La prise de médicaments - L'Infirmière Magazine n° 277 du 15/04/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 277 du 15/04/2011

 

FORMATION CONTINUE

IATROGÉNIE AU QUOTIDIEN

1. DESCRIPTION DU CAS

M. G, 73 ans, est hospitalisé pour un bilan cardiaque et vasculaire après plusieurs épisodes de dyspnée en quelques jours. Dans les antécédents de ce patient, on note une anémie réfractaire traitée par supplémentation en fer, une hypertension artérielle ainsi qu’une ostéosynthèse de la cheville gauche. L’hypertension artérielle, de longue date, est traitée par felodipine LP 5 mg (un inhibiteur calcique), le matin. Devant la persistance d’une pression artérielle à 170/100 mm Hg, un traitement par diurétique (furosémide 40 mg, 1 cp le matin) et Diffu K 600 mg, 1 cp le matin, a été instauré. Le traitement comporte également de l’alprazolam 0,25 mg matin et soir (benzodiazépine) et de l’alfuzosine LP (Xatral), un alpha1-bloquant destiné à traiter les symptômes de l’hypertrophie bénigne de la prostate, 2 fois par jour.

Le jour prévu pour son retour à domicile, soit après trois jours d’hospitalisation, le patient fait une chute en essayant de rejoindre son fauteuil. Au cours de cette chute, il se fracture le col du fémur gauche.

À l’examen clinique, le médecin ne constate pas de trouble de la conscience ni de syndrome déficitaire. Le patient est choqué, se plaint de douleurs intenses de la hanche gauche. Sa pression artérielle est à 80/40 sans tachycardie.

L’infirmière signale qu’elle a écrasé tous les comprimés pris le matin même et les a administrés mélangés dans une compote de fruit, à la demande du patient, qui rapportait des difficultés à déglutir.

QUE S’EST-IL PASSÉ ?

Il existe plusieurs facteurs pouvant expliquer la chute de ce patient :

→ Le traitement antihypertenseur peut entraîner des hypotensions orthostatiques ;

→ L’association de ce traitement avec un alpha-bloquant (Xatral LP) peut majorer une éventuelle hypotension ;

→ L’utilisation d’une benzodiazépine (alprazolam, Xanax) peut être à l’origine de faiblesses et d’hypotonie musculaires.

→ L’écrasement de formes galéniques à libération prolongée est probablement à l’origine d’un surdosage en felodipine et en alfuzosine, ces deux médicaments pouvant provoquer une chute marquée de la tension artérielle.

2. MÉDICAMENTS ENTRAÎNANT UN RISQUE DE CHUTE

Parmi les médicaments fréquemment prescrits chez la personne âgée et qui peuvent être à l’origine de malaises et de chutes, on peut répertorier :

Médicaments cardio-vasculaires

Tous les médicaments de la classe des antihyper-tenseurs (inhibiteurs de l’enzyme de conversion, inhibiteurs calciques, bêta-bloquants, diurétiques, sartans, alpha-bloquants…) peuvent êtres à l’origine d’hypotensions orthostatiques marquées. L’association souvent nécessaire de plusieurs antihypertenseurs et leur administration concomitante le matin peut aggraver ce risque.

Médicaments utilisés en psychiatrie

→ Les médicaments de la famille des neuroleptiques peuvent engendrer un syndrome extrapyramidal et une hypotension orthostatique.

→ Les benzodiazépines, en raison de leur composante myorelaxante, génèrent parfois une hypotonie musculaire.

→ Les antidépresseurs peuvent entraîner des effets indésirables tels que hypotensions et vertiges.

Médicaments utilisés en neurologie

→ Les antiparkinsoniens

→ Les anti-cholinestérasiques indiqués dans la maladie d’Alzheimer.

Autres médicaments

→ Les antalgiques de palier II et III (tramadol, morphiniques) sont souvent à l’origine de sensations vertigineuses.

→ Tous les médicaments bradycardisants.

→ Certains antibiotiques (macrolides, quinolones, métronidazole) peuvent provoquer vertiges et hypotension orthostatique.

L’association de plusieurs de ces médicaments doit par ailleurs inciter à plus de vigilance, en raison notamment de la potentialisation des effets indésirables à l’origine de vertiges, d’hypotension ou de malaises.

3. FORMES ORALES : VIGILANCE AVANT DE COUPER OU D’ÉCRASER

Afin de permettre la prise de médicaments par voie digestive chez les patients présentant des difficultés de déglutition ou porteurs de sondes naso-gastriques, l’infirmière est souvent amenée à couper, ouvrir ou écraser la formulation galénique d’origine. Si, dans de nombreux cas, cette pratique est envisageable, elle ne doit néanmoins pas être généralisée. En effet, les risques potentiels d’une mauvaise manipulation peuvent se traduire par :

→ des modifications des propriétés galéniques, physicochimiques ou pharmacocinétiques du médicament, pouvant engendrer une toxicité ou, à l’inverse, une baisse ou perte d’efficacité ;

→ des incompatibilités entre les médicaments écrasés simultanément dans le même mortier ;

→ une toxicité locale lors de l’administration, avec ulcération ou irritation de la muqueuse buccale ou digestive ;

→ des erreurs de dosage.

4. EN PRATIQUE

CE QU’ON NE DOIT PAS FAIRE

→ Ne pas remplacer une forme galénique par une autre. Deux dosages identiques mais de formes galéniques différentes peuvent avoir des délais et des durées d’action très différents.

→ Ne pas couper, écraser les comprimés ni ouvrir les gélules à l’avance (altération des principes actifs en présence d’air ou d’humidité).

→ Les comprimés sublinguaux, les capsules molles ou les gélules à contenu huileux, les formes à libération prolongée ou modifiée ainsi que les comprimés multicouches ne doivent pas être écrasés.

→ Ne pas écraser plusieurs comprimés en même temps.

CE QU’ON PEUT FAIRE « SOUS RÉSERVE »

→ Les comprimés ne sont divisibles que s’ils présentent une rainure sur les deux faces (sécables).

→ Privilégier les formes liquides quand elles existent (solutions, sirops, émulsions, gouttes).

→ Les comprimés à revêtement gastro-résistant ne peuvent être écrasés que s’ils sont administrés au moyen de sondes duodénales ou jéjunales.

→ Les gélules à libération prolongée peuvent être ouvertes à condition que leur contenu ne soit pas écrasé.

→ Le mortier et le pilon doivent être nettoyés entre chaque prise de médicament.

→ L’ouverture d’une gélule ou le broyage d’un comprimé doivent être décidés au cas par cas.

Précision : dans l’article Iatrogénie au quotidien de notre n° 270 consacré aux digitaliques, le message à retenir est : « Il ne faut pas retranscrire les ordonnances. C’est une source d’erreur notable. » Même si l’on procède avec vigilance, il ne faut pas recopier une ordonnance.