Le point de vue du terrain - L'Infirmière Magazine n° 273 du 15/02/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 273 du 15/02/2011

 

RÉFORMES À L’HÔPITAL PUBLIC

REFLEXION

Pôles, nouvelle gouvernance, T2A… Ces dernières années ont vu les changements se succéder, sans que les problèmes spécifiques à l’hôpital public aient été clarifiés. À partir de situations de terrain, voici une analyse et des pistes de réflexion.

Depuis 2007, les établissements publics de santé (EPS) sont organisés en pôles d’activité. Chacun, avec un médecin à sa tête, regroupe plusieurs services de soins. Depuis 2005, la réforme de la « nouvelle gouvernance » a instauré une gestion collégiale : médecins et directeurs. En juillet 2009, la loi HPST(1) a conféré la responsabilité de l’hôpital au seul chef d’établissement.

Cette dernière loi répond de façon pertinente aux problèmes de santé de la population, hors de l’hôpital. Elle permet, grâce aux agences régionales de santé (ARS) de décloisonner la médecine hospitalière publique, privée, ambulatoire et des secteurs médico-sociaux et éducatifs. Mais elle propose peu de solutions pour l’hôpital public. Et surtout, sans affichage clair de ses problèmes spécifiques.

Délégation parcimonieuse

Commençons par la situation des médecins. La délégation de gestion au chef de pôle s’est faite avec parcimonie dans la plupart des hôpitaux. L’Inspection générale des affaires sociales (Igas) l’a souligné dans son rapport de 2010(2) : « La progression de l’organisation polaire suppose qu’une nouvelle étape soit franchie, celle des délégations de gestion et de moyens aux pôles et d’une acculturation des équipes de direction à cette nouvelle configuration. » D’autre part, les pôles sont confrontés, avant la dispensation des soins, au problème de l’équilibre budgétaire : il leur est demandé d’être rentables. Aussi, deux interrogations se font jour :

– Pour les pôles, peut-on encore parler de principe de subsidiarité(3)?

– Le pôle est-il encore une structure organisationnelle et managériale au service des malades ?

Du côté des directeurs, la gestion budgétaire est devenue plus complexe. En effet, en 1985, le budget global permettait de connaître en début d’année l’enveloppe budgétaire allouée. Aujourd’hui, la tarification à l’activité (T2A) ne permet de disposer que d’un budget prévisionnel. Il peut être modifié par une activité de soins inférieure aux prévisions. Inversement, l’activité peut être au rendez-vous, mais ce sont les tarifs Sécurité sociale qui baissent. Si la partie recettes est aléatoire, il en va de même de certaines dépenses, par exemple, lorsque le ministère décide d’augmenter les salaires sans donner une enveloppe financière complémentaire aux établissements.

En septembre 2010, la Cour des comptes s’inquiétait du niveau d’endettement des hôpitaux publics : « Pour 1000 hôpitaux, le total des seuls déficits s’est élevé à 736 millions en 2006, 856 en 2007, 756 en 2008 et696 en 2009. »(4) Après ce constat sur les difficultés financières, elle s’est attachée à expliquer ces dégradations en pointant les investissements nombreux (constructions, travaux…) lancés dans le cadre du plan Hôpital 2007 – « indépendamment de ce que l’exploitation des hôpitaux pouvait dégager en moyens ». Et notait : « Beaucoup des investissements lancés pèsent durablement sur la marge de manœuvre des établissements. »(4)

Les choix de nos dirigeants hospitaliers ont eu pour conséquence de nombreux déficits, imposant des économies pour revenir à l’équilibre budgétaire. Or, le personnel représentant 70 % du budget, c’est au sein de ce groupe de dépenses que se sont portées, majoritairement, les solutions. Ces conséquences posent les questions suivantes :

– L’instabilité des tarifs cessera-t-elle enfin, la T2A existant maintenant depuis plusieurs années ?

– Quelle sanction pour le directeur si ses choix d’investissements sont incompatibles avec le budget de l’établissement ?

« Faire à la place de »

Et les soignants, dans tout cela ? Sur le terrain, la proximité avec les malades ne peut leur faire oublier la finalité de leurs actions : le soin. Cela les conduit à préserver les patients des dysfonctionnements toujours plus nombreux, en modifiant en permanence les organisations, en « faisant à la place de » pour gagner du temps. Le manque de considération, voire parfois le mépris, se sont aggravés avec les réformes successives qui ont transformé l’organisation hospitalière en modifiant les niveaux décisionnels.

En raison de la diminution des effectifs infirmiers dans le cadre des restrictions budgétaires, et pour maintenir la continuité des soins, les infirmiers reviennent sur des congés, sur des week-ends, changent d’horaires, déplacent leurs repos…

En janvier 2010, on pouvait lire, dans Les Échos(5), à propos des hôpitaux publics en France : « L’an dernier, pour la première fois depuis au moins dix ans, l’effectif permanent a reculé : 1 800 postes de moins parmi les soignants (les infirmières par exemple, mais pas les médecins) et les non-soignants (emplois médico-techniques en imagerie médicale, logistique, transports…). » Qu’en est-il des administratifs ?

