Les prothèses auditives - L'Infirmière Magazine n° 256 du 01/01/2010 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 256 du 01/01/2010

 

ORL

Cours

Avec le vieillissement de la population, le nombre de personnes souffrant de déficience auditive s'accroît. Mais les prothèses n'ont pas toujours bonne presse, surtout à cause de leur prix. Pourtant, les progrès technologiques s'accélèrent et, au terme du parcours de soins, les avantages peuvent supplanter les inconvénients.

INTRODUCTION

Les prothèses auditives ne guérissent pas de la surdité, mais elles en atténuent l'une des possibles conséquences : l'isolement social. Leur port, selon la Haute autorité de santé (HAS), « s'intègre dans une stratégie de prise en charge globale qui vise, selon l'âge d'apparition de la surdité, soit à développer la communication » (en cas de surdités prélinguale ou périlinguale, survenant avant l'acquisition ou pendant le développement de la communication orale, avant 4 ans), « soit à la réorganiser » (pour les surdités postlinguales, 98,5 % des surdités en France). Avant de s'appareiller, le malentendant franchit plusieurs étapes auprès de l'otorhinolaryngologiste (ORL) puis de l'audioprothésiste, couple central du parcours de soins. Son niveau de déficience auditive, définie comme la diminution partielle ou complète de la perception des sons par une ou les deux oreilles, n'est pas le seul élément pris en compte : sa gêne, en particulier, compte beaucoup.

FONCTIONNEMENT DE L'OUÏE

Transmission du son

Les sons captés par l'oreille externe font vibrer le tympan, limite entre le conduit auditif externe et l'oreille moyenne. Dans cette dernière, la chaîne des osselets amplifie et transmet les vibrations à l'oreille interne. Celle-ci comprend notamment la cochlée, l'organe de l'audition, tapissée de cellules ciliées, qui assurent la transduction du signal acoustique en message électrique nerveux. Un message transmis, via le nerf auditif, jusqu'aux aires corticales du cerveau. L'homme perçoit des sons dans des fréquences allant, du grave à l'aigu, de 20 à 20 000 Hz (hertz), la parole s'étendant de 500 à 4 000 Hz.

Types de surdité

La surdité de transmission désigne un défaut de transmission du son au niveau de l'oreille externe ou de l'oreille moyenne. La surdité de perception, ou neurosensorielle, concerne l'oreille interne, au niveau de la cochlée (en général) ou du nerf cochléaire (partie du nerf auditif). La surdité est « mixte » quand ces deux types de surdité sont associés, et « centrale » si l'atteinte se situe au niveau des centres auditifs supérieurs.

Causes de surdité

Les surdités de transmission ont des origines congénitales, malformatives, ou résultent de séquelles d'infection ou d'inflammation. Les surdités de perception, elles, sont les déficiences auditives les plus courantes, et l'une des pathologies les plus répandues des personnes âgées. Le plus fréquemment, elles sont générées par la presbyacousie, dégénérescence progressive de la cochlée. Elles peuvent aussi être liées, entre autres, à un traumatisme sonore ou à une cause congénitale, toxique, vasculaire... Les causes d'une surdité sont plus souvent suspectées que déterminées. Ainsi, la presbyacousie, imputée au vieillissement, s'accélère avec certaines expositions sonores.

SOUPÇONS DE SURDITÉ

Indices

Une surdité est suspectée quand le patient se plaint d'une perte ou d'une gêne auditive, que sa compréhension est altérée dans un milieu bruyant, un grand magasin, un restaurant, une rue fréquentée. Plus le déficit auditif s'aggrave, plus la gêne se manifeste dans sa vie quotidienne. Ainsi, une personne qui éprouve la nécessité de parler face à son interlocuteur ou d'augmenter le volume de sa télévision, qui perçoit mieux les voix masculines que les voix féminines, qui ressent une intolérance aux sons intenses ou qui peine à saisir une conversation téléphonique.

Impact sur la vie sociale

En général, les troubles de l'audition, telle la presbyacousie, évoluent très lentement. Plusieurs années s'écoulent avant une réelle prise de conscience - et une acceptation - de la perte. Ce qui risque d'avoir un impact sur les relations. Le malentendant n'ose plus aller dans une gare demander un renseignement, renonce à assister à un spectacle, etc. S'installe un frein psychologique à la communication. Ce qui peut susciter des tensions avec l'entourage, accusé de ne pas assez articuler. L'humeur (au sens général) du malentendant en pâtit, avec parfois un syndrome dépressif. Il arrive que la consultation pour perte auditive soit sollicitée par des proches.

