LES « JEUNES ALZHEIMER » OUBLIÉS - L'Infirmière Magazine n° 285 du 15/09/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 285 du 15/09/2011

 

DÉPISTAGE, PRISE EN CHARGE…

ACTUALITÉ

DU CÔTÉ DES … COLLOQUES

Alzheimer avant 65 ans ? Les médecins n’y pensent pas, les patients n’y croient pas. Les conséquences sont lourdes, et cette question soulève bien des questions éthiques.

Il y a des malades d’Alzheimer qui ne sont pas vieux, qui ne perdent pas nécessairement la mémoire et qui, socialement, donnent le change. « Jeunes », par comparaison avec l’âge plus avancé de la plupart des malades, ces moins de 60 ou 65 ans (suivant les approches) ont des projets de vie dans lesquels ils s’investissent : ils peuvent être parents, compagnons, mais également enfants de personnes âgées ; ils travaillent, mènent une vie sociale active…

Les données sont rares, mais l’extrapolation de celles du Nord–Pas-de-Calais permet d’évaluer à 4 538 le nombre de personnes « jeunes » atteintes de la maladie d’Alzheimer et troubles apparentés en France, a indiqué Florence Pasquier, professeur de neurologie au CHRU de Lille et responsable du Centre national de référence pour les ma­lades d’Alzheimer jeunes, lors d’un colloque consacré au sujet en juin(1). Selon elle, « l’incidence double tous les cinq ans à partir de 50 ans » et quelque 2 000 personnes entre 40 et 65 ans sont diagnostiquées chaque année.

Formes inhabituelles

Ces cas précoces présentent des particularités déroutantes. L’âge inattendu auquel la maladie survient, tout d’abord : à 45 ou 50 ans, « on ne pense pas à une maladie dégénérative », souligne Florence Pasquier. En outre, la plus forte proportion de maladies apparentées dans une population jeune complique le diagnostic. Les troubles de la mé­moire ne sont pas aussi prégnants chez les sujets « jeunes », a souligné la neurologue Catherine Thomas-Antérion, responsable du Centre mémoire de ressources et de recherche du CHU de Saint-Étienne (Loire). Et les professionnels ne disposent pas toujours des tests adaptés à ces symptômes différents. Les formes focales (troubles visuels et du langage) sont également plus fréquentes chez ces patients. On note en outre que leur présentation (hygiène, tenue vestimentaire…) au quotidien est mieux préservée. On observe plus de dégénérescences fronto-temporales que parmi les patients âgés, avec une forte modification du comportement, qui peut suggérer, de façon trompeuse, une pathologie psychiatrique.

Origine génétique

Selon Florence Pasquier, tous ces éléments conduisent à un retard de diagnostic d’environ cinq ans, soit deux de plus que chez les personnes âgées. Avec toutes les conséquences que cela implique sur les plans social, professionnel, familial… Par ailleurs, chez les patients « jeunes », la maladie d’Alzheimer a cinq fois plus souvent une origine génétique que chez les patients âgés. Alors que la vie des patients diagnostiqués se trouve bouleversée, une sorte de double peine s’abat sur eux à l’idée que leurs enfants seront peut-être aussi touchés par cette maladie incurable, a souligné la généticienne Sylvie Manouvrier-Hanu, responsable du service de génétique clinique au CHRU de Lille. La maladie a, en effet, 50 % de « chances » d’être transmise.

1– « Alzheimer et les malades jeunes », le 7 juin, à l’Espace national de réflexion éthique sur la maladie d’Alzheimer, à Lille.

SAVOIR OU PAS ?

Une fois diagnostiqués, certains patients ne souhaitent pas savoir si leur maladie est d’origine génétique ou non. Ceux qui veulent savoir doivent donner leur consentement éclairé. Le médecin doit d’abord leur expliquer ce qui est recherché, mais aussi les conséquences de cette éventuelle découverte sur eux et sur leurs proches, ainsi que celles de leur éventuel silence. Dans chaque situation, des conflits de valeurs peuvent émerger, entre le respect de la vie privée du patient et le devoir moral qu’il aurait d’informer des personnes concernées par un risque dont il aurait connaissance… D’autres questions se posent, comme l’accompagnement de parents chez qui la maladie serait détectée, mais pas déclarée, et qui pourraient vouloir réaliser les tests génétiques pour eux ou leurs descendants. Pour Sylvie Manouvrier-Hanu, « il ne faut pas se précipiter sur les tests génétiques, mais se demander d’abord à quoi ils vont servir pour le patient. Primum non nocere(1). »

1– En latin, « d’abord ne pas nuire ».