Qu’est-ce qui freine ? - L'Infirmière Magazine n° 277 du 15/04/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 277 du 15/04/2011

 

PERSPECTIVES

DOSSIER

Si l’ETP a aujourd’hui le vent en poupe en France, encore trop peu de programmes sont véritablement effectifs. Reste à espérer que les résistances cèderont avec le temps.

La meilleure preuve que l’éducation thérapeutique est à la mode, c’est que tout le monde dit en faire », ironise Frédéric Sanguignol, médecin nutritionniste à Toulouse, qui rappelle l’importance, pour pratiquer, d’être formés. Les premiers diplômes universitaires d’ETP ont été ouverts en 2002-2003(1) dans une quinzaine de régions de France, soit, pour chaque session, 20 à 25 soignants formés : « Il va falloir du temps avant de modifier les pratiques ! » Si les instituts de formation en soins infirmiers ont donné le ton depuis longtemps, l’ETP étant pour les infirmières un prolongement naturel du soin, du côté des médecins et des universités de médecine, le mouvement se fait peu sentir : « Si l’on n’évolue pas dans la formation des jeunes médecins, on aura la médecine qu’on mérite, loin des gens et monolithique, avertit François Ledru, cardiologue à l’hôpital européen Georges-Pompidou (AP-HP). Les mots “ETP” ou même éducation ne sont guère cités tout au long de nos études. Un mauvais signe qui traduit le fait que les docteurs, autrement dit les décideurs, ne sont pas encore de ce côté. Je le vérifie auprès de mes collègues, qui me perçoivent souvent comme celui qui ne fait rien mais qui parle. Ou bien ils estiment que les séances d’ETP ne sont pas du vrai soin. J’ai la pire des difficultés à les convaincre de nous signaler les patients qui ont des problèmes de compliance par exemple. »

Pénurie de libéraux

Conscients des efforts à fournir pour infléchir la tendance conservatrice, les militants promoteurs de l’ETP savent que, pour convaincre, l’argument économique doit faire loi. Occupé à rédiger le bilan de ses programmes, François Ledru espère ainsi publier des résultats tangibles : « C’est indispensable de montrer que l’éducation thérapeutique permet de faire réaliser des économies à notre système de santé. » Même direction empruntée par Frédéric Sanguignol, qui a mené une étude médico-économique(2) pour évaluer l’impact financier d’un programme auprès des patients diabétiques : « Cette étude a montré que lorsque l’on compare les dépenses de santé, neuf mois avant et après un séjour d’ETP de cinq jours, les coûts directs pour l’assurance maladie ont baissé de 5 % et ceux indirects (comme les arrêts maladie), de 57 %. »

Aux côtés du manque de reconnaissance des professionnels non sensibilisés à l’éducation thérapeutique, citons aussi, au rang des résistances, la pénurie des libéraux. Surchargés, ils ont peu de temps pour se former et relayer le programme initié à l’hôpital, comme le préconisent les rapports (notamment celui du député Jacquat, voir encadré En savoir plus). Or, les soignants pratiquant l’ETP vérifient quotidiennement que la contrainte, pour le patient, de revenir à l’hôpital pour ses séances constitue un obstacle, et ce même si on lui facilite le transport en lui fournissant, par exemple, des bons pour le taxi. La première précaution est que l’éducation thérapeutique puisse se pratiquer à proximité du domicile du patient.

Malgré cela, son adhésion n’est pas garantie. Les soignants disent la difficulté pour faire exister l’ETP et la nécessité d’intéresser l’environnement soignant, pour mobiliser et motiver les patients : « J’y vois les mêmes raisons philosophiques qui conduisent à ne pas trouver utile une consultation sans prescription, avance François Ledru. Nos programmes ont lieu en ambulatoire. Nous recueillons 40 % d’adhésion chez les patients insuffisants cardiaques et 30 % chez les coronariens, une moyenne qui se vérifie dans d’autres services. C’est trop peu. Ne sommes-nous pas assez convaincants ? On les appelle la veille, ils nous disent qu’ils viendront, mais nous avons beaucoup de désistements. » C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles l’éducation thérapeutique doit être intégrée aux soins, comme l’encourage la loi HPST : les consultations, les hospitalisations sont des opportunités de faire de l’ETP afin de susciter le désir du patient de participer aux programmes. « L’objectif à long terme est, bien sûr, de démédicaliser l’ETP, ajoute Hakima Ouksel, mais ne négligeons pas les lieux d’accroche que sont les structures de soins aigus. »

