Victoire sur soi - L'Infirmière Magazine n° 260 du 01/05/2010 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 260 du 01/05/2010

 

le Cref

24 heures avec

Le Cref Sport adapté du Poitou-Charentes est une structure unique en France et en Europe. Et une référence. Son but : accompagner et entraîner des sportifs de haut niveau atteints de déficience intellectuelle.

Il est 9 heures. Sur le quai de la gare de Poitiers, Guillaume Besnault, conseiller technique sportif, guette Frédéric Augendre, juda de 33 ans en provenance de Thouars dans les Deux-Sèvres. L'athlète est attendu au centre de soins du Cref (Centre régional d'entraînement et de formation) Sport adapté à Vouineuil-sous-Biard, à dix kilomètres environ du centre de Poitiers. Comme tous les jeudis matins, des visites médicales sont organisées pour l'ensemble des sportifs, plus d'une quarantaine, convoqués au fur et à mesure, deux fois par an. Ils font tous partie d'un club sportif et s'entraînent pour devenir des athlètes de « haut niveau ». L'encadrement qui leur est proposé leur permet de vivre pleinement leur passion : une expérience pionnière en matière de sport adapté en France.

Un bois, un château classé monument historique et un grand complexe sportif. Sur ce site exceptionnel d'une douzaine d'hectares, le Creps (Centre régional d'éducation populaire et sportive) accueille, dans des conditions d'entraînement optimales, les meilleurs jeunes sportifs français. Il héberge l'équipe du Cref dans une aile de son centre médical et permet aux athlètes déficients intellectuels, âgés de 14 à 38 ans et classés aux niveaux national et international, de s'entraîner dans ses locaux vastes et bien équipés. Ceux-ci pratiquent une discipline individuelle : athlétisme, judo, natation ou tennis de table. « Les sports collectifs sont trop compliqués, précise Guillaume Besnault. Mais le développement des pratiques sportives et leur action stimulante génèrent des progrès étonnants et permettent à nos athlètes de s'inscrire dans un processus d'intégration intéressant. »

Lien fédérateur

Le Cref a été créé en 2007. Yves Drapeau dirige la structure. Cet ancien infirmier en pédopsychiatrie à l'hôpital d'Étampes, puis en psychiatrie adulte à Thouars, est ensuite devenu professeur d'éducation physique et sportive (EPS) dans un institut médico-éducatif (IME). Il est également entraîneur de tennis de table et porte l'action de son équipe avec conviction et enthousiasme : « L'accompagnement est lourd, mais le lien est fédérateur et unique pour une personne déficiente. C'est important d'avoir une passion et de vivre pleinement de grands plaisirs. » L'originalité du Cref réside dans sa structure délocalisée, qui lui permet de se déplacer vers les clubs ordinaires, les lieux de vie des sportifs, tout en étant un pôle multisports. Mais, « ça a été compliqué et difficile de faire accepter les déficients mentaux dans le sport adapté de haut niveau », commente le directeur.

En dehors des périodes de stages ou de compétitions auxquelles participent les meilleurs athlètes, sélectionnés par l'entraîneur national, la matinée commence par une réunion informelle autour d'un café. L'équipe est composée de quatre personnes : le directeur, le conseiller technique sportif, le coordonnateur, Richard Dupuy, et la coordinatrice du pôle France, Marianne Aubry, chargée de développer le Cref à l'échelle nationale. Au mur, un tableau où planning et phrases du jour s'entremêlent. « Ceux qui veulent cherchent des solutions ; ceux qui ne veulent pas trouvent des excuses » : plus qu'une devise, une piste de réflexion. Yves Drapeau reste pondéré : « On ne se construit pas que sur des victoires. Nous nous intéressons aux diffi- cultés de nos sportifs : appuis, pas chassés, coordination... Une perturbation de l'équilibre et un problème du schéma corporel peuvent être travaillés en plusieurs séances. Mais si les grandes vacances interfèrent, il faut reprendre, car on ne peut pas toujours parler d'acquis. Néanmoins, les sportifs acquièrent davan- tage d'autonomie. » L'autonomie, l'un des principaux objectifs de l'accompagnement que propose le Cref.

Adapter les soins

L'infirmière, le médecin et les kinésithérapeutes de l'équipe soignante du Creps assurent le suivi médical des sportifs. Christine Peyrelongue a été infirmière dans une maison d'arrêt, dans un service d'urgences hospitalières puis dans un service de soins palliatifs. « Ici, c'est vraiment de sport dont il s'agit. On n'est pas là pour faire de l'intrusion médicale, et les liens se tissent doucement. » Elle reçoit Frédéric Augendre dans son bureau. « - Tu as fait des compétitions depuis qu'on s'est vus ? Tu as fait combien ? » « - Cinquième. » « - C'est bien ! » « - Ça peut être pire... » Ils rient. Les sportifs bénéficient d'une prise en charge particulière, chacun selon son histoire, ses capacités et son investissement dans sa discipline. « C'est pour cela que nous devons apprendre à nous connaître, pour adapter les soins, les conseils », explique l'infirmière.

