« Il faut poser certaines limites » - L'Infirmière Magazine n° 270 du 01/01/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 270 du 01/01/2011

 

RÉLIGION À L’HÔPITAL

RÉFLEXION

Comment s’exerce la liberté de culte dans les structures de santé ? Auteur de Soins, cultures et croyances(1), Isabelle Lévy donne des repères pour mieux vivre ce droit à l’intérieur de l’hôpital.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : En 1905, la France a voté la séparation de l’Église et de l’État. Quelle était la volonté du législateur à l’époque ?

ISABELLE LÉVY : L’idée était claire : que les Églises, notamment l’Église catholique, ne s’immiscent plus dans les affaires ni les décisions de l’État. Depuis, les lois républicaines priment sur les religions comme sur les coutumes et les usages. Elles s’appliquent à tous ceux, Français et étrangers, qui vivent sur le territoire national, quelle que soit leur confession ou leur croyance. La laïcité ne s’oppose pas aux religions. Elle garantit, au contraire, la liberté de culte pour chacun.

L’I. M. : Que révèle, selon vous, la résurgence de l’affirmation, de la part des individus, de la foi dans l’espace public ?

I. L. : Ce n’est pas un phénomène nouveau. Un peu partout dans le monde, de multiples épisodes de ce type jalonnent l’histoire récente ou plus ancienne. Des épisodes qui s’ancrent le plus souvent dans des périodes économiques, sociales et politiques troublées. Aujourd’hui, on peut lire dans ce comportement une forme de refuge, mais également une sorte de quête du bonheur et de valeurs spirituelles que la société moderne, désormais davantage portée sur la consommation et la possession de biens matériels, ne semble plus en mesure d’apporter. Ce besoin illustre également une nécessité pour les individus de se démarquer et de réaffirmer leur foi vis-à-vis d’un monde qui tend à vouloir les uniformiser. Cela dit, les comportements de certains croyants fondamentalistes, voire intégristes, qui œuvrent dans toutes les confessions, demeurent très minoritaires en France, même s’ils sont plus visibles et souvent plus médiatisés que les autres.

L’I. M. : Il n’est pas rare que les soignants se plaignent des demandes, parfois même des injonctions, de pratiquants. Pourquoi l’hôpital semble-t-il davantage soumis à ce type de pressions ?

I. L. : L’hôpital est un lieu d’accueil et de soins qui reçoit quiconque s’y présente, sans discrimination et sans jugement. En outre, si les soignants se doivent de respecter les besoins fondamentaux des patients, le bien-être spirituel faisant partie de ces besoins, ils sont aussi naturellement à l’écoute de l’autre. De fait, patients et familles osent des demandes qu’ils ne formuleraient pas forcément hors les murs, parce qu’ils pensent qu’elles ne seront pas réprimées. De surcroît, du fait de la maladie, de la souffrance physique et morale et de l’anxiété qu’elles génèrent, ils sont en situation de fragilité. Or, c’est souvent quand on est en proie à la vulnérabilité que le besoin de se référer à la foi et aux rites se fait plus prégnant.

L’I. M. : Comment doivent réagir les soignants face aux demandes d’usagers et de patients qui exigent, par exemple, d’être pris en charge par un homme ou par une femme ? Et que dit la loi à ce sujet ?

I. L. : La loi est très claire. Elle précise qu’ à l’hôpital, chacun doit être pris en charge dans le respect de ses pratiques religieuses et culturelles lorsque l’organisation des soins et celle des services le permettent. Ainsi, si une patiente demande à être prise en charge par du personnel féminin, on doit accéder à sa demande dès lors que des soignantes sont disponibles dans l’équipe. Sinon, elle – ainsi que ses proches – doit accepter d’être suivie par un personnel masculin.

Il faut souligner que toutes les religions admettent la nécessité de transgresser l’interdit pour recevoir des soins et, le cas échéant, pour sauvegarder la vie. Je constate que les établissements qui ont été ouverts aux exigences de cette nature se sont retrouvés désorganisés dans la prise en charge des soins, dans leur planning, et ont dû parfois rappeler des personnels en astreinte… On le voit, c’est rapidement ingérable tant il est vrai que l’hôpital n’a pas les moyens budgétaires et humains de répondre à ces demandes. Et, à mon avis, il n’est d’ailleurs pas utile de le faire.

L’I. M. : Lors de vos conférences, vous insistez sur le fait que les religions sont plus tolérantes que les pratiquants eux-mêmes. Qu’entendez-vous par là ?

