« Dans les services, on jette trop » - L'Infirmière Magazine n° 281 du 15/06/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 281 du 15/06/2011

 

ÉCOLOGIE ET SANTÉ

RÉFLEXION

Philippe Perrin a décidé de quitter le soin proprement dit pour devenir « éco-infirmier ». Fort d’une compétence unique, il explique pourquoi et comment la prévention environnementale devrait faire partie de la pratique de chaque professionnel de santé.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Qu’est-ce qu’un éco-infirmier et comment avez-vous eu l’idée de créer cette activité ?

PHILIPPE PERRIN : J’ai inventé ce terme durant mes études à l’institut de formation en soins infirmiers. Mon mémoire de fin d’études s’intitulait « L’éco-infirmier, une autre voie ? ». À l’époque, avec quelques amis, j’avais également fondé une association de protection de l’environnement en Bourgogne (Autun Morvan Écologie). Rapidement, je me suis dit qu’il serait intéressant de combiner les deux approches et de développer une prévention sur la thématique « pollution et conséquences sur la santé ». Un éco-infirmier, c’est donc un professionnel de santé qui ne travaille plus dans le champ du curatif, mais uniquement sur la prévention primaire, les facteurs de risque liés à l’environnement et comment ils peuvent interagir avec notre santé : qualité de l’eau, de l’alimentation, de l’air, l’exposition au bruit, aux rayonnements, etc. En 2001, j’ai créé mon organisme de formation et m’y suis consacré. Depuis, je ne fais plus de soins, mais je me sens toujours très soignant, dans la dimension préventive. Avant, j’étais un professionnel de la maladie plutôt que de la santé… À ce jour, je reste le seul éco-infirmier, mais je réfléchis à l’organisation d’une formation à ce métier. J’ai déjà des demandes de la part d’une quarantaine de professionnels pour me suivre sur cette voie.

L’I. M. : Avez-vous envisagé de créer une consultation d’éco-santé ?

P. P. : Non, car je veux que cette prévention soit accessible à tous. De plus en plus, j’entends les gens dire que protéger sa santé, cela coûte cher : acheter des légumes frais, éventuellement bio, rénover un intérieur avec des produits sans émanations polluantes, etc. Or, je ne veux pas participer à cette fracture sociale. Qui prendrait en charge cette consultation ? Ma priorité est donc de former les professionnels. Quand les gens s’inquiètent pour leur santé, ils s’adressent avant tout au médecin. Et celui-ci, la plupart du temps, ne sait pas répondre sur les thématiques environnementales. Pour toucher le plus de monde possible, de manière égalitaire, la première urgence est donc de former des professionnels de santé qui soient aussi des éducateurs en santé. Médecins, infirmiers, sages-femmes… Chacun peut jouer un rôle d’éducateur à un moment ou à un autre. La dimension environnementale devrait être présente dans chaque consultation réalisée. Concrètement, c’est plus évident pour ceux qui interviennent au domicile des patients. Ils peuvent, par exemple, apprendre à repérer des choses inquiétantes en matière de qualité de l’air : présence de moisissures, usage d’encens, etc. Qui sait que la bronchiolite peut être favorisée par l’utilisation d’une cuisinière à gaz, dont les émissions fragilisent les muqueuses ? Or, de simples conseils de ventilation régulière permettent de limiter la pollution intérieure.

L’I. M. : Vous vous êtes donc orienté en priorité vers la sensibilisation et la formation ?

P. P. : Oui, je réalise des interventions en Ifsi, en écoles de sages-femmes, lors des réunions du conseil de l’ordre des sages-femmes, dans certains établissements de santé… Je suis devenu un des formateurs des animations « nesting » du WECF(1), j’ai ainsi formé les sages-femmes d’une clinique de Grenoble. C’est important, car elles voient toutes les femmes enceintes à une période très sensible de la vie, où il est encore possible de prodiguer de nombreux conseils. Pendant la préparation à l’accouchement, beaucoup de choses peuvent encore se jouer. En ce sens, il est très important de sensibiliser les professionnels à cette prévention.

L’I. M. : Sur quelles thématiques sont axées vos séances de formation ?

P. P. : Cela dépend des demandes. Il y a beaucoup à dire sur les cosmétiques – pour bébés comme pour adultes – dont la plupart des molécules passent à travers la peau. C’est particulièrement vrai s’ils sont ap­pliqués sur une grande partie de l’épiderme et/ou quotidiennement. En apprenant à lire les étiquettes, on comprend qu’il en existe de moins problématiques que d’autres… En deux heures de formation sur les cosmétiques, on peut apprendre à repérer ceux qui sont moins nocifs. On peut également réfléchir sur l’hyperhygiénisme pratiqué sur les bébés et les enfants. La stimulation précoce du système immunitaire apparaît de plus en plus importante. Le premier contact avec les bactéries, c’est la naissance par voie vaginale. Autant que possible, il ne faut pas l’empêcher, ni se dépêcher de baigner le bébé qui vient de naître. Aujourd’hui, on constate que les enfants nés par césarienne font davantage d’allergies et de diabète de type 1. Ces comportements d’hyperhygiénisme sont même suspectés de participer à l’augmentation du nombre de cancers chez l’enfant. Côté alimentation, de nombreuses informations restent à transmettre. Par exemple, les additifs alimentaires pourraient être impliqués dans l’hyperactivité, notamment certains colorants et conservateurs. Il peut donc être intéressant de supprimer tout ce qui est de fabrication industrielle dans l’alimentation pour voir si cela a un effet sur le comportement de l’enfant. Nous ne sommes pas faits pour manger ce que nous mangeons actuellement (aliments raffinés, additifs alimentaires, etc.).