Dans le couloir, Yvon Noël, 38 ans, et Solena Collignon, 33 ans, attendent leur rendez-vous. Judas, ils vivent ensemble depuis cinq ans et doivent se marier au mois de juillet. Lui est menuisier. « Dès que je commence à m'entraîner, je ne peux plus m'arrêter. » Il se plaint de maux de dos : « Quand ça vient, ça vient. » Christelle Baudin, la psychologue, l'accueille dans son bureau pour un entretien en face à face : « Ça fait du bien de parler un petit peu », reconnaît-il. Sa compagne, plusieurs fois championne de France, est accueillie par Vincent Guillard, médecin généra- liste spécialisé dans le sport. Elle accepte de se déshabiller devant lui, ce qui n'est pas le cas de toutes les patientes ; il prend sa tension. Elle parle : « - Mon employeur n'est pas trop d'accord pour que je me libère pour mes compétitions. Il m'a dit que je pourrais laisser ma place à quelqu'un d'autre dans son restaurant. » « - Il faudrait que tu en parles à Yves », lui suggère le médecin. Le soin laisse place à l'expression d'autres problématiques inhérentes au handicap.

« La présence de notre psychologue est indispensable. Elle fait tampon entre les sportifs, les entraîneurs, la famille et le milieu spécialisé », explique Yves Drapeau. Son rôle est celui d'un relais entre les différents intervenants et un soutien pour les sportifs, surtout lorsqu'ils quittent leur IME car ils ne sont pas tous suivis à l'extérieur. En parlant avec eux de leur pratique sportive, elle peut réorienter la prise en charge en fonction des difficultés rencontrées : « On peut passer à côté d'une blessure car ils ont un rapport différent à la douleur et aux limites. D'ailleurs, je reste très prudente sur la notion de haut niveau », déclare Christelle Baudin.

Valorisation

Compte tenu de leurs difficultés psychiques, les sportifs du Cref arrêtent parfois leur entraînement, reviennent ou non. Le rôle de Christelle Baudin est aussi d'entendre ce que signifie l'absence. A contrario, d'autres athlètes vivent à fond leur entraînement. Il faut les freiner. « Tu dois te reposer » : une phrase que n'hésitent pas à prononcer les membres de l'équipe.

Tandis que visite médicale, entretiens avec la psychologue ou avec l'infirmière se déroulent au centre de soins, à cinq bonnes minutes de marche, derrière le château, François, Grégory, Mélanie et Laëtitia renvoient des balles de ping-pong orange dans un bruit d'éclats de pop-corn. C'est l'heure de l'entraînement au tennis de table avec Yves Drapeau. Un vaste gymnase, où les échanges se reflètent dans de grands miroirs sur lesquels cognent des cris de satisfaction. « Allez les filles, c'est bien. Faut que ça bouge ! » L'entraîneur décide de changer les règles, « pour mettre en place des situations inhabituelles. On travaille sur l'adaptation. Après, on revient sur les règles, les lois du jeu. » Le tennis de table est un support intéressant. Il permet de travailler sur la valorisation de la personne et sur son savoir-faire. « Ce qui est important, c'est de prendre en considération la réalité et de dire la vérité. Ne pas hésiter à critiquer ou à dire que tel ou tel geste n'est pas bon. Notre leitmotiv, c'est l'accompagnement, et l'attention envers les personnes. »

Après le déjeuner à la cafétéria et une pause-café, c'est l'heure de prendre la route pour se rendre à la piscine. « Le plus compliqué, c'est l'organisation, les transports, et tout ce qui est "à côté". Pour un seul sportif, il faut parfois organiser et informer sept personnes : famille d'accueil, parents séparés, établissement spécialisé... L'équipe est pertinente et réactive. Mais on est souvent dans l'urgence. » Guillaume Besnault saute dans un véhicule utilitaire pour aller récupérer les nageurs, à leur IME, à leur CAT...

À l'écoute du corps

« Je n'ai pas envie de nager aujourd'hui. » Athanaïse a 17 ans, s'entraîne trois fois par semaine pour préparer les championnats de France qui se tiendront à Montpellier en novembre prochain. « Avec un retard mental léger associé à des troubles du comportement, elle a un très fort caractère et peut dire des paroles très sèches, dures », explique son entraîneuse. Marc, tout en jambes, n'a que 12 ans. Il fait de la natation depuis qu'il a 6 ans : « Moi, mes parents veulent que je perde. » En pleine croissance, son corps sature vite. Son entraînement ne doit pas être trop intensif. Pendant que les nageurs traversent le bassin dans le sens de la largeur, Guillaume observe et prend note de ce qu'il va falloir travailler : coordination, équilibre... « Ce qui se fait en natation me donne des idées pour des mouvements hors de l'eau. » À ses côtés, très grand, et avec de faux airs de l'acteur Lambert Wilson, Jacky est la mascotte du groupe de nageurs. « Ça fait dix, douze ans qu'il est dans l'eau. La natation, c'est sa vie. Il est monté sur le podium plus d'une fois. Enfant, il avait des problèmes de comportement, il était dangereux avec lui-même. Il n'avait aucun rapport à la douleur. Avec le sport, il s'est cadré, canalisé. Maintenant, il écoute son corps. »

Une fois qu'ils sont sortis de l'eau, leur entraînement n'est pas terminé. Séchage, rhabillage, covoiturage. Direction : la salle de musculation. « En travaillant, on fait quelque chose. C'est parce qu'on a beaucoup travaillé qu'on devient très fort. Et ça, c'est bien réel », insiste Jacky. L'expérience du Cref s'avère concluante, même si ce n'est pas toujours facile. Pour toute l'équipe, le constat est le même : « Nous pensons que les sportifs ont un choix à faire, et nous les accompagnons. Championnats ou non : c'est leur choix. »

http://www.cref-sportadapte.org