L'accouchement inopiné - L'Infirmière Magazine n° 259 du 01/04/2010 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 259 du 01/04/2010

 

urgence

Conduites à tenir

Réaliser un accouchement extrahospitalier inopiné est une expérience mémorable. Les consignes pour évaluer la situation et assister la parturiente.

La nature faisant bien les choses, dans l'immense majorité des cas, les accouchements inopinés se déroulent parfaitement bien. Néanmoins, cette situation est toujours anxiogène pour les intervenants et pour la parturiente. Comme souvent, c'est une accumulation de facteurs qui a entraîné l'incident : la grossesse est proche du terme, les prémices n'ont pas été pris aux sérieux car il y a eu plusieurs fausses alertes auparavant, le conjoint est parti travailler, la maternité est loin... Notez aussi que la diminution du nombre de maternités risque d'en augmenter la prévalence. Cet article a pour but de dédramatiser cette situation et de vous donner les orientations cardinales pour la gérer au mieux si vous y êtes confronté. Un accouchement a une double incidence car il implique deux personnes, la mère et l'enfant. Nous développerons ici uniquement la prise en charge de la mère dans un contexte de grossesse non pathologique.

Votre rôle se découpe en cinq phases :

- évaluer l'imminence de l'accouchement ;

- préparer l'espace et le matériel adéquat ;

- accompagner et surveiller la mère jusqu'à la prise de relais d'une équipe médicale ;

- couper ou faire couper le cordon ;

- surveiller la délivrance.

RAPPELS PHYSIOLOGIQUES

La grossesse est un événement physiologique d'une durée normale de 41 semaines d'aménorrhée. Elle se divise en trois périodes :

- les 22 premières semaines, pendant lesquelles le foetus n'est pas viable. Une expulsion se traduira par une fausse-couche ;

- de la 22e semaine à la 37e incluse, le nouveau-né sera prématuré ;

- au-delà, il s'agira d'une grossesse à terme ;

L'accouchement se divise en trois phases :

- le travail, qui peut durer plusieurs heures. Le nombre de grossesses (gestité) et d'accouchements (parité) va faire diminuer ce délai. Les contractions apparaissent. Il s'agit d'une contraction de l'utérus ressentie comme une crampe dans tout l'abdomen et qui gagne parfois le dos. Elles surviennent à intervalles réguliers de plus en plus courts. Elles durent généralement une minute. De manière concomitante, le col utérin va se dilater pour atteindre 10 cm et permettre la descente de l'enfant dans la filière pelvienne ;

- l'expulsion correspond à la sortie de l'enfant et ne dure pas plus de quelques minutes ;

- la délivrance intervient une vingtaine de minutes après la naissance. C'est la sortie du placenta.

RECUEIL D'INFORMATIONS

Vous vous trouvez fortuitement dans une situation d'accouchement extrahospitalier inopiné, restez calme et serein (du moins en apparence) car l'ambiance doit être aussi rassurante que possible. Soyez rigoureux et méthodique, en plus de vous faciliter la tâche, cela créera un cadre contenant.

Interrogatoire

Interrogez la mère et inscrivez tout sur une feuille car vos capacités de mémoire sont nettement pénalisées en pareille situation. Le recueil d'informations est essentiel. Il doit être minutieux :

- noter les données administratives (nom, prénom, âge, adresse, médecin traitant, maternité prévue) ;

- rechercher les antécédents médicaux et chirurgicaux, les allergies et les traitements en cours ;

- concernant les antécédents gyneco-obstétriques : il faut connaître le nombre de grossesses de plus de six mois et le nombre d'accouchements antérieurs. Comment se sont-ils déroulés (durée, éventuelles particularités) ? Les enfants se portent-ils bien ?

- grossesse en cours : demandez la date du terme et si l'accouchement est prévu par voie basse. La grossesse s'est-elle bien déroulée ? Rechercher un critère de risque en interrogeant la mère : a-t-elle connaissance d'une mauvaise position du foetus et/ou du placenta, a-t-elle souffert d'hypertension artérielle, ou est-ce une grossesse multiple. Il faut savoir l'heure exacte du début des contractions, si la poche des eaux s'est rompue et si la parturiente a envie de pousser.

Examen

Si vous le pouvez, prenez sa tension artérielle, le pouls, la durée et l'intervalle entre les contractions. Déshabillez- la complètement pour effectuer l'examen du périnée (présentation de l'enfant, saignements). S'il y a eu rupture de la poche des eaux, le liquide amniotique doit être clair et inodore, sa quantité est variable.

La décision du transport.

Avec tous ces éléments, vous pouvez maintenant prévenir les secours. Le transport vers la maternité est la règle, mais le médecin régulateur du Samu va évaluer la possibilité du transport sans risque en cotant le score de Malinas grâce à vos informations : un score inférieur à 5 permet théoriquement un transport sans risque (attention à sa durée). Ne prenez surtout pas la décision de vous rendre seul à la maternité, attendez une équipe de sapeurs-pompiers.

En cas de transport.

Si vous maîtrisez la situation, restez avec les secouristes. Les sapeurs-pompiers sont souvent novices dans une telle situation et ils seront sûrement rassurés de pouvoir compter sur la présence d'un professionnel de santé. Évitez les efforts à la patiente, installez-la allongée sur le coté gauche du brancard pour faciliter le retour veineux cave. La tête doit être orientée à l'inverse (vers l'arrière de l'ambulance) pour permettre l'accès au périnée en cas d'accouchement. Réchauffez la patiente et continuez à la rassurer.

