L’ulcère gastro-duodénal - L'Infirmière Magazine n° 264 du 01/10/2010 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 264 du 01/10/2010

 

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QUESTIONS SUR…

Madame B. a un ulcère gastrique. Son médecin lui a prescrit un traitement comprenant des antibiotiques et un IPP. Elle ne comprend pas bien l’utilité des antibiotiques. Que faire ?

Vous pouvez l’informer sur la bactérie Helicobacter pylori et sur la nécessité de l’éradiquer par un traitement antibiotique, puisqu’il s’agit, dans son cas, d’une maladie infectieuse bactérienne.

Qu’est-ce que l’infection à H. pylori ?

Helicobacter pylori est une bactérie, un bacille gram négatif, qui résiste à l’acidité gastrique et colonise la surface de la muqueuse gastrique. L’infection entraîne une gastrite, évoluant vers la chronicité dans la majorité des cas. Le plus souvent, la gastrite ne se complique pas. Elle peut cependant évoluer vers un ulcère gastrique ou duodénal (UGD) et, très rarement, vers un cancer gastrique. Vraisemblablement, d’autres facteurs interagissent au cours de l’infection pour créer un profil à risque d’ulcère (des facteurs génétiques, et le tabac, notamment) : en effet, l’ulcère est de survenue plutôt rare chez les sujets infectés. L’éradication de H. pylori, en modifiant l’histoire naturelle de la maladie ulcéreuse, guérit l’ulcère dans la majorité des cas. Cette bactérie est contractée dans l’enfance par voie oro-orale ou oro-fécale, et en raison de l’amélioration des conditions d’hygiène, l’incidence de l’infection, dans les pays développés, a régulièrement diminué au cours des dernières décennies. Cela explique, dans ces pays, la faible prévalence de l’infection dans les générations les plus jeunes, alors qu’elle atteint encore 50 % chez les sujets de plus de 60 ans.

Quelle est la physiopathologie des ulcères gastro-duodénaux ?

L’ulcère gastro-duodénal (UGD) est une perte de substance creusante de la paroi de l’estomac ou du duodénum, qui atteint en profondeur la couche musculeuse de cette paroi (voir schéma p. 45). À l’origine : un déséquilibre entre l’agression de la sécrétion gastrique et les mécanismes de défense de la barrière muqueuse en un point précis de la muqueuse. Plusieurs facteurs sont en cause. Ils peuvent être classés en cinq groupes. Le tabac et des facteurs génétiques interviennent en sus.

L’infection à H. pylori

Il s’agit de l’un des deux grands facteurs en cause dans les ulcères GD, en régression actuellement.

Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS)

Deuxième grande cause d’UGD, et en augmentation actuellement, le groupe des AINS comprend aussi l’aspirine à dose > 500 mg. Les AINS inhibent la synthèse des prostaglandines cytoprotectrices gastriques et duodénales, altérant les mécanismes de défense de la muqueuse. Les AINS sélectifs (coxibs : Celebrex, Dynastat) réduisent ce risque, mais sans le supprimer. L’aspirine administrée à faible dose, à visée anti-agrégante, possède aussi un potentiel ulcérogène, et expose au risque de complications hémorragiques.

Les UGD non liés à H. pylori, non médicamenteux

Ils sont peu nombreux. Ils sont liés à des altérations des mécanismes de défense de la muqueuse gastro-duodénale par hypoxie, dénutrition, troubles métaboliques sévères, etc. Ils affectent des sujets atteints d’affections lourdes, notamment cardio-vasculaires, rénales, hépatiques ou pancréatiques.

Le syndrome de Zollinger-Ellison

Il est exceptionnel, lié à une hypersécrétion d’acide induite par une sécrétion tumorale de l’hormone gastrine (gastrinome).

Les ulcères de stress

Ils surviennent chez des patients hospitalisés en réanimation.

Quelle est la symptomatologie des UGD ?

Dans la forme typique, le patient souffre d’une douleur épigastrique à type de faim ou de crampe douloureuse. Cette douleur est calmée par la prise d’aliments ou d’anti-acides. Elle est rythmée par les repas, et débute entre une et trois heures après chaque repas. L’évolution spontanée peut être marquée par des poussées de quelques semaines séparées par des périodes sans symptômes de quelques mois ou quelques années. Cette évolution est plutôt évocatrice d’une maladie ulcéreuse à H. pylori. En fait, le syndrome douloureux est, le plus souvent, atypique, soit par son siège (sous les côtes à droite ou à gauche, ou plus en arrière), soit par son intensité (une douleur intense, des brûlures épigastriques ou une simple gêne). Il peut ne pas être rythmé par l’alimentation. Il peut aussi manquer (formes asymptomatiques). Enfin, une complication ulcéreuse peut révéler la maladie (hémorragie, perforation, ou sténose).

