Télé 8, le soin sur un plateau - L'Infirmière Magazine n° 267 du 15/11/2010 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 267 du 15/11/2010

 

PÉDIATRIE HOSPITALIÈRE

SUR LE TERRAIN

INITIATIVE

Chaque mois, les enfants hospitalisés au CHU de Nancy assistent depuis leur chambre à une émission de télévision réalisée en interne et en direct. Télé8 contribue, ainsi, à rompre l’isolement des petits patients et influe sur les relations avec le personnel soignant.

Télé 8 bonjour ! Tu t’appelles comment ? Juste un instant et ça va être à toi, tu vas passer à l’antenne. » Durant les deux heures que va durer l’émission, le standard n’arrêtera pas de sonner. Au bout du fil, Jonathan, Luis, Mélissa, et les autres. Des enfants hospitalisés dans les différents services de l’hôpital d’enfants du CHU de Nancy. Isolés dans leur chambre, ils suivent depuis leur lit l’émission de télévision diffusée sur leur poste et interviennent en direct grâce au téléphone. Ils appellent pour remplir une grille de sudoku, proposer des lettres pour deviner le « mot mystère », voter pour la plus belle grimace ou poser une question à l’invité… Sur le plateau, déguisée de manière farfelue autour du thème du jour – les livres –, Marie-Hélène Petit, éducatrice, répond aux enfants et anime l’émission avec beaucoup d’enthousiasme et d’énergie. Au programme, l’interview d’un auteur de bandes dessinées, d’une libraire, des reportages, des chansons et les rubriques habituelles : atelier bricolage, cuisine, jeux participatifs… « Notre but est de faire sonner le téléphone le plus souvent possible, quitte à ce que nous ne suivions pas toujours notre conducteur », indique-t-elle.

Dans les services, l’émission mensuelle marque un moment à part. « Les enfants l’attendent avec impatience, ils n’en perdent pas une miette. Quand nous le pouvons, nous essayons même de reporter un soin pour qu’il n’ait pas lieu pendant Télé 8, c’est dire… », confie Hélène Müller, infirmière. « Pendant l’émission, les enfants voient à peine quand nous passons pour faire un soin. Ils s’évadent complètement de leur quotidien à l’hôpital », confirme Valérie Privé, auxiliaire de puéri culture. Les jeunes patients sollicitent le personnel soignant pour composer les numéros sur leur téléphone ou leur demandent de voter pour eux. Car le concours de grimaces est sans conteste LA rubrique phare de l’émission. Le principe est simple : la veille, Marie-Hélène Petit passe dans les chambres pour filmer les enfants qui ont envie de participer. Et, plusieurs fois dans l’émission, les images sont diffusées en boucle et tout le monde peut voter pour sa préférée. Le gagnant, comme pour tous les autres jeux, remporte un petit cadeau – ce jour-là, une BD dédicacée par l’invité.

Faire oublier le stress de la maladie

« Parfois, on a jusqu’à 70 appels pour les grimaces, s’enthousiasme l’éducatrice. Pour ces enfants qui n’osent parfois pas trop se montrer par peur du regard des autres, elles jouent un rôle important. Elles permettent aussi à ceux qui sont en chambre stérile, isolés depuis longtemps, de voir les autres sur l’écran. » De temps en temps, un médecin, une infirmière ou un parent accepte même de jouer avec ses zygomatiques. « L’émission est quelque chose de très agréable pour tout le monde, cela met une bonne ambiance dans le service et, d’un autre côté, cela contribue à préserver un peu de loisirs pour les patients », affirme Hélène Müller. L’infirmière estime que Télé 8 fait « presque partie du soin. Quand on sait tout le stress que représentent certains actes médicaux, ces quelques moments de détente où les enfants peuvent jouer, et même passer à la télé, leur apportent du bien-être et de la bonne humeur. » Christophe, père de Romain, 8 ans, confirme : « À chaque fois que mon fils a été hospitalisé, il a regardé l’émission. Je me souviens d’un jour où, alors qu’il allait à une séance de radiothérapie, il a croisé Marie-Hélène dans les couloirs et lui a demandé s’il pouvait faire une grimace pour le concours. » Il se rappelle aussi cette autre fois où, épuisé par son traitement, l’enfant passait tous ses après-midis à dormir, excepté ce mardi-là, parce qu’il y avait l’émission… Romain, quant à lui, garde encore en mémoire le jour où il a terminé premier ex-æquo du concours de grimaces ! « L’émission change aussi notre rapport avec les familles. Cela peut mener à d’autres terrains de discussion », assure Isabelle Perrot, puéricultrice.

Six éducateurs mobilisés pour l’émission

En près de vingt ans, Télé 8 a trouvé sa place au sein de l’établissement. L’aventure a commencé en 1992 : la Compagnie générale de chauffe remporte alors un « gros marché » avec l’hôpital d’enfants de Nancy. Elle offre aux éducateurs un caméscope, un magnétoscope, une table de mixage et une régie de montage son. L’équipe se familiarise avec le nouveau matériel, réalise ses premiers reportages et passe son baptême du feu : pendant une semaine, elle prend l’antenne deux fois par jour avec l’aide de FR3. « Nous passions nos journées à filmer », se souvient Emmanuelle Amet, éducatrice. Après cette semaine inaugurale, sa collègue et elle réfléchissent à la manière de faire perdurer l’expérience. « Le problème était que nous n’avions pas de locaux fixes : à chaque émission, nous branchions puis débranchions notre matériel, ce qui l’a abîmé très vite… »

Dans les années 2000, l’opération Pièces jaunes ainsi que des dons rendent possible la construction d’un studio complet avec plateau, régie et un matériel numérique flambant neuf. Aujourd’hui, chaque émission nécessite l’intervention de six éducateurs qui se par tagent l’animation, la gestion des caméras, le son, le standard téléphonique, mais aussi le choix de la thématique et des invités, la réalisation des sujets… Tous le font sur leur temps de service, car seul un mi-temps est dévolu à Télé 8. « Nous sommes soutenus par le CHU, mais nous ne disposons pas de ligne budgétaire dédiée. Dès qu’une machine tombe en panne, il faut se dé­brouiller. Nous ne vivons que de subventions », souligne Emmanuelle Amet.

Petits reportages médicaux

En plus des deux heures de direct par mois, Télé8 diffuse en continu des programmes enregistrés, des dessins animés, mais aussi des spectacles qui ont lieu dans l’enceinte de l’hôpital et auxquels certains enfants, cloués au lit, ne peuvent pas assister. « Nous essayons d’ouvrir notre studio au plus grand nombre », précise Emmanuelle Amet, qui fait découvrir aux adolescents les coulisses de studios TV ou les initie au montage. L’éducatrice a aussi réalisé quelques reportages sur la vie de l’hôpital ou sur des gestes médicaux, comme l’utilisation des solutions hydro-alcooliques, l’anesthésie ou la pose d’un plâtre, qui sont diffusés aux enfants qui le souhaitent. « Avec l’image, les choses sont plus claires et l’enfant a moins peur. »

Pour l’émission en direct, l’équipe privilégie des sujets légers et divertissants dans le but de faire oublier aux petits patients la maladie, la perfusion ou les médicaments. « Quand on apporte leur cadeau dans leur chambre, ils sont super contents. Je suis “la dame de la télé”, pour eux, cela a un côté magique », raconte Marie-Hélène Petit. Il y a aussi ces moments plus graves, quand les parents d’un enfant décédé demandent aux éducatrices si elles peuvent retrouver les images des grimaces de leur enfant et les leur donner. Des images de leurs derniers sourires immortalisés par l’émission.

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