EXAMENS MÉDICAUX

Pour affiner l'analyse, le médecin traitant adresse le patient à son confrère ORL. Ce spécialiste, par une anamnèse (indications fournies par le patient sur son trouble), des examens cliniques et un bilan audiométrique, évalue possibilités et limites d'un appareillage.

Étude de la gêne

L'ORL se renseigne sur les retentissements socioprofessionnels de la perte auditive. Quelle est la gêne ? Quelle est la demande du patient ? Quand celui-ci multiplie les réunions professionnelles, s'il utilise des langues étrangères, la correction peut s'imposer plus précocement que pour une personne sédentaire, plus âgée, avec peu de contacts.

Audiométries

Ces examens visent à localiser et à mesurer l'importance de la perte.

Deux types d'audiométrie

L'audiométrie tonale détermine, à différentes fréquences et oreille par oreille, l'intensité (en décibels, dB) à laquelle sont perçus les sons. Pour l'examen, le patient porte un casque dans une ambiance calme. Un test de la conduction osseuse du son, en posant un vibrateur sur la mastoïde, permet aussi d'évaluer la seule oreille interne. L'audiométrie vocale, elle, apprécie le niveau de compréhension d'une liste de mots à différentes intensités. Là encore, chaque oreille est testée et le patient porte un casque en cabine insonorisée. Dans certains cas, un examen se déroule en milieu bruyant.

Indications théoriques

La perte tonale moyenne, calculée à partir des pertes aux 500 Hz, 1 kHz (1 000 Hz), 2 kHz et 4 kHz, est légère entre 20 et 40 dB, moyenne de 40 à 70, sévère de 70 à 90, profonde quand elle est supérieure à 90 dB, totale à 120 dB. D'aucuns considèrent qu'un déficit dépassant les 30 dB aux 2 kHz et aux fréquences plus aiguës laisse envisager une correction auditive - la capacité à entendre dans le bruit est rendue possible par la perception aux 2 kHz. Pour d'autres, c'est une perte de 40 dB aux fréquences de la parole qui justifie un appareillage. En fait, ces critères quantitatifs sont une indication : le principal aspect dans la décision reste la gêne subjective dans le bruit, au téléphone...

Complémentarité

Cas pratique : une audiométrie tonale ne révèle pas d'altération des sons, mais, à l'audiométrie vocale, le patient n'identifie aucun mot. Car progressivement les cellules ciliées externes, qui extraient le message du bruit de fond, ont dégénéré. Afin de mieux localiser l'atteinte, l'ORL va étayer son diagnostic.

Autres examens

Pendant la consultation, l'ORL procède aussi à une otoscopie (observation de l'intérieur de l'oreille à l'aide d'une lumière) et éventuellement à une impédancemétrie (pour mesurer la souplesse du tympan et des osselets, ce qui permet, par exemple, de dépister une otite). Il cherche aussi la présence de pathologies qui compliqueraient un appareillage. Notamment pour des pathologies évolutives, ou quand les données vocale et tonale sont en discordance, il peut recourir entre autres à l'imagerie. Un bilan orthophonique enfin peut être dressé. En effet, quasi spontanément, un malentendant supplée la perte d'un certain niveau d'informations auditives par la lecture labiale (sur les lèvres de ses interlocuteurs). Une situation suspectée lorsqu'une audiométrie vocale fait état d'une compréhension très altérée.

PRESCRIPTION DE PROTHÈSES

Tout médecin peut prescrire une aide auditive. Sont nécessaires cependant les évaluations tonale et vocale. L'HAS recommande une prescription d'un ORL « après un bilan comprenant notamment un examen otologique et audiométrique [...] standardisé ».

