« Une expertise grandissante » - L'Infirmière Magazine n° 271 du 15/01/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 271 du 15/01/2011

 

ASSOCIATIONS

RÉFLEXION

Les associations de malades et d’usagers ont vu leur rôle originel d’entraide s’étoffer avec l’apparition de pathologies posant de nouveaux défis à la médecine, et leur statut de partenaires institutionnels s’est renforcé.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Quelle est l’origine des ? associations de malades et d’usagers ?

VOLOLONA RABEHARISOA : À partir des années 1940, les associations de malades sont apparues, peu de temps après celles de personnes handicapées, nées à la suite de la Première Guerre mondiale. Ces associations de malades représentaient des personnes souffrant de maladies chroniques (l’hémophilie, le diabète, la sclérose en plaques…) et centraient essentiellement leur action sur l’entraide. Ces structures ont souvent été mises en place par des médecins, ou bien elles avaient des liens étroits avec le milieu médical. Certaines d’entre elles se sont créées parce que des professeurs de médecine, qui avaient des consultations hospitalières, rencontraient les malades et entretenaient avec eux des relations dans la durée.

L’I. M. : Puis une deuxième génération est arrivée…

V. R. : À partir des années 1970, et surtout 1980, d’autres associations ont vu le jour, qui, ne voulaient plus être de simples auxiliaires du milieu médical pour tout ce qui a trait au soutien émotionnel et social des patients. Elles ont mis d’autres missions en avant. C’est notamment le cas des associations concernées par le sida et les maladies rares. Constatant la défaillance des médecins face à leurs pathologies, elles ont décidé de contribuer aux actions permettant de mieux les comprendre et les combattre. C’est la raison pour laquelle elles se sont tournées vers les chercheurs. Ce déplacement a eu un effet radical : le rapport de pouvoir entre les médecins et les malades en a été changé. Ces structures se sont donné une mission très différente de celle de leurs aînées, moins tournées vers le social et davantage orientées vers la lutte contre les maladies.

L’I. M. : Peut-on dire qu’il existe deux modèles ­d’associations de malades et d’usagers ?

V. R. : Il y a une différence très visible entre les associations qui s’en remettent aux spécialistes et celles qui réclament d’être des partenaires des spécialistes. Mais attention, l’adoption de tel ou tel modèle correspond à des circonstances particulières, et ce choix n’est pas figé. Certaines associations décident de ne pas se mêler des affaires techniques. Elles considèrent qu’elles n’en ont pas les compétences, qu’elles n’ont pas envie de les acquérir et que leur mission est l’aide aux malades et le plaidoyer, c’est-à-dire la défense des droits et des intérêts de ces derniers (ce que les Anglo-Saxons appellent advocacy). Ce n’est pas un hasard s’il s’agit souvent de structures concernées par des pathologies connues du milieu médical, sur lesquelles la recherche est déjà bien développée, avec de vrais progrès en termes d’innovation médicale et de prise en charge.

En revanche, des associations plus récentes, parce qu’elles avaient le sentiment que personne ne s’occupait de leur maladie, ou qu’on la connaissait mal, ont décidé d’acquérir des connaissances médicales pour pouvoir, d’abord, discuter avec les spécialistes. Quelques-unes sont devenues des partenaires de ces spécialistes. C’est le cas de certaines associations de lutte contre le sida, qui ont été très actives dans la recherche. Elles participent aux colloques, discutent des protocoles d’essais cliniques avec les chercheurs et prennent part à la recherche biologique.

L’I. M. : Les associations peuvent également ­intervenir dans l’organisation des soins…

V. R. : On en revient au caractère très contingent du développement des modèles associatifs. Alors que certaines associations de lutte contre le sida s’engageaient fortement dans la recherche, d’autres se sont inscrites dans une autre sphère de mobilisation : l’organisation de la filière des soins. Au début des années 1990, et même si les premières molécules commençaient à être découvertes, il fallait prendre en charge les personnes atteintes du sida. Des associations ont mis en place, financé et en partie géré des appartements thérapeutiques pour permettre à ces personnes d’être soignées, de prendre du repos, de vivre un peu de répit. Il s’agit de choix stratégiques. À un moment donné, une association doit choisir les types de mission qu’elle entend soutenir financièrement et développer. Sauf dans des cas assez rares, elles doivent faire des choix. Mais ces derniers peuvent évoluer avec le temps et s’hybrider. Par exemple, les associations de lutte contre les maladies rares, dont une majorité étaient, et sont toujours fortement engagées dans la recherche, ont aussi œuvré à la mise en place des centres de référence dans le cadre du premier plan national Maladies rares.

