La circulation extracorporelle - L'Infirmière Magazine n° 285 du 15/09/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 285 du 15/09/2011

 

FORMATION CONTINUE

QUESTIONS SUR…

« Iade, je travaille régulièrement en chirurgie cardiaque. La circulation extracorporelle (CEC) doit-elle faire partie de mes préoccupations, de mon savoir-faire »

La CEC fait partie de l’activité de l’équipe d’anesthésie en chirurgie cardiaque. La surveillance du patient pendant la CEC est un continuum de la surveillance de l’anesthésie.

La chirurgie des valves cardiaques, des artères coronaires, des cardiopathies congénitales ne peut se faire qu’à « cœur ouvert ». Il faut arrêter le cœur et le vider de son sang. Cela impose un système qui remplace la fonction pompe du cœur et la fonction oxygénation du poumon. C’est à Harward, aux États Unis, que John Gibbon, alors jeune assistant en chirurgie, a réussi la première intervention avec CEC, en 1953.

La CEC est une technique invasive, complexe, permettant la dérivation du sang en dehors de l’organisme, tout en assurant les fonctions nécessaires à la vie (hématose, pression de perfusion…). Elle permet au chirurgien d’effectuer un geste chirurgical sur le cœur ou sur les gros vaisseaux. Durant le processus, le cœur est vide et peut être arrêté.

Le sang veineux est drainé des veines caves ou de l’oreillette droite vers l’oxygénateur par gravité. Dans celui-ci, il s’enrichit en O2 et se débarrasse du CO2. Le sang artérialisé est réinjecté par une pompe vers le patient. La CEC doit être opérationnelle avant l’induction de l’anesthésie, les vérifications ultimes effectuées (occlusivité, sens de rotation des pompes…). Le dispositif peut être préparé la veille, seul le volume d’amorçage sera complété le matin de l’intervention.

Quelles sont les indications de la CEC ?

En chirurgie cardiaque : pontages aorto-coronariens, réparation ou remplacement valvulaire, dissection aortique, anévrysme de l’aorte thoracique, corrections des malformations congénitales, greffes cardiaque ou cardio-pulmonaire.

Plus rarement en dehors de la chirurgie cardiaque : greffes hépatiques ou pulmonaires ; tumeur rénale étendue à la veine cave inférieure ; en neurochirurgie : pathologies vasculaires intracrâniennes ; en cancérologie : CEC isolée de membre pour injection d’antimitotiques.

Qui la réalise ?

Un/une perfusionniste-IDE assure la préparation et la conduite de la CEC. La responsabilité médicale incombe à un médecin compétent en CEC, présent pendant toute l’intervention et pouvant intervenir à tout moment. De fait, ce référent ne peut être le chirurgien qui pratique l’intervention. La formation du perfusionniste, de six à huit mois, se fait par compagnonnage. Elle peut être complétée par un diplôme d’université de CEC, recommandée dans la mesure où il n’y a pas de compétence ni de statut particulier pour les perfusionistes. Le médecin référent est un médecin désigné dans l’équipe. Il assure la mise à niveau des protocoles, des matériels. Il n’est pas le responsable de chaque CEC réalisée. Les protocoles, les moniteurs, les alarmes ne remplacent pas la vigilance de l’équipe d’anesthésie.

Comment cela fonctionne-t-il ?

Après avoir effectué une sternotomie, le chirurgien met en place des canules permettant de relier le cœur du patient à la CEC. La canulation veineuse se fait dans les veines caves supérieure et inférieure (deux canules) ou dans l’oreillette droite (une canule atrio-cave). La canulation artérielle se fait le plus souvent dans l’aorte ascendante, parfois dans l’artère fémorale. Après injection d’héparine, et vérification de l’ACT Hemochron®, la CEC peut être démarrée à la demande du chirurgien. Le débit est augmenté progressivement. À débit total, la ventilation par le respirateur est arrêtée. Le sang veineux drainé par gravité à partir de l’oreillette droite ou des veines caves rejoint le réservoir de cardiotomie, où il est filtré. Ensuite, une pompe le pousse à travers l’échangeur thermique et l’oxygénateur avant de rejoindre l’aorte par la ligne artérielle.

La CEC assure l’hématose du sang (oxygénateur), le contrôle de la température (échangeur thermique) et la pression de perfusion (pompe artérielle). Le cœur est donc vide de sang. Pour arrêter le cœur, une solution cardioplégiante riche en potassium et froide (4 °C) sera injectée dans la racine de l’aorte ou dans les coronaires, après clampage aortique. Le cœur est alors immobile. Le chirurgien peut effectuer le geste sur le cœur.

Que peut, que doit surveiller l’équipe d’anesthésie au cours de la CEC ?