Non-remplacements

Chez les soignants, les infirmières sont les plus touchées par les réductions d’effectif, car leur turn-over est très important. Elles sont souvent la variable d’ajustement budgétaire. En effet, il est plus facile de ne pas remplacer un agent en profitant de son départ, même s’il faisait une activité de soin ! Une méthodologie de gestion des départs permettrait d’anticiper les besoins de remplacement, ou de non-remplacement des personnes partantes. L’histoire de la profession infirmière et l’impératif de la continuité des soins amènent beaucoup d’infirmiers à se positionner comme les subordonnés de tous. Dans ce « piège », ils acceptent parfois l’inacceptable. Il est indispensable d’anticiper les embauches infirmières si nous voulons fonctionner correctement dans les hôpitaux. Fermer des lits par manque d’infirmières à l’heure de la T2A est un non-sens !

Et pour les cadres infirmiers, passer des heures au téléphone afin d’avoir du matériel, refaire dix fois les plannings, rappeler les agents sur leurs congés… est un travail stressant et peu gratifiant qui les éloigne des soins.

La nouvelle gouvernance n’a pas fait le choix d’organiser l’hôpital autour du malade, mais sur la base du « qui gouverne ». Lors de l’élaboration de la loi HPST, la notion de pouvoir a été au centre des débats, faisant oublier la mission première de l’hôpital : les soins ! Ces deux réformes successives ne reconnaissent que « deux familles : médicale et administrative ». Or, la loi ne peut changer du jour au lendemain une réalité. Les infirmières et leur encadrement ont une place centrale dans le « maillage » des organisations, en favorisant la coordination et la cohérence des soins par la circulation de l’information.

À force de minimiser le travail accompli par les soignants, il s’est installé un sentiment d’impuissance et de découragement. Pourtant, sans l’implication forte des infirmières qui assurent la continuité des soins 24 heures sur 24, 365 jours par an, l’atteinte des objectifs de qualité et de sécurité des soins est quasi impossible ! L’Igas renforce cette idée, puisqu’elle préconise de « définir et de faire connaître la ligne managériale dans l’établissement, les rôles et les positionnements de l’encadrement et les circuits de décision… D’introduire une ligne de commandement claire sans bouleverser les équilibres de l’organisation hospitalière. »(2)

Ce qui soulève ces questions :

– Jusqu’où les infirmières accepteront-elles de « faire à la place de » ou de couvrir l’inacceptable ?

– Si les paramédicaux décidaient de s’en tenir strictement à la place qui leur a été donnée par ces deux réformes successives, ne verrions-nous pas l’hôpital public imploser ?

Au final, on peut se demander si la réforme de 2009 n’est pas venue trop tôt après celle de 2005. La succession de changements oblige les acteurs à s’adapter en permanence, avec peu de temps pour « ingérer » les consignes de la réforme précédente. Lorsque l’on parle avec les hospitaliers, le discours est très souvent alarmiste, dans un contexte d’incompréhension. Qu’en sera-t-il de la famille soignante dans les années à venir ? Les désordres organisationnels et les difficultés de communication amèneront-ils les pouvoirs publics à reconsidérer le rôle et la place de ces hommes et de ces femmes qui travaillent autour des malades ?

1– Loi Hôpital, Patient, Santé et Territoires du 21 juillet 2009.

2– Bilan de l’organisation en pôles d’activité, rapport de l’Igas, mai 2010. Disponible à cette adresse : http://bit.ly/f6eHtD.

3– Subsidiarité : Rechercher le niveau le plus pertinent et le plus proche de la situation à traiter ou à gérer. Il conduit à ne pas faire à un échelon plus élevé ce qui peut être accompli à un échelon plus bas.

4– Rapport de la Cour des comptes sur la Sécurité sociale, septembre 2010 (chapitre XI sur les hôpitaux). http://bit.ly/fodtTR

5– Les Échos, 12 janvier 2010. Chiffres issus d’une annonce de Gérard Vincent, délégué général de la Fédération hospitalière de France.

MONIQUE MONTAGNON-OZIOL

ANCIENNE COORDINATRICE DES SOINS DE CHU

→ Elle a exercé pendant plus de trente ans à l’hôpital public, et elle en a vécu les réussites et les difficultés, aussi bien du côté des soins que de la direction.

→ Infirmière de formation, elle devient puéricultrice dans les années 1980.

→ Elle passe cadre infirmier, puis cadre supérieur en pédiatrie, dans les années 1980 et 1990.

→ Devenue infirmière générale en 1998, elle est nommée coordinatrice des soins en 2004.