DES ACCROS SANS DROGUE - L'Infirmière Magazine n° 268 du 01/12/2010 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 268 du 01/12/2010

 

ADDICTOLOGIE

ACTUALITÉ

COLLOQUES

OLIVIER QUARANTE  

« Nouvelles addictions », « addictions comportementales »… Les appellations sont multiples, mais recouvrent toutes une même approche des problématiques de dépendance, par comportements plutôt que par produits.

Un nombre de plus en plus important de conduites humaines semblent susceptibles de s’inscrire ou d’être repérées comme des problématiques d’abus ou de dépendance. De ce fait, le terme “addiction” voit son champ s’étendre bien au-delà des classiques addictions à des substances psychoactives », expliquait Jean-Luc Venisse, directeur du pôle d’addictologie et de psychiatrie du CHU de Nantes, lors du dernier Congrès international francophone d’addictologie(1).

Les addictions dites comportementales regroupent toutes les conduites addictives sans consommation de substances psychoactives. Les principales sont : le jeu pathologique (sur Internet ou non), les achats et les débits compulsifs, la cyberdépendance, le sport extrême ou intensif, certains troubles alimentaires, les dépendances affectives, sexuelles ou sectaires.

Symptômes classiques

« Dans tous ces troubles, le sujet accomplit de manière répétitive et “obligatoire” une séquence comportementale, a précisé Michel Lejoyeux, professeur de psychiatrie aux hôpitaux Bichat et Maison Blanche (Paris). Les personnes concernées présentent de nombreux symptômes classiques de dépendance. Parmi ces symptômes, une envie irrépressible de s’adonner au comportement, l’abandon d’autres activités au profit de celui-ci, des conséquences négatives, qu’elles soient individuelles, familiales, sociales ou professionnelles, et une sensation de manque, d’anxiété ou de malaise en cas d’interruption du comportement. »

Cette proximité dans l’approche des addictions comportementales et avec produits est intéressante à plus d’un titre pour le professeur Venisse. « S’intéresser aux processus chroniques et à rechute, qui sont parmi les grands repères de l’addiction classique, permet d’accompagner plus longtemps le patient atteint de troubles alimentaires(2), de vérifier sa non-rechute, l’absence de nouveaux troubles, considère le psychiatre. Le travail motivationnel est, ainsi, central. Sur une feuille blanche, je fais avec mes patients la balance décisionnelle [peser les avantages et les inconvénients de telle ou telle action, ndlr]. Si on veut aller trop vite, on méconnaît la fonction de la conduite, et ses bénéfices pour le patient. »

Pour ce médecin, la qualité de l’alliance thérapeutique s’en ressent directement. L’adhésion du patient est pourtant l’enjeu majeur.

Cette question a été au centre d’une séance plénière consacrée à la problématique de l’abstinence et de la pratique contrôlée. « Les études actuelles montrent que seulement 3 à 10 % des joueurs excessifs entreprendront un traitement formel », a expliqué Robert Ladouceur, de l’École de psychologie de l’université Laval au Québec. Avant de s’interroger : « Offrir un traitement basé sur le contrôle de la pratique du jeu plutôt que sa cessation complète serait-il une partie de la solution ? »

Capacités d’autocontrôle

« Il ne faut pas se laisser aveugler par le produit, observe, quant à lui, Jean-Luc Venisse. Le problème de l’addiction ne passe pas seulement par lui. Il faut que se superposent une vulnérabilité, un contexte socioculturel et un objet d’addiction, qui peut être un comportement. Mais toute conduite d’excès ne justifie pas de parler d’addiction. Pour cela, une répétition quasi mécanique sur la durée, une perte de contrôle et des conséquences négatives sur le comportement sont nécessaires… Les addictions sans drogue interrogent les conditions dans lesquelles nos capacités d’autocontrôle se construisent et restent opérationnelles. » En cela, elles alimentent la réflexion sur l’approche des addictions classiques.

1- À Nantes, les 7 et 8 octobre derniers.

2- Le professeur renvoie, à ce sujet, aux recommandations de la Haute Autorité de santé. Anorexie mentale : prise en charge, 30 septembre 2010, en ligne sur www.has-sante.fr.