I. L. : En situation d’urgence ou de nécessité, toutes les religions lèvent leurs interdits. Elles autorisent, par exemple, la prise de traitements pendant les périodes de jeûne, l’absorption d’aliments ordinairement proscrits ou le décalage des heures de prière… Or, les fidèles ne sont pas toujours informés de ces dispositions et souhaitent l’application stricte des règles de leur religion. Lorsqu’ils sont en butte à ce type de situation, les soignants peuvent faire appel au personnel religieux de référence pour qu’il rencontre les patients et leur famille et explique le contexte qui conduit à la levée d’un interdit. Par ailleurs, on oublie trop souvent que les aumôniers sont également disponibles pour épauler les soignants dans leurs décisions ou les conforter dans leurs choix.

L’I. M. : Quelle est la nature des demandes des établissements lorsqu’ils font appel à vos services ?

I. L. : Principalement, et c’est fâcheux, pour des questions qui ont trait aux rites funéraires, alors que c’est tout au long du séjour en établissement de santé que cette démarche devrait s’opérer. Comme si la mort était le seul moment où l’on se devrait de respecter la religion du patient. C’est tellement vrai que les aumôniers ne sont souvent appelés au chevet des patients qu’aux derniers instants de vie…

L’I. M. : Une meilleure formation des soignants pourrait-elle faciliter ce vivre-ensemble ?

I. L. : Assurément. Or, dans les Ifsi, cette formation initiale est rarement dispensée et, lorsque c’est le cas, elle a peu d’écho auprès des étudiants, car ils n’en voient pas l’intérêt. Il sont davantage préoccupés par l’apprentissage des techniques de soins. Mais, sur le terrain, ils sont confrontés à la réalité et ressentent le besoin de comprendre pour savoir comment réagir face aux demandes religieuses et culturelles de toutes sortes. Et s’il faut savoir accepter certaines demandes, il ne faut pas non plus tout accepter. Il y a des limites à poser : respect de l’organisation des soins, des prescriptions médicales et de soins, des règles d’hygiène…

L’I. M. : Pourquoi est-il nécessaire que les soignants ne dévoilent pas leur appartenance religieuse ?

I. L. : C’est la loi. Ainsi, la circulaire du 2 février 2005 affirme que les patients ne doivent jamais douter de la neutralité des agents hospitaliers. Cette neutralité doit s’exprimer dans leur tenue, leurs actes et leurs paroles. À l’hôpital public, les personnels sont des agents de l’État, et sont donc tenus de respecter le principe du service public : un espace ouvert à tous sans mise en avant de références culturelles ou religieuses.

L’I. M. : Les hôpitaux vous semblent-ils respecter les pratiques religieuses ?

I. L. : La situation est très variable d’un établissement à l’autre. Dans certains, on refuse d’évoquer le sujet, de peur de soulever des problèmes encore plus grands. Évidemment, en cas de difficultés, les agents sont totalement désarmés devant les demandes des usagers… D’autres affichent une volonté, mais elle est assez molle et relève, le plus souvent, de la bonne conscience. Par exemple, des établissements proposent des formations aux infirmières et aux aides-soignantes, très rarement aux cadres, mais ne donnent aucun moyen pour l’application des dispositions réglementaires. Bref, au personnel d’imaginer des solutions. Dans certaines structures, de véritables aumôneries multiconfessionnelles, dotées de moyens et de lieux de culte, sont mises en place. Les aumôniers sont connus des personnels et des usagers, notamment par le biais du livret du patient hospitalisé. Cela dit, je constate que la grande majorité des administrations et des soignants ignorent la réglementation hospitalière en la matière. Des efforts restent réellement à fournir.

1 – Soins, cultures et croyances, Guide pratique des rites, cultures et religions à l’usage des personnels de santé et des acteurs sociaux. Éditions Estem, 16 €.

ISABELLE LÉVY

Écrivain et conférencière

→ D’abord secrétaire médicale, elle a travaillé auprès de plusieurs directions d’établissement de santé.

→ Intéressée par l’histoire des religions, elle s’est spécialisée sur ces questions pour aider les soignants qui lui demandent conseil.

→ Elle a publié plusieurs livres et guides pratiques, tels Les soignants face au décès et Mémento pratique des rites et des religions à l’usage des soignants.

→ Elle anime des conférences pour les soignants sur, par exemple, la religion à l’hôpital ou les rites funéraires dans les trois religions monothéistes.

En savoir plus : www.levyisabelle.net