ouest », ne connaissent pas la pénurie, assure Cédric Lussiez : « Bretagne, Pays de la Loire, Poitou-Charentes… » Même si, admet-il, ces établissements peuvent connaître « une pénurie statutaire », des IDE y faisant fonction d’infirmières spécialisées. Au total, 22 000 postes d’infirmier seraient vacants dans la fonction publique hospitalière, estime Dominique Coiffard, le secrétaire national du secteur public de la CFDT Santé Sociaux, qui ne cache pas du tout son « inquiétude ».

Si la profession infirmière figure depuis bien longtemps sur la liste des métiers « en tension », la situation, dans les hôpitaux publics, s’est nettement dégradée avec l’entrée en vigueur de la réforme des retraites, le 1er juillet. En effet, très nombreuses ont été les mères de trois enfants ayant quinze ans d’ancienneté à saisir leur dernière chance de pouvoir partir en retraite anticipée, avant la disparition de ce dispositif(3). Selon les chiffres transmis à L’Infirmière magazine par la caisse de retraite CNRACL, en juillet 2011, ce sont 2 659 infirmières qui sont ainsi parties en retraite anticipée(4), quatorze fois plus qu’en juillet 2010 ! Si l’on compare, cette fois, les premiers semestres des deux années, quatre fois plus d’infirmières ont pris leur retraite au titre du dispositif « 3 enfants, 15 ans de service » en 2011 par rapport à 2010 (4 110 contre 989). Pour toute la fonction publique hospitalière, les départs supplémentaires au regard des années précédentes se chiffrent à quelque 8 000 agents, dont une majorité de soignants.

Face à cette saignée, les petits établissements se sont trouvés particulièrement démunis. Il a fallu, par exemple, fermer des lits, cet été, au CH de la Dracénie, à Draguignan(5) car il manquait 12 infirmières. L’hôpital de Colmar aurait, quant à lui, fait appel pour la première fois à des intérimaires pour faire face à cette vague de départs anticipés, rapporte Didier Bernus, secrétaire général de FO Santé.

Plus de pénibilité

Cette pénurie, qui ne sera comblée – au mieux – qu’à l’arrivée des nouveaux diplômés, en décembre, a pour conséquence, outre des fermetures de lits, voire de services entiers, une aggravation de la pénibilité du travail pour les infirmières restantes : non-respect des ratios imposés par la loi, modifications incessantes de planning, rappels sur les jours de congés, heures supplémentaires…

Activités menacées

Mais, à plus long terme, c’est l’accès de la population aux soins qui pourrait s’en trouver diminué. Avec la T2A, argumente Dominique Coiffard, « les établissements sont rémunérés en fonction de leur activité. S’ils ont moins de professionnels de santé, ils seront obligés de cesser des activités », d’autant que la pénurie frappe aussi les kinés et les manipulateurs radio, souligne-t-il. Par ailleurs, les jeunes retraités de la FPH ayant la possibilité de cumuler leur pension et une activité rémunérée, ces nombreux départs d’infirmières et d’aides-soignantes approchant les 50 ans risquent de faire « redéployer l’activité de soin au détriment du secteur public », s’inquiète Philippe Crépel, de la CGT.

1– Dont 16 puéricultrices, 14 Ibode, 367 IDE et 3 Iade.

2– « L’AP-HP doit un million de jours à ses agents », rappelle au passage Thierry Amouroux.

3– Sauf pour celles de ces salariées qui étaient à moins de cinq ans de la retraite.

4– Dont quelque 200 à l’AP-HP.

5– Cf. « Blues des blouses chez les infirmières », publié sur le site de Var Matin le 7 septembre 2011.

CATÉGORIE A

Bataille juridique pour la pénibilité

La fédération CGT Santé Action sociale devrait présenter, « début octobre », selon son responsable du secteur revendicatif Philippe Crépel, une question prioritaire de constitutionnalité sur la privation de catégorie active des infirmières de catégorie A de la fonction publique hospitalière. En campagne électorale(1), la CGT se montre offensive sur le dossier infirmier. Le 3 septembre, elle avait déjà déposé une requête en Conseil d’État, face à la non-réponse du gouvernement au recours gracieux adressé fin mars pour faire reconnaître la pénibilité du métier des infirmières de A par une retraite anticipée. En effet, la pénibilité du travail infirmier n’a guère changé, faisait valoir le syndicat dans un communiqué, mi-septembre : « Horaires décalés, nuits, exposition à des produits toxiques, port de charges lourdes » justifient la catégorie active qui, dispose le Code des pensions civiles et militaires, accueille « les emplois présentant un risque particulier ou des fatigues exceptionnelles ». Si certains estiment que les procédures cégétistes ont peu de chances d’aboutir, Philippe Crépel défend, lui, « un dossier assez construit ». Pour ne pas risquer le nivellement par le bas, explique-t-il, « on n’attaque pas sur l’égalité entre les infirmières de A et celles de B », qui font pourtant le même métier. « On demande le retrait de l’article 37 de la loi du dialogue social du 5 juillet 2010(2), puisque le législateur a outrepassé ses droits en légiférant sur un point qui, normalement, relève d’un décret en Conseil d’État. » C. A.

1– Les élections professionnelles sont fixées au 20 octobre.

2– Cet article précise que les infirmières de A ne sont pas classées en catégorie active.