Motivation et engagement

Pudeur, difficulté à parler de soi ? « On ne leur a jamais beaucoup donné la parole, c’est difficile pour eux de la prendre ! » Une posture qui ne se vérifie pas toujours dans d’autres pathologies, comme le sida, pour lequel des patients jeunes et militants ont frayé le chemin de l’affirmation. Reste que pour tous, existe une vraie différence entre motivation et engagement : on peut avoir « envie de » sans pour autant réussir à passer à l’acte : « Lorsqu’il s’agit de venir à une consultation sur la prévention, les personnes se mobilisent. Mais de là à changer d’alimentation, à reprendre une activité physique, à arrêter de fumer… » Du côté des soignants convaincus par le mieux-être conféré par l’ETP, rien n’entrave, cependant, leur motivation : « Lorsque les personnes entrent dans le programme, conclut François Ledru, elles ne veulent plus en sortir ! Il est vrai que certaines, au bout d’un temps se “relâchent”. Mais d’autres recommencent une nouvelle vie, et il faut parier sur le temps pour mesurer les changements. »

1- Citons aussi le diplôme universitaire en éducation du patient (DUEP), ouvert un peu plus tard (en 1998) par le Centre de ressources et de formation à l’éducation du patient (Cerfep) de la Carsat Nord-Picardie en collaboration avec les trois universités de Lille.

2- « L’efficacité médico-économique de l’éducation thérapeutique chez des patients obèses », Sanguignol F, Lagger G, Golay A. Educ. Ther. patient (2009) 1(1) : 57-62. www.etp-journal.org

EN SAVOIR PLUS

Livres

→ Comment motiver le patient à changer, Alain Golay, Grégoire Lagger, André Giordan. Maloine, 2010.

→ Apprendre à éduquer le patient. Approche pédagogique, Jean-François d’Ivernois, Rémi Gagnayre. Maloine, coll. « Éducation du patient », 2008.

→ L’éducation thérapeutique des patients, nouvelles approches de la maladie chronique, Anne Lacroix, Jean-Philippe Assal, Vigot, 1998.

Recommandations

→ Structuration d’un programme d’éducation thérapeutique du patient dans le champ des maladies chroniques, Haute Autorité de santé, 2007. En ligne à cette adresse : bit.ly/hqyEsr

Rapports

→ Pour une politique nationale d’éducation thérapeutique du patient, Christian Saout, Bernard Charbonnel, Dominique Bertrand, août 2008, http://bit.ly/fpMzib

→ Éducation thérapeutique du patient. Propositions pour une mise en oeuvre rapide et pérenne, Denis Jacquat, La Documentation française, juillet 2010. bit.ly/943AwN

Article

→ « L’éducation thérapeutique du patient dans le champ des maladies chroniques », C. Le Gall, revue Soins n° 724, avril 2008, Elsevier-Masson.

COMPÉTENCES

ET LES INFIRMIÈRES ?

Dans une note de décembre 2010 (1), le Conseil national de l’ordre des infirmiers (CNOI) souligne que la formation conduisant au diplôme d’État assure à l’infirmier la compétence nécessaire pour « concevoir et mettre en œuvre une démarche d’éducation thérapeutique ». Cette compétence repose sur quatre unités d’enseignement, soit plus de 150 heures théoriques et pratiques, réparties sur les trois années de formation. Cependant, « bien que cette activité soit très largement investie par la profession, au quotidien ou dans le cadre de programmes ciblés, elle reste souvent occultée, dans une perspective organisationnelle et financière médico-centrée. » Le paradoxe, selon le CNOI ? D’un côté, l’infirmier est essentiellement considéré comme étant au service du médecin, et non pas comme un acteur de premier recours pour l’éducation thérapeutique. De l’autre, la plupart des actions à mettre en œuvre pour cette éducation ne nécessitent pas d’approche médicale au sens strict du terme. L’instance dénonce la vision française des programmes d’ETP, très médico-centrée, en même temps qu’hospitalo-centrée. « Or, l’étude Hill(2), au Royaume-Uni, montre que les résultats de la prise en charge de l’arthrose par des infirmières spécialisées est aussi bonne, en termes de suivi clinique, que celle assurée par des internes, mais un degré de douleur inférieur a été observé pour les patients du groupe pris en charge par ces infirmières. Le degré de connaissance de la maladie et l’indice de satisfaction étaient également meilleurs dans ce groupe. »

1- « L’infirmier dans l’éducation thérapeutique : une mission à part entière au sein de l’équipe pluridisciplinaire pour répondre avec efficience aux besoins des patients », sur www.ordre-infirmiers.fr.

2- Hill J et coll. : « Do OA patients gain additionnal benefit from care from a clinical nurse specialist ? A randomized clinical trial ». Rheumatology, 2009 ; 48 : 658-664.