L’I. M.: Les associations sont-elles parvenues à faire reconnaître leur expertise ?

V. R. : Elles ont toujours été détentrices d’une expertise basée sur leur expérience des maladies. Ce qui a changé, c’est l’adjonction à cette expertise de connaissances scientifiques et médicales, et, du même coup, la distribution des compétences entre médecins, chercheurs et associations. Pour ce qui est de leur reconnaissance, à présent, c’est surtout leur rôle social et politique qui est reconnu. Il est d’ailleurs inscrit dans la loi.

Les institutions reconnaissent les associations comme représentant les malades et les usagers dans le secteur de la médecine et de la santé. Des dispositifs de participation ont été mis en place. Les associations siègent dans les conseils d’administration et dans les conseils scientifiques des institutions. En revanche, la reconnaissance de leur expertise sur les maladies elles-mêmes est encore timide.

L’I. M. : Quelles ont été les plus aptes à se faire reconnaître dans leur expertise « technique »?

V. R. : Les associations de lutte contre le sida, depuis le début, ont été dans cette quête de reconnaissance indispensable pour faire avancer leur cause. Les travaux de Janine Barbot et de Nicolas Dodier(1) ont montré à quel point la reconnaissance de l’expertise de ces associations sur leur maladie a été non seulement nécessaire mais aussi consubstantielle au mouvement sida. Cela s’est traduit par l’invention d’une forme de gouvernance tout à fait originale avec la création de l’ANRS(2), en 1992, bien avant les lois dites de démocratie sanitaire.

On peut également citer le monde des maladies rares, qui s’est déployé à partir de l’action menée par l’AFM, l’Association française contre les myopathies. Cette dernière, dès sa création, en 1958, affirmait qu’il fallait faire de la recherche.

L’I. M. : Les associations doivent-elles choisir entre le lobbying et un mode de cogouvernance ?

V. R. : Dans le milieu de la médecine et de la santé, on tend un peu à confondre les associations avec de simples groupes d’intérêt ou des lobbies. Le lobbying n’est qu’un élément de l’action associative. Par exemple, pour le deuxième plan national Maladies rares, qui était censé sortir il y a quatre mois et qui n’est toujours pas promulgué, les associations font du lobbying en disant : « Nous avons travaillé avec vous, pouvoirs publics, à la mise en place de ce second plan, et au moment où ce dernier doit sortir, il ne se passe rien… » Elles font du lobbying pour faire aboutir une action à laquelle elles avaient participé. Et elles sont de plus en plus souvent conduites à le faire au niveau européen. Autrement, elles essaient surtout d’être présentes dans les débats, d’être associées à la préparation des projets de loi, de contribuer, en amont, à l’élaboration des guides de bonnes pratiques édictées par la Haute Autorité de santé. Elles essaient d’intervenir le plus en amont possible des décisions institutionnelles, en prenant appui sur la loi du 4 mars 2002(3).

Il y a encore du chemin à parcourir, mais les institutions commencent à changer leurs habitudes et mettent en place des dispositifs pour apprendre à collaborer avec les associations. L’exemple du groupe de réflexion avec les associations de malades mis en place par l’Inserm en 2003 offre une illustration intéressante de ces changements institutionnels.

1– Voir Les Malades en mouvements. La médecine et la science à l’épreuve du sida, de J. Barbot, 2002, et Les leçons politiques du sida, de N. Dodier, Éditions de l’Ehess, 2003.

2– Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites. Les associations de lutte contre le sida, de malades ou de personnes séropositives sont présentes dans son conseil d’administration, dans le conseil scientifique, dans les comités de travail sur les essais cliniques.

3– Relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

VOLOLONA RABEHARISOA

Sociologue, professeure à Mines-ParisTech

Chercheur au Centre de sociologie de l’innovation, elle s’intéresse au rôle des associations de malades et d’usagers dans le système de santé. Elle a écrit, avec M. Callon, Le pouvoir des malades, l’Association française contre les myopathies et la recherche (1999) et, avec M. Akrich et C. Méadel, Se mobiliser pour la santé. Des associations de patients témoignent, 2009 (Presses de l’École des mines).