LA DOULEUR DE L’ENFANT - L'Infirmière Magazine n° 280 du 01/06/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 280 du 01/06/2011

 

DOSSIER

L’ESSENTIEL

Le terme « enfant » recouvre l’évolution de l’être humain de la naissance à l’adolescence. Au cours de cette période, la perception et la compréhension de la douleur varient considérablement. Les découvertes concernant les douleurs ressenties par les enfants, en particulier les plus jeunes, les moyens de les évaluer et de les traiter, ont commencé à la fin des années 1980. Elles se poursuivent, et les outils d’évaluation se sont multipliés. Les traitements sont mieux maîtrisés et adaptés aux besoins des enfants, même si de nombreux progrès sont encore espérés. Le développement des méthodes non pharmacologiques de prévention et de traitement des douleurs font la preuve de leur efficacité et étendent les possibilités thérapeutiques. Ces évolutions impliquent d’actualiser et de développer l’accès aux savoirs et aux savoir-faire grâce aux formations initiales et continues des étudiants et des professionnels.

1. SPÉCIFICITÉS DE LA DOULEUR DE L’ENFANT

Si, pendant de nombreuses années, il a été enseigné que l’enfant, d’autant plus qu’il était jeune, ne ressentait pas la douleur, les professionnels de santé savent désormais que cette notion est erronée. Depuis ces découvertes, il a souvent été dit que l’enfant n’était pas concerné par les douleurs chroniques ni les douleurs neuropathiques. L’intérêt porté désormais aux enfants douloureux permet d’identifier que les jeunes patients peuvent souffrir comme les adultes ou les personnes âgées de ces types de douleurs.

La douleur a été définie par l’International Association for the Study of Pain (IASP) en 1979 comme « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à une lésion tissulaire potentielle ou réelle, ou décrite en les termes d’une telle lésion ». Cette définition, établie avant même que l’on reconnaisse la capacité du jeune enfant à ressentir la douleur, n’est pas suffisamment adaptée à cette population.

Depuis, les Dr Anand et Craig(1) ont apporté des précisions concernant la douleur des nouveau-nés : « La douleur est une qualité inhérente à la vie qui apparaît très tôt dans l’ontogenèse et qui sert comme un système d’alarme de lésion tissulaire. » (1996). Les auteurs renforcent ainsi la définition de l’IASP et indiquent que pour le très jeune enfant, qui ne peut pas exprimer l’expérience qu’il vit tant sur le plan sensoriel qu’émotionnel, la douleur est un signal d’alarme dont l’adulte doit tenir compte. Comme le souligne Serge Marchand(2), s’appuyant sur de nombreux travaux, « …quoique parfois immatures, toutes les structures engagées dans l’acheminement du message nociceptif vers les centres supérieurs et dans l’élaboration d’une réponse appropriée sont en place plusieurs semaines avant la naissance ».

2. POURQUOI PRÉVENIR LA MÉMOIRE DE LA DOULEUR

Si, à partir d’un certain âge, il paraît normal qu’un enfant se souvienne de la douleur lors d’un soin, les idées reçues selon lesquelles « il est jeune, il ne s’en souviendra pas » ou « nous, on a bien été vaccinés et ça ne nous a pas traumatisés ! Il (elle) en verra d’autres ! » sont encore couramment émises tant pas les professionnels de santé que par les parents de jeunes enfants lorsqu’il s’agit d’effectuer un soin ponctuel comme une vaccination. En réalité, plusieurs études ont mis en évidence que l’enfant, même très jeune, garde en mémoire les sensations et, surtout, les émotions liées aux soins douloureux subis avant qu’il ne puisse en garder le souvenir. Ainsi, des nouveau-nés de mère diabétique ayant subi de nombreux prélèvements au talon dans les premiers jours de vie ont une réaction de retrait au moment de la désinfection du talon(3) lors des gestes ultérieurs. Les effets d’une circoncision(4)(5) – réalisée lors des premiers jours de vie – sont différents lors d’une vaccination effectuée quelques semaines plus tard selon que les enfants ont bénéficié ou non d’une analgésie lors du premier geste. Avec analgésie à la naissance, ils présentent un score de douleur plus faible lors de la vaccination réalisée entre l’âge de 4 à 6 mois.

Plus tard, à partir de 5 ans, les enfants sont capables de raconter avec exactitude un soin effectué une semaine plus tôt. Toutefois, les études mettent en évidence que plus les enfants pleurent lors des gestes, moins les faits sont correctement relatés. La mémoire de l’enfant est marquée par l’environnement émotionnel dans lequel il se trouve : si cet environnement est calme, il gardera le souvenir d’un geste qui s’est bien passé ; si l’ambiance est agitée, les émotions fortes, il gardera le souvenir d’un geste difficile. Une peur, voire une phobie des soins, peut s’installer. Ainsi, on peut identifier deux types de mémorisation : une mémorisation explicite, qui permet de raconter le souvenir, et une mémorisation implicite mise en évidence par les réactions des nourrissons à distance d’un soin douloureux.

3. LES CONSEQUENCES

Si les personnels soignants savent qu’il est nécessaire de prévenir et de soulager la douleur, il est fréquent qu’ils manquent d’arguments pour justifier la nécessité de cette prévention, car les conséquences de la douleur sur la santé de l’enfant sont encore méconnues. Elles sont de plusieurs ordres :

Les conséquences physiologiques

La douleur, quelle qu’en soit la cause, entraîne de la fatigue, du stress, une modification des paramètres tels que la tension artérielle, le rythme cardiaque et respiratoire. Ces modifications peuvent avoir des conséquences immédiates sur l’état de santé de l’enfant, d’autant plus s’il est précaire. Ces modifications ont pu être objectivées par l’augmentation des cathécolamines, de la sérotonine.