Comment fait-on le diagnostic d’un UGD ?

Devant ces signes, de nombreux diagnostics pourront être évoqués, allant, notamment, de l’insuffisance coronarienne à la dyspepsie fonctionnelle. Le diagnostic va donc reposer sur un interrogatoire précis, sur l’examen clinique, sur une endoscopie digestive haute et sur la recherche de H. pylori. L’examen clinique est normal en l’absence de complication.

L’endoscopie digestive haute(1)

Elle se déroule à jeun strict (sans boire, ni manger, ni fumer) depuis six heures. En général, le fibroscope est introduit par la bouche : on demande au patient de déglutir lorsque l’appareil se trouve au niveau du pharynx, puis l’endoscope est introduit dans l’estomac. L’examen peut être fait sous anesthésie générale mais, chez un patient qui est en bonne forme, bien informé et bien entouré à ce moment-là, celui-ci peut être mené en ambulatoire. C’est un examen désagréable, mais qui n’est pas douloureux, contrairement à la coloscopie. L’ulcère gastrique (UG) se trouve le plus souvent au niveau de l’antre ou de la petite courbure ; l’ulcère duodénal (UD) au niveau du bulbe. Un ulcère gastrique nécessite des biopsies sur les berges de l’ulcère en raison du risque de cancer (ce risque n’existe pas au niveau du duodénum). Et, quelle que soit la localisation de l’ulcère, des biopsies sont réalisées au niveau de l’antre et du fundus pour chercher la présence de H. pylori et pour évaluer le degré de gastrite.

La recherche de H. pylori

Elle repose donc sur l’examen des biopsies, et sur le test respiratoire à l’urée marquée. La sérologie H. pylori est parfois utile.

Quel est le traitement de l’UGD associé à H. pylori ?

Le traitement d’éradication de la bactérie

Ce traitement associe pendant une semaine : un inhibiteur de la pompe à protons (IPP)(2) matin et soir et deux antibiotiques : amoxicilline et clarithromycine.

En cas d’UD, ce traitement est suffisant, sauf dans certains cas qui justifient 3 à 7 semaines supplémentaires d’IPP. En cas d’ulcère duodénal, le traitement de 7 jours est systématiquement complété par 3 à 7 semaines d’IPP.

Le contrôle d’éradication

Un contrôle d’éradication est effectué 4 semaines après la fin du traitement IPP et antibiotiques : soit par test respiratoire en cas d’UD non compliqué ; soit par biopsies gastriques en cas d’UD compliqué ou d’UG.

En cas d’échec de l’éradication

Les deux causes d’échec sont la mauvaise observance du traitement et la résistance de la bactérie à un antibiotique (les réinfestations sont exceptionnelles). Un traitement de 2e ligne est alors institué. Des traitements de 3e ligne et de 4e ligne sont possibles.

Le traitement chirurgical

En l’absence de complications, l’indication de la chirurgie est exceptionnelle. Elle se discute en cas d’échec de plusieurs lignes de traitement d’éradication, avec des rechutes fréquentes malgré un traitement anti-sécrétoire au long cours.

Quel est le traitement des UGD induits par les AINS ?

Un traitement par inhibiteur de la pompe à protons (IPP) est prescrit pendant 4 semaines (UD) ou 8 semaines (UG). Si le traitement AINS est indispensable, il peut être maintenu sous IPP. L’aspirine à visée antiagrégante est habituellement poursuivie en raison des risques cardio-vasculaires liés à son interruption. Un traitement d’éradication de H. pyloriest associé en début de traitement chez les sujets combinant les deux facteurs de risque. Le contrôle endoscopique de cicatrisation est systématique. En cas d’UG, des biopsies sont faites sur la zone cicatricielle.

En prévention, un inhibiteur de la pompe à protons (IPP) est prescrit pendant toute la durée du traitement AINS chez les patients ayant au moins un des facteurs de risque suivants : âge > 65 ans, antécédents d’UGD compliqué ou non, association AINS-anti-agrégants, AINS-corticoïdes, AINS-anticoagulant (association déconseillée).

Et celui des UGD à H. pylori négatifs et non liés à la prise d’AINS ?

En cas d’ulcère duodénal, un traitement anti-sécrétoire par IPP est prescrit pendant 4 semaines, prolongé après discussion au cas par cas. En cas d’ulcère gastrique, le traitement anti-sécrétoire par IPP pendant 4 à 8 semaines est suivi d’un contrôle endoscopique avec biopsies. En l’absence de cicatrisation, un nouveau traitement est proposé. Au terme de ce dernier, la persistance de l’ulcère gastrique peut faire débattre d’une intervention.