L’I. M. : La littérature scientifique est-elle suffisante pour appuyer votre argumentation ?

P. P. : J’ai passé et passe encore beaucoup de temps à me constituer un savoir sur tous les déchets, cosmétiques, polluants de l’air, de l’eau, etc. Une importante littérature scientifique existe sur ces questions. Ce sont des études toxicologiques réalisées chez l’animal ou sur des tissus humains que l’on peut extrapoler. C’est vrai qu’il y a énormément de cofacteurs qu’il est difficile de séparer, car tout notre environnement est plus ou moins contaminé. Mais, aujourd’hui, des faisceaux de convergence permettent de mettre en évidence des présomptions fortes de l’influence de la pollution sur notre santé. Si on attend d’avoir des certitudes, d’avoir toutes les données épidémiologiques, on prend de gros risques. Et on verra exploser des pathologies qui existent déjà. Les allergies, le diabète de type 1, les troubles du comportement, les malformations (hypospadias, cryptorchidies…), les infertilités… L’InVS a publié en 2005 une étude sur les cancers pédiatriques qui montrait qu’un enfant sur 500 aura un cancer avant l’âge de 15 ans. La même étude a été reconduite et publiée fin 2010(2) : on en est à un enfant sur 440 !

L’I. M. : Les pratiques de soin elles-mêmes peuvent-elles également avoir un impact sur l’environnement ?

P. P. : Pour l’instant, l’impact de l’activité de soin sur l’environnement est surtout envisagé en amont, c’est-à-dire lors de la conception des établissements. Il est possible de limiter l’impact environnemental durant la construction, grâce au choix des matériaux ou des systèmes de chauffage, de ventilation, etc. Mais les professionnels de santé peuvent également jouer un rôle. Par exemple, dans le tri des déchets. Il faut savoir que les déchets à risque infectieux, hormis les piquants et les coupants, sont rares. Pourtant, lorsque j’étais étudiant, on nous disait que tout ce qui sort de la chambre du patient est à risque. Or, le circuit de traitement des déchets à risque est plus long et plus coûteux, bien qu’il finisse dans un dispositif semblable d’incinération. Donc, autant prévenir et jeter le déchet dans la bonne poubelle. Il faudrait aussi réfléchir sur les consommables à usage unique. On a fait, à juste titre, de l’asepsie un élément clé. Mais aujourd’hui, on jette trop. On entame des sets de soins pour y récupérer un instrument, au lieu d’aller chercher la pince stérile individuelle à l’office. Le reste du set est ensuite bon pour la poubelle. Et que fait-on des médicaments entamés et non terminés ? On les jette. Le pire, c’est lorsqu’ils finissent dans l’évier. Si l’on incinère une seringue avec ce qu’elle contient, la molécule est détruite. Si on la vide dans les égouts, cela finit par poser problème au niveau des stations d’épuration, qui fonctionnent en effet avec des bactéries. C’est une culture du « faire attention » qu’il faut développer. Bien sûr, la marge de manœuvre en établissement est plus étroite, du fait des protocoles et de l’organisation de l’institution. Le plus important, pour l’instant, c’est vraiment la sensibilisation.

1– Women in Europe for a Common Future (WECF), association visant à « faire entendre la voix des femmes dans le dévelop­pement durable et la politique environnementale » (www.wecf.eu/francais/). Les animations « nesting » sont des actions et des formations qui permettent de connaître les polluants de l’environnement intérieur et les moyens de les éviter pour préserver la santé d’un bébé (projetnesting.fr).

2– « Incidence des cancers de l’enfant en France : données des registres pédiatriques nationaux, 2000-2004 », Lacour et col., BEH n° 49-50, 28 décembre 2010 (www.invs.sante.fr/beh/2010/49_50/).

PHILIPPE PERRIN

ÉCO-INFIRMIER

→ 1989 : création de l’association Autun Morvan Écologie, dont il est président jusqu’en 2000.

→ 1992 : diplôme d’État d’infirmier suivi de deux ans de pratique hospitalière.

→ 1994 : diplôme d’éco-conseiller.

→ 1998 : DIU Santé publique et environnement, avec la rédaction d’un mémoire intitulé « Qualité de l’air et santé, interventions en milieu scolaire », avant d’exercer deux ans en santé scolaire.

→ 2001 : création de l’entreprise Environnement-Santé-Formation.

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EN SAVOIR +

Sur le sujet santé environnement, consultez dans nos archives en ligne le cours du Cahier de formation continue du n° 262 de L’infirmière magazine (07/2010)