Les pressions

→ Pression artérielle. L’abord percutané est une obligation. Il est le plus souvent radial ou fémoral. La pression optimale se situe entre 50 et 80 mmHg, parfois plus, 70-80 mmHg chez le sujet âgé, hypertendu, insuffisant rénal, ou le sujet ayant une sténose carotidienne. L’hypotension de démarrage se corrige en s’assurant que l’anesthésie n’est pas trop profonde (BIS entre 35 et 50), en augmentant le débit, en utilisant des vasoconstricteurs (phényléphrine 50-100 µg).

L’hypertension se corrige en diminuant le débit de CEC jusqu’à obtention d’une SvO2 à 70 %, en s’assurant que l’anesthésie est suffisante, puis en utilisant un vasodilatateur (nicardipine 0,5-1 mg).

→ Pression veineuse centrale (PVC). C’est un paramètre important, souvent oublié. Elle doit être nulle. (Rappel : pression perfusion cérébrale = pression artérielle moyenne-PVC). Une pression veineuse élevée en cours de CEC peut entraîner une souffrance cérébrale par défaut de perfusion.

→ Pressions du sinus coronaire, de la rétroperfusion cérébrale. Elles se surveillent lors d’une cardioplégie rétrograde ou de la protection cérébrale. La valeur recommandée est de 30 mmHg pour un débit de 250-300 ml/min. Ces chiffres de pression sont lus sur le moniteur d’anesthésie.

La perfusion cérébrale

Peu de moniteurs sont accessibles à un usage facile en clinique. L’EEG conventionnelle n’est que peu utilisée. Le BIS, bien que destiné à surveiller la profondeur de l’anesthésie, peut parfois donner une idée de la perfusion cérébrale. Un BIS qui s’annule en cours de CEC doit inquiéter l’équipe en charge du patient.

La ventilation assurée par l’oxygénateur

Le capnographe est facile d’accès, celui du moniteur d’anesthésie est disponible et peut être relié à l’évent gazeux de l’oxygénateur. Le bon chiffre de PaCO2 est de 35-40 mmHg. Il est conseillé de contrôler la gazométrie artérielle régulièrement en cours de CEC. Le bon chiffre de PaO2 est de 100-200 mmHg. Quand elle est accessible, la surveillance continue des gaz du sang est l’idéal.

L’anticoagulation

La posologie d’héparine en injection patient est de 300-400 UI/kg. Les contrôles sont obligatoires avant le démarrage de la CEC, puis régulièrement (toutes les trente minutes). Le test le plus utilisé est l’ACT Hémochron®. Il doit être supérieur à 400 sec. avant de pouvoir débuter la CEC.

L’hémodilution

La surveillance continue de l’hématocrite est l’idéal. Cet examen est souvent couplé à la surveillance de la SvO2. C’est un examen à répéter régulièrement. Le seuil admis est de 20-25 %.

Les températures

De nombreuses équipes pratiquent la CEC en normothermie à 35-37 °C. L’hypothermie profonde à 18 °C est réservée à l’arrêt circulatoire. Il est impératif de surveiller la température, qui doit être visible par tous. En normothermie, un site périphérique (rectum, vessie…) suffit. En revanche, si un arrêt circulatoire est prévu, il faut surveiller deux sites, dont un central (œsophage, nasopharynx, tympan…).

L’anesthésie

La profondeur de l’anesthésie est, au mieux, surveillée par le BIS. La surveillance de la curarisation est recommandée lors de la CEC normothermique.

Durant la CEC , les injections médicamenteuses, les transfusions de produits sanguins peuvent se faire directement sur la console de CEC. Il est important que ces injections soient faites en connaissance et sous la responsabilité du médecin anesthésiste.

La biologie

La surveillance est capitale. Une surveillance continue est l’idéal. Le paramètre analysé doit être susceptible de varier rapidement, et une thérapeutique corrective doit exister, cette correction devant améliorer l’état du malade. Au total, pO2, pCO2, SvO2, kaliémie, hématocrite, glycémie sont les paramètres le plus souvent contrôlés.

Pourquoi le sevrage est-il un moment important du procédé ?

C’est le moment le plus important du déroulement d’une CEC. Il requiert une bonne coordination entre le chirurgien, le perfusionniste et l’équipe d’anesthésie. Dès que le chirurgien propose de stopper la circulatiion extracorporelle, un certain nombre de points sont à contrôler. La température du patient doit être supérieure à 35 °C. L’hématocrite doit être supérieur à 20 %, voire proche de 30 % chez le vieillard. Si la conduite de la CEC a été correcte, il ne devrait y avoir ni acidose, ni alcalose nécessitant correction. La kaliémie doit être contrôlée, l’hypokaliémie est rare en fin de CEC. Des chiffres de kaliémie élevée sont plus fréquents mais ne nécessitent pas de traitement s’ils restent < à 6 mEq/l. Après réexpansion manuelle des poumons, la ventilation à FiO2 = 0,8 est recommencée. L’assurance d’une ventilation assistée correcte est un point capital à vérifier avant l’arrêt du processus. Ce point est à vérifier impérativement par tous, chirurgien, perfusionniste, équipe d’anesthésie.