Les conséquences psychiques et psycho-affectives

L’enfant, d’autant plus qu’il est très jeune, ne dispose pas des capacités cognitives pour se protéger contre la douleur. Ainsi, il est incapable d’en comprendre l’intérêt car il ne fait pas le lien entre la douleur et sa cause. Il n’est pas plus capable d’intégrer la notion de délai entre la prise de médicament et la disparition de la douleur. Celle-ci peut engendrer des troubles du comportement, une peur, voire une phobie des soins, qui peut se manifester très tardivement.

D’autre part, l’enfant a une confiance totale en l’adulte, et notamment en son parent, censé le protéger. Aussi ne comprend-il pas que ses parents soient exclus des soins ou du service hospitalier alors qu’il a mal et se trouve dans un lieu inconnu. Il perd alors confiance en son parent, qui n’est pas capable de l’aider dans ces moments difficiles. Cette perte de confiance peut se manifester de différentes façons : comportements régressifs, difficultés à se séparer de ses parents, réveils nocturnes, difficultés alimentaires, perte de la propreté nocturne, etc. Afin de permettre à l’enfant de ne pas craindre les soins, de développer une « capacité à faire face » aussi appellée « coping positif », il est indispensable de prévenir la douleur dès le premier geste douloureux chez les nouveau-nés.

4. DOULEURS CHRONIQUES

Les douleurs chroniques de l’enfant et de l’adolescent se définissent par leur durée. Prolongées, elles peuvent être épisodiques, permanentes ou récurrentes (1 mois, 3 mois, 6 mois selon la définition de l’IASP, mais il n’y a pas de consensus international en pédiatrie). Elles se distinguent des douleurs aiguës, qui sont dues à une lésion (traumatique, inflammatoire par exemple…) et vont disparaître rapidement avec la guérison du dommage. Au cours d’un syndrome douloureux chronique, les signes d’activité du système nerveux autonome (sympathique) sont rarement présents, alors qu’ils le sont à la phase initiale d’une douleur aiguë. Le rythme, l’intensité et l’évolution de ces douleurs peuvent être très fluctuants. Parfois, le manque de signes physiques objectifs peut conduire les cliniciens inexpérimentés ou les soignants à minimiser ou à disqualifier ces douleurs. Par ailleurs, de nombreux soignants s’impliquent actuellement dans la prise en charge des enfants douloureux chroniques, après avoir suivi des formations douleur (voir p. 38) ou acquis la pratique de techniques dites complémentaires. La résolution de situations cliniques complexes devient possible.

Étiologie des douleurs chroniques :

L’étiologie est identifiée.

Les douleurs sont la conséquence d’une maladie chronique qui a provoqué un dommage tissulaire et/ou neurologique. Il s’agit, par exemple, des douleurs dues à la progression d’une tumeur cancéreuse, au cours d’une crise vaso-occlusive de la drépanocytose, des douleurs musculaires dans un polyhandicap, articulaires au cours d’une poussée de polyarthrite chronique juvénile. Ou encore de douleurs neuropathiques au cours d’une affection neurologique dégénérative congénitale ou après amputation d’un membre…

L’étiologie n’est pas identifiable

Dans d’autres cas, la lésion tissulaire ou neurologique est modeste ; elle ne peut pas être discernée lors d’examens radiologiques ou biologiques habituels. On parle alors de syndrome douloureux chronique (« non spécifique », « bénin »).

La douleur peut être localisée :

– au niveau du crâne : migraine, céphalée de tension, céphalée quotidienne ;

– au niveau du rachis : lombalgie chronique ;

– au niveau du squelette et des muscles : douleurs myofasciales, fibromyalgie ;

– au niveau de l’abdomen : douleurs abdominales chroniques non spécifiques ;

– au niveau du thorax.

Parfois, la lésion initiale a pu disparaître :

syndromes douloureux régionaux complexes de type I (algodystrophie)…

Voir également les sources citées p. 39 pour les douleurs chroniques.

1- Anand K.J.S. and al., « Systemic analgesie therapy ». Pain in neonates, vol. 10. p. 159-187.

Voir également les sources citées p. 39 pour les douleurs chroniques.

2- Marchand S. Le phénomène de la douleur. Comprendre pour soigner. Masson 2009, 378 p.

3- F.L. Porter, , C.M. Wolf, J. Gold, D. Lotsoff et J.P. Miller, « Pain and pain management in newborn infants : a survey of physicans and nurses » Pediatrics, 100, 4, (1997) p. 626-632.

4- A. Taddio, J. Katz, A.L. Ilersich, G. Koren, « Effect of neonatal circumcision on pain response during subsequent routine vaccination ». Lancet, 1997.

5- A. Taddio, M. Goldbach, M. Ipp, B. Stevens, G. Koren, « Effect of neonatal circumcision on pain response during vaccination in boys ». Lancet, 1995.

6- C. Wood, L. Teisseyre, C. Cunin-Roy. « Développement cognitif et intellectuel de l’enfant : approche de l’enfant malade et/ou douloureux selon son développement cognitif ». www.cnrd.fr rubrique enfant/généralités.