LA DÉPRESSION CHEZ L’ADULTE - L'Infirmière Magazine n° 269 du 15/12/2010 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 269 du 15/12/2010

 

DOSSIER

L’ESSENTIEL

Pathologie psychiatrique la plus fréquente dans la population générale, la dépression est un trouble de l’humeur qui se traduit par une perte d’énergie psychique, une anxiété, une culpabilisation, des troubles cognitifs et somatiques. Chez la personne âgée, où elle est méconnue, elle présente quelques singularités par rapport au tableau classique. La stratégie thérapeutique consiste à associer antidépresseurs et psychothérapie. Dans les cas les plus sévères, on peut avoir recours à l’électro-convulsivothérapie. Le rôle infirmier s’inscrit à plusieurs temps de la prise en charge : lors de l’entretien infirmier à domicile ou sur un lieu de soins, lors de la consultation avec le médecin ou encore lors d’activités thérapeutiques. L’infirmier peut également être amené à reconnaître et à faire face à la douleur psychique de patients dépressifs hospitalisés en service de soins somatiques. Autant s’y préparer…

1. SIGNES CLINIQUES

Poser un diagnostic d’épisode dépressif impose la présence de symptômes psychiques et somatiques persistant depuis au moins deux semaines et contrastant avec le comportement habituel du sujet.

Signes psychiques

→ Humeur dépressive : tristesse, insatisfaction, pessimisme s’observent la plus grande partie de la journée, presque chaque jour.

→ Incapacité constante à trouver du plaisir dans une quelconque activité (anhédonie).

→ Modification du poids et/ou de l’appétit : diminution souvent importante de l’appétit avec une perte de poids excédant 5 % en un mois.

→ Troubles du sommeil : insomnies de fin de nuit ou succession d’éveils nocturnes prolongés, réveil matinal précoce et angoissé, hypersomnie.

→ Agitation ou ralentissement psychomoteur : ce signe n’est pas subjectif. Il est constaté par l’entourage qui s’étonne de voir le patient inactif, voire inexpressif.

→ Perte de l’estime de soi, sentiment de dévalorisa-tion ou de culpabilité rendant difficile toute activité.

→ Bradypsychie et incapacité à se concentrer ou indécision.

→ Idées suicidaires et pensées récurrentes relatives à la mort, sans qu’elles soient toujours évoquées explicitement par le patient. Certains comportements sont tenus comme « équivalents suicidaires » puisqu’ils peuvent mettre en jeu le pronostic vital : anorexie, mutilations, conduites à risque…

L’épisode dépressif est « majeur » (EDM) ou « caractérisé » dès que cinq de ces neuf symptômes sont réunis en continu pendant au moins deux semaines d’affilée.

Le caractère majeur d’un épisode est indépendant de sa sévérité. En effet, certains épisodes dépressifs peuvent ne pas réunir tous les critères d’un EDM mais se révéler sévères car handicapants ou exposant à une évolution péjorative.

Signes somatiques

L’état dépressif est toujours accompagné d’anxiété (parfois intense). La survenue de signes somatiques affecte environ 80 % des sujets dépressifs.

→ Troubles digestifs : constipation ou accélération du transit.

→ Troubles neurovégétatifs : sueurs, frilosité, lipothymie.

→ Douleurs articulaires, musculaires ou céphalées.

→ Troubles neuromusculaires avec paresthésies, tremblements, vertiges, voire anomalies à l’électrocardiogramme…

→ Fatigue quasi constante.

→ Troubles de la sexualité, avec, le plus souvent, diminution de la libido, dysérection, anorgasmie.

Diagnostiquer une dépression

Le diagnostic est purement clinique, souvent posé grâce à des échelles spécifiques. Il reste orienté par les signes psychiques, cognitifs et somatiques, mais aussi par les antécédents familiaux du patient et par le contexte (deuil, séparation, perte d’emploi, etc.).

Une dépression peut être difficile à diagnostiquer chez un sujet âgé : les comorbidités (notamment les démences) en modifient la présentation. Il existe des échelles d’évaluation spécifiquement destinées aux personnes âgées.

2. FACTEURS DE RISQUE

Les multiples causes potentielles d’une dépression ne relèvent pas que du contexte environnemental. Quatre étiologies essentielles sont à souligner :

→ Psychique : séparation, chômage, sentiment d’injustice, traumatismes apparus dans l’enfance, parfois enfouis dans l’inconscient…

→ Organique : maladies neurologiques (Parkinson, démences), troubles vasculaires cérébraux, hypothyroïdie, diabète et autres affections endocriniennes, cancer, maladie auto-immune, infections (VIH, tuberculose).

→ Toxique : de nombreuses drogues peuvent, à court ou long terme, se révéler dépressogènes (psychostimulants pris sur une période prolongée, hallucinogènes…)

→ Iatrogène : sans évoquer ici tous les médicaments dépresseurs du système nerveux central, il faut souligner le rôle des corticoïdes, des bêtabloquants, des antihypertenseurs d’action centrale, de la digoxine, de la phénytoïne, des interférons, de l’isotrétinoïne, de la varénicline…

De nombreux facteurs de vulnérabilité à la dépression ont été repérés : sociodémographiques, environnementaux, génétiques. On ignore s’ils prédisposent à la survenue d’un premier épisode ou aux récurrences ou s’ils concourent à aggraver la sévérité des épisodes. Certains traits de personnalité (sujets anti-sociaux, dépendants, schizotypiques, « borderline »…) prédisposent à la survenue d’épisodes dépressifs. Les troubles de la personnalité (paranoïaques ou schizoïdes, obsessionnels, dépendants, évitants) augmentent le risque de dépression.