Y a-t-il des complications aux UGD ?

Les complications des UGD sont : l’hémorragie digestive ; la perforation ulcéreuse ; la sténose ulcéreuse, exceptionnelle ; et la transformation cancéreuse, rare en France. Deux d’entre elles sont des urgences.

L’hémorragie digestive

Elle se traduit par une anémie, ou se manifeste par des vomissements de sang (hématémèse), ou l’évacuation par l’anus de sang noir mêlé ou non à des selles (méléna). Des signes de choc peuvent être associés. Il s’agit d’une urgence médicale (contacter le 15).

La perforation ulcéreuse

Elle se manifeste par une douleur épigastrique intense « en coup de poignard », des nausées et des vomissements. Des signes de choc peuvent être associés. L’examen de l’abdomen retrouve une contracture d’abord localisée, puis généralisée. Il s’agit d’une urgence (contacter le 15).

La sténose ulcéreuse

Elle se révèle par des vomissements après les repas et nécessite de consulter son médecin traitant.

La transformation cancéreuse

Le risque de transformation cancéreuse sur les berges d’un ulcère gastrique est faible. Il fait cependant pratiquer des biopsies systématiques sur les berges au moment du diagnostic et lors du contrôle de guérison. Le risque à distance de l’ulcère en cas d’infection à H pylori est faible également, il fait pratiquer des biopsies gastriques à distance de l’ulcère à la recherche d’une « métaplasie intestinale ».

1 – Plus de renseignements sur le site www.hepatoweb.com

2 – Esoméprazole, Lansoprazole, Oméprazole, Pantoprazole, Rabeprazole

TROUBLES DYSPEPTIQUES

Et les gastrites ?

→ La gastrite est une atteinte inflammatoire aiguë ou chronique de la muqueuse de l’estomac qui peut comprendre des érosions et des ulcérations. Les érosions sont des lésions limitées à la muqueuse de la paroi de l’estomac, tandis que les ulcérations ­atteignent la sous-muqueuse sans la dépasser. La gastrite peut être asymptomatique ou révélée par des troubles dyspeptiques (douleurs épigastriques, régurgitations acides, éructation excessive, augmentation des ballonnements abdominaux, nausées, sensation de digestion anormale ou lente, ou sensation de satiété précoce). Son origine est essentiellement l’infection à H. pylori et son traitement repose alors sur l’éradication de la bactérie. Une gastrite peut également être induite par les AINS. Les autres causes sont rares.

Hygiène et diététique

Existe-t-il des règles hygiéno-diététiques dans le traitement de l'ulcère ? Pour le Pr Benoît Coffin*, il n'y en a pas. La seule serait l'arrêt du tabac, qui est un facteur favorisant l'ulcère. On encourage donc les patients à arrêter de fumer. En dehors de la maladie coeliaque, aucun régime n'a démontré une quelconque efficacité en gastroentérologie. Cependant, si un patient a des brûlures d'estomac après avoir bu du vin blanc – cela dépend des susceptibilités individuelles –, il faut, bien sûr, qu'il évite d’en boire.

* Chef de service hépato-gastroentérologie, hôpital Louis-Mourier, Colombes (92).

POINT DE VUE

Une endoscopie si nécessaire

PR BENOÎT COFFIN

CHEF DE SERVICE, HÉPATO–GASTRO-ENTÉROLOGIE, HÔPITAL LOUIS-MOURIER, COLOMBES 92.

→ Chez un patient qui présente des symptômes digestifs et des douleurs épigastriques, il y a une indication d’endoscopie devant les critères suivants : un âge supérieur à 45 ans ou 50 ans ; l’existence d’une hémorragie digestive ; une altération de l’état général ; des anomalies à l’examen clinique ; et un patient sous AINS qui a des douleurs ne cédant pas au traitement habituel. Dans le groupe des sujets entre 20 et 50 ans ne présentant pas ces critères, la question est de savoir s’il faut faire une endoscopie digestive ou pas. En effet, dans environ 80 % des cas, l’endoscopie va être normale, donc, 8 fois sur 10, l’examen sera fait pour rien, mais il aura un intérêt : il va rassurer le patient.

Cependant, tout a un coût. On développe donc de plus en plus des stratégies dites d’attente, ce que font les médecins généralistes : ils débutent un traitement d’épreuve basé sur des médicaments. En ce moment, on utilise les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) pendant deux à quatre semaines. Si l’état du patient ne s’améliore pas, on peut alors discuter une endoscopie digestive.