L’équipe d’anesthésie doit s’assurer que la table est horizontale, c’est un point extrêmement important pour interpréter les chiffres des pressions de remplissage. Les zéros de référence et les positions des capteurs de pression sont vérifiés. Les chiffres de pression ne sont interprétés que sur les courbes affichées ayant une morphologie normale.

Le pacemaker est vérifié. Un médicament inotrope dilué et installé sur seringue électrique (adrénaline, dobutamine…) et un agent à visée alpha+ (phényléphrine, éphédrine) prêt à l’emploi pour traiter rapidement une hypotension doivent être disponibles. Ces différents préparatifs effectués, on peut envisager la phase active de l’arrêt de CEC.

Celui-ci n’est envisageable qu’après normalisation de l’ECG, avec fréquence correcte. La diminution du retour veineux vers la CEC peut débuter. L’objectif est d’obtenir une pression systolique de 90-100 mmHg pour une pression de remplissage (PVC, PAPO) de 10-15 mmHg. Si ces conditions sont remplies, le retour veineux sera freiné par paliers (1/2 débit, 1/4 débit…). Simultanément, le débit de perfusion vers l’aorte sera ralenti. Les pressions de remplissage restant correctes pour des pressions de remplissage déterminées, la circulation extracorporelle pourra être interrompue. Au cours du sevrage, si, malgré des pressions de remplissage élevées, la pression artérielle n’atteint pas le niveau requis, il faut instituer une perfusion d’inotropes pendant la phase d’assistance.

L’arrêt de la CEC ne se fera qu’après normalisation de l’hémodynamique. Après arrêt définitif, et au terme d’une période de quinze à vingt minutes de stabilité hémodynamique, l’ablation des canules pourra être envisagée et la neutralisation de l’héparine par la protamine effectuée.

REPÈRES

Durée des interventions

Le professeur Charles Dubost pratique la première CEC en 1955. À ce jour, 35 000 CEC y sont réalisées chaque année.

Durée totale d’une intervention de chirurgie cardiaque : 2 à 4 heures.

→ Mise en condition par l’équipe d’anesthésie : 45 min.

→ Abord chirurgical-installation de la CEC : 45 min.

→ Remplacement valvulaire : 30-60 min.

→ Pontage coronarien triple : 45-60 min.

→ Ablation de la CEC-fermeture : 45-60 min.

RÉFÉRENCES

→ Décret n° 2006-78 du 24/01/2006 relatif aux conditions techniques de fonctionnement applicables aux activités de soins de chirurgie cardiaque et modifiant le code de la santé publique

→ Recommandations sur le monitorage et les dispositifs de sécurité pour la circulation extracorporelle en chirurgie cardiaque. 2004. Haute Autorité de santé. www.has-sante.fr.

→ Circulation extracorporelle : principes et pratique – 2e édition. G. Janvier, J.-J. Lehot. Arnette 2004.

→ « Circulation extracorporelle. Sécurité en CEC : conduites pratiques. Gestion des situations d’urgence et rares ». Jean-Pol Depoix. Hôpital Bichat-APHP. (disponible auprès de l’auteur : jeanpaul.depoix@bch.aphp.fr).

Incidents possibles

En 1995, Terry N. Crane, CCP of the Texas Heart Institute, a décrit 136 incidents susceptibles d’arriver en CEC, qui peuvent être classés en :

→ Incidents liés au matériel

– Fracture d’oxygénateur, de connecteur.

– Pannes électrique, mécanique.

– Panne du générateur thermique ou dérèglement avec surchauffe du sang.

– Rupture de l’échangeur thermique de l’oxygénateur.

– Absence de l’alimentation en gaz de l’oxygénateur.

– Rupture de membrane, de filtre artériel, de filtre à gaz.

→ Incidents liés à l’utilisation du matériel, évitables par une conduite correcte de la CEC

– Inversion du sens de rotation d’une pompe, de raccordement des lignes sur le champ opératoire.

– Rupture de ligne artérielle par clampage de la ligne.

– Déplacement de canule ou coude sur la ligne veineuse.

– Alarmes protection de l’embolie gazeuse non opérationnelles.

– Clampage brutal de la ligne veineuse sans prévenir le perfusionniste.

– Débullage incorrect de circuit.

– Désamorçage par rotation trop rapide avec la manivelle de secours.

– Section accidentelle de tubing : utilisation de ciseaux à la place de clamp, lame de bistouri « égarée » dans la pompe artérielle.

– Batterie non fonctionnelle, absence de manivelle sur la console.

– Utilisation de manivelle en sens inverse de rotation.

– Explosion de réservoir (évents gazeux fermés).

– Halogénés liquides sur l’oxygénateur, les connections : rupture.

– Absence d’héparinisation, injection de protamine entraînant une thrombose d’oxygénateur.

– Erreur transfusionnelle.

– Chute d’un oxygénateur mal fixé.