ACCOUCHEMENT IMMINENT

Le transport est impossible, il convient alors de :

- préférer un lieu chauffé, éclairé, propre, au calme et qui vous permet de disposer de suffisamment de place. Si l'ambulance est arrivée, elle sera d'un grand soutien car elles sont toutes équipées d'un kit d'accouchement complet ;

- préparer le matériel : gants, draps propres, champs stériles, pansements absorbants, lunettes et masques de protection, oxygène, couverture de survie, aspirateur de mucosité monté et vérifié avec une sonde d'aspiration pédiatrique, deux clamps de Barr, ciseaux, bassine ;

- disposer le matériel sur une table décontaminée. Elle pourra servir à une réanimation si nécessaire ;

- installer la parturiente en position d'accouchement : au bord du lit, en demi- assis, le dos bien calé. Les jambes sont écartées et peuvent reposer sur deux chaises. Glisser un drap propre puis un champ sous ses fesses et faire en sorte qu'ils drainent les liquides dans la bassine en dessous (cf. figure). La patiente peut attraper l'intérieur de ses cuisses. Placer une personne à ses côtés pour la rassurer et l'aider à maintenir son menton contre sa poitrine lors de la poussée. Veiller à bien la couvrir. Se positionner à genoux entre ses jambes, être bien stabilisé et confortablement installé pour pouvoir tenir longtemps. Une couverture repliée évitera de souffrir des genoux.

L'expulsion

La patiente doit effectuer plusieurs efforts de poussée à chaque contraction. Encouragez-la à le faire. Progressivement, la tête va apparaître, face vers le bas. Vous devez ralentir la sortie de la tête dès le passage de la vulve pour éviter une déchirure du périnée en exerçant une faible pression avec votre paume. Demandez alors à la mère d'arrêter de pousser. Assurez-vous que le cordon n'entoure pas la tête du nouveau-né (circulaire du cordon). Si c'est le cas, dégagez-le prudemment au-dessus de la tête. S'il est trop tendu, il faudra « clipser » deux clamps de Barr et couper le cordon entre les deux.

Quand la tête est dégagée, le corps de l'enfant va tourner d'un quart de tour d'un côté ou de l'autre. Soutenez l'enfant avec vos deux mains placées en dessous de lui. L'expulsion doit se faire en bas et en avant pour permettre au bras le plus haut de se dégager. Une fois que le premier bras est sorti, remontez le haut du corps pour dégager le deuxième bras puis l'abdomen et les jambes. Accueillez l'enfant délicatement mais avec assurance pour éviter une chute. Assurez-vous de l'état de ses fonctions vitales, il doit crier rapidement. Pratiquez une aspiration des voies aériennes supérieures si vous sentez qu'il est encombré. Séchez-le en tapotant sans frotter avec un linge propre. Déposez le nouveau-né sur le ventre de sa mère, peau à peau.

Couper le cordon

In utero, le foetus est oxygéné par le sang maternel. Dès la première inspiration, la pression de l'artère pulmonaire chute et permet au sang de l'oreillette droite de pénétrer dans les poumons. Ce geste doit être effectué dans la minute qui suit l'accouchement. Clampez le cordon à 15/20 cm de l'abdomen de l'enfant. Cette distance pourrait se révéler utile pour poser une voie veineuse en cas de pathologie le nécessitant. De toute façon, il sera recoupé à la maternité. Pincez le cordon au niveau du clamp côté placenta et chassez le sang vers lui sur deux ou trois centimètres. Placez le deuxième clamp. La section est ensuite réalisée avec des ciseaux stériles. Vous pouvez proposer, bien sûr, au père de le faire ! Assurez une asepsie minutieuse en empreignant le cordon sectionné de Clorexidine ou équivalent. Puis, enroulez-le dans une compresse ou laissez-le à l'air libre.

Le post-partum immédiat

Pour éviter l'hypothermie, vous pouvez confectionner un petit bonnet avec une bande Velpeau. Mettez un pansement américain sur le périnée et vérifiez régulièrement l'absence d'hémorragie, ne tirez jamais sur le cordon. Faites pratiquer un bilan des fonctions vitales de la mère par un secouriste (TA, pouls, saturation, fréquence respiratoire). Inspectez à nouveau l'enfant, vérifiez qu'il a pris une belle coloration rose et qu'il est tonique. Vous pouvez mesurer son pouls huméral, il doit être supérieur à 100 bpm. Transmettez un nouveau bilan au centre 15 pour avertir l'équipe médicale qui se dirige vers vous que la naissance a eu lieu et que tout va bien.

Surveiller la délivrance.

L'expulsion du placenta se fait spontanément vingt minutes à une demi-heure après la naissance. La reprise des contractions en est le signe précurseur. Recueillez-le entièrement et gardez-le dans un sac. Il sera examiné pour s'assurer qu'il est entier.

À l'arrivée de l'équipe du Samu, faites une transmission détaillée et laissez vos coordonnées, utiles en cas de besoin, mais surtout, cela permettra aux parents de vous envoyer un faire-part de naissance. Certains pompiers sont même devenus parrains !