3. ÉVOLUTIONS POSSIBLES

Un épisode dépressif guérit spontanément en six mois à un an en l’absence de traitement. Une rémission complète des signes cliniques supérieure à six mois traduit une « guérison » de l’épisode. Passé ce délai, la réapparition des signes fait évoquer une « récidive » dépressive. Avant ce délai, on parle donc d’une « rechute » du même épisode. Cette notion de « guérison » ne porte que sur un épisode donné : la dépression est une maladie souvent récurrente et, souvent, un épisode ne donne lieu qu’à une rémission partielle, laissant persister des symptômes résiduels.

Chez quelque 20 % des sujets dépressifs, la symptomatologie se prolonge pendant au moins deux ans : la dépression est considérée dès lors comme « chronique ». La survenue, même à long terme, d’un épisode maniaque chez un sujet ayant présenté un ou plusieurs épisodes dépressifs fait poser un diagnostic de maladie bipolaire.

1- Voir le Quiz du Dr Guilibert p. 42.

PHYSIOPATHOLOGIE

Nouvelles hypothèses sur l’origine des troubles

La dépression est liée à une altération des systèmes de neurotransmission, notamment au niveau du cortex cérébral et du système limbique : on observe une diminution des taux synaptiques de noradrénaline, de dopamine et de sérotonine ainsi que des perturbations dans l’homéostasie glutamatergique.

Des hypothèses plus récentes se développent sur l’origine des troubles de l’humeur :

→ Doué de plasticité, le cerveau connaît d’incessants remaniements structuraux et fonctionnels. La dépression s’associe à une diminution de cette plasticité affectant notamment l’hippocampe (troubles cognitifs), le cortex préfrontal (inhibition psychomotrice) et l’amygdale (anxiété, tristesse, agressivité).

→ Il existe des liens étroits mais complexes entre les altérations du rythme circadien et la dépression (d’où les troubles du sommeil accompagnant la maladie). Le pic de sécrétion physiologique de mélatonine, normalement observé vers trois heures du matin, semble en effet supprimé chez le sujet déprimé. Il existerait, de plus, une corrélation entre une mutation de la protéine GPR-50, modulant l’activité des récepteurs à la mélatonine, et une vulnérabilité accrue aux épisodes dépressifs.

CHIFFRES

→ Environ 2,5 millions d’adultes sont touchés par la dépression, pathologie psychiatrique la plus fréquente dans la population générale. Une personne sur cinq fera une dépression au cours de sa vie.

→ Avec une prévalence annuelle de 10,4 chez la femme contre 5,2 chez l’homme, la dépression est donc surreprésentée chez les femmes.

→ En France, plus de la moitié des suicides semblent secondaires à une dépression.

→ La dépression est plus fréquente dans les populations à niveau socioculturel ou à revenu mensuel faibles.

→ Un dysfonctionnement familial grave, des tentatives de suicide chez les ascendants ou un alcoolisme parental vécus dans l’enfance sont associés à un risque accru de dépression à l’âge adulte.

LIENS ENTRE SUICIDE ET DÉPRESSION

Comme le rappelle le Pr Hardy (CHU Bicêtre, Paris), il suffit de quelques chiffres pour constater à quel point le lien entre risque suicidaire et dépression est étroit : 15 % des patients déprimés ayant un antécédent d’épisode dépressif modéré ou sévère au cours de leur vie meurent par suicide, et 40 % à 80 % des tentatives de suicide sont secondaires à un épisode dépressif. L’évaluation du risque suicidaire des dépressifs doit être systématique. L’avis d’un spécialiste est souvent requis pour évaluer le degré d’intentionnalité du patient. Il appréciera, entre autres, les idées de mort et de suicide (si oui, existence de projets ? Moyens létaux à disposition ?), les troubles médicaux (cancer, maladie neurologique…) et psychiatriques associés à la dépression (addiction, troubles de la personnalité…) ainsi que les dimensions psychologiques (désespoir, mauvaise estime de soi) et comportementales du sujet (impulsivité, anxiété, antécédents de TS…). Il tient compte aussi de l’âge, du sexe, du contexte familial (les hommes blancs de plus de 50 ans, isolés, étant les plus à risque suicidaire), des données psychosociales (isolement, chômage…) et de l’histoire individuelle et familiale du patient (antécédents d’abus sexuel, perte d’un parent…).

Signes d’alerte

Parmi les signes qui doivent alerter, le Dr Guilibert (1) souligne :

→ l’intention subite de démissionner d’un travail salarié sans avoir un projet d’avenir, et les discours banalisants autour de la non-reprise du travail ;

→ la perte de poids et de sommeil ;

→ l’anesthésie affective ;

→ les ruptures de traitement ;

→ l’incapacité à retrouver le goût des choses aimées ;

→ les réactions émotionnelles inappropriées et les changements d’attitude avec le personnel soignant (pour les patients suivant des soins de longue durée) ;

→ la trop grande passivité ou, à l’inverse, le rejet des soins.

Se méfier aussi des alexithymiques (personnes qui ne montrent pas leurs émotions) ; ainsi que d’une amélioration trop rapide de l’état psychique d’un patient suicidaire. N. MERCIER