Après examens, comme pour toute prise en charge thérapeutique, le praticien informe son patient des bénéfices d'un appareillage. Il fonde sa prescription sur les bilans cliniques et audiométriques ; les demandes du patient et son mode de vie ; la présence d'autres pathologies (comme de l'eczéma dans le conduit auditif externe) ; le recours éventuel à la lecture labiale ; l'existence de troubles associés rendant difficile la communication (troubles visuels, cognitifs...) ou la manipulation des prothèses (troubles rhumatologiques par exemple). Le médecin confronte ces éléments aux possibilités d'amplification. Pour les atteintes les plus graves, il peut prescrire un double traitement, l'appareillage se doublant d'une rééducation orthophonique. La précocité du port d'audioprothèses est préconisée : trop attendre, c'est risquer des répercussions sur la communication, sur le nerf auditif, sur les zones corticales de l'audition. Une plus longue rééducation de l'ouïe serait ultérieurement nécessaire

CHEZ L'AUDIOPROTHÉSISTE

Après la prescription médicale (dépourvue de caractéristiques concernant l'audioprothèse), l'audioprothésiste prend le relais. Ce professionnel paramédical du secteur privé, diplômé d'État après trois ans de formation (et intégré à l'avenir au système licence master doctorat), effectue lui aussi des mesures avant de choisir une prothèse.

Tests et interrogatoires

Le bilan de l'audioprothésiste diffère de celui du médecin. Le professionnel n'analyse pas la seule quantité sonore disparue : il tient aussi compte de la manière dont le patient utilise son oreille. Il l'interroge sur son mode de vie et les compensations mises en place pour surmonter sa gêne auditive. Il peut faire des tests vocaux (ou d'intégration), mettre le patient dans des situations qui correspondent à son quotidien. Il mesure les seuils de confort et d'inconfort à différents niveaux sonores.

Choix et essai de la prothèse

Pour une même perte, deux patients n'auront pas la même amplification. Le choix dépend du profil (âge, activités) du patient, de ses caractéristiques audiométriques, de l'étiologie et de l'ancienneté de sa surdité, de son état psychologique (certains redoutent le port de la prothèse ou l'image qu'elle donne), de ses goûts esthétiques, de ses moyens financiers.

L'audioprothésiste a latitude pour le choix de la prothèse. Il informe et conseille le patient en lui présentant les solutions adaptées à son cas et les avantages et les limites de chacune d'elles. Le patient dispose de l'essai gratuit de sa prothèse avant de l'acheter (et doit être prévenu dès le départ d'éventuels frais). L'HAS a proposé de rendre obligatoire l'essai pour quinze jours minimum, avec une durée prolongeable sur demande du prescripteur.

DIVERSITÉ DES PROTHÈSES

Définition

La prothèse auditive, audioprothèse, aide auditive, ou appareil de correction auditive, est un dispositif médical visant « à corriger une déficience du système auditif, à compenser une incapacité auditive », selon l'HAS. Le port se fait sur une (appareillage monaural) et le plus souvent sur deux oreilles (appareillage binaural ou stéréophonique).

Grandes familles de prothèses

Il existe 1 400 prothèses sur le marché. Un nombre multiplié, pour chacune d'elles, par les options. Le plus souvent, les appareils sont des prothèses auditives « conventionnelles », à conduction aérienne et ne nécessitant aucune intervention chirurgicale (contour d'oreille et intra-auriculaire). Il s'agit alors d'un appareillage de première intention pour les surdités de perception (peu souvent susceptibles d'être opérées), également utilisé pour des surdités de transmission pour lesquelles des moyens médicaux ou chirurgicaux ne suffisent pas.

Sur la Liste des produits et prestations remboursables par l'Assurance maladie figurent aussi les prothèses auditives à conduction osseuse (lunettes auditives et BAHA), dont l'usage est beaucoup plus rare.

Contour d'oreille

C'est le type de prothèse le plus vendu. Placée derrière le pavillon, la coque qui contient le dispositif électronique est reliée, par un tube, à l'embout, sur-mesure et inséré dans le conduit auditif. Ce dispositif est facilement manipulable et réglable, apprécié des personnes âgées. Mais il est peu discret. De plus en plus, il est réservé à la prise en charge des surdités nécessitant une forte amplification, sa taille augmentant avec le niveau de surdité. Ce contour d'oreille a quasi totalement remplacé le boîtier, dispositif plus ancien, posé sur la poitrine et relié à l'oreille par une cordelette.

Apparu il y a quelques années, « l'Open fit » comprend un contour d'oreille très petit, relié, par un fil, à un embout non obstructif placé dans le conduit auditif, celui-ci n'étant donc pas fermé. Avantages : diminution de l'effet larsen, de la sensation d'oreille bouchée, de la perception de la mastication et de la résonance de la voix du patient. Ses promoteurs vantent sa discrétion et son amplification relativement grande. Comme l'oreille est ouverte, les sons graves sont traités de manière « naturelle ». Cette prothèse est destinée aux patients souffrant de pertes sur les fréquences aiguës, et donc à la presbyacousie, qui commence toujours par les aiguës. Elle ne peut pas réhabiliter les surdités plus importantes ou les pertes significatives sur les fréquences graves.

Intra-auriculaire

Cette prothèse sur-mesure, plutôt discrète, se place à l'intérieur du conduit auditif. Aujourd'hui, près d'un quart des appareillages se font en intra-auriculaire. Le résultat est identique à celui d'un contour jusqu'à des pertes d'environ 65 décibels. Le problème, en cas de fréquences graves bien conservées, c'est que l'oreille est complètement fermée et une sensation d'oreille bouchée peut apparaître (sauf pour des surdités plus marquées).

Prothèses à conduction osseuse

Les « lunettes auditives » transmettent le son par vibration osseuse, le vibrateur étant placé sur la branche de lunette, à même la mastoïde. Le son ne passe ni par l'oreille externe ni par l'oreille moyenne, ce qui est adapté pour certaines surdités de transmission ou mixtes, ou quand il est impossible de porter une prothèse à conduction aérienne (en cas de tympan percé par exemple).

Quant à la prothèse semi-implantable BAHA (Bone Anchored Hearing Aid), elle est indiquée pour certaines surdités de transmission ou mixtes (telle une malformation de l'oreille), ou en cas de grave surdité de perception d'un seul côté, la BAHA contribuant alors « à transférer les informations du côté atteint vers l'oreille saine ».

La prothèse conventionnelle

Les prothèses à conduction aérienne se composent d'un système d'alimentation (une pile à changer tous les quinze jours au maximum ou, pour les appareils de faible puissance, un accu à recharger chaque jour) et de plusieurs éléments qui traitent successivement le message sonore : un microphone, un amplificateur dont les réglages sont adaptés à la surdité, un écouteur placé dans le conduit auditif externe.

Innovations technologiques

Les aides auditives s'améliorent sans cesse, diminuant en taille, s'adaptant à l'environnement, gagnant en confort et en esthétique. Reposant à l'origine sur l'analogique, elles sont aujourd'hui à plus de 95 % numériques, ce qui augmente leurs paramètres et facilite leurs réglages.

Il existe un grand nombre de réglages et de canaux. Sur certains appareils, le patient a accès, par télécommande ou bouton-poussoir, à des programmes. Pour les prothèses de haute technologie, le choix du programme le plus adapté est automatique, par analyse de l'environnement sonore. Le traitement du signal peut être très rapide, l'appareil pouvant distinguer la parole du bruit de fond ou du sifflement, et par exemple couper une partie de l'agression si des bruits de verre surgissent, ou au contraire renforcer des traits pertinents. L'appareil peut être équipé d'un microphone directionnel, orienté automatiquement ou non vers la source du son. Enfin, un lien direct peut être fait, grâce à « la position T », à la télévision, au téléphone ou à d'éventuels systèmes publics (au théâtre, au cinéma...), et, de façon récente, via le Wifi, au téléphone, à la télévision...

Certains appareils peuvent aussi transférer des informations des fréquences aiguës vers les zones plus graves. Le patient perçoit ainsi des signaux aigus alors que sa cochlée n'a plus de cellules codant pour ces fréquences. Cette technique s'appuie sur les modifications naturelles de compensation centrale du cerveau, qui s'est réorganisé du fait de la sous-stimulation.

ADAPTATION AUX PROTHÈSES

Après le choix s'ouvre une nouvelle phase. Estime de soi, activités de groupes, activités sociales indispensables au fonctionnement du cerveau : ces bénéfices du retour au bruit se doublent de désagréments initiaux que le patient doit progressivement dépasser.

Rôle des professionnels

Consultations médicales

L'audioprothésiste n'a aujourd'hui pas obligation d'adresser un compte rendu de l'appareillage au prescripteur.

Même s'il n'a pas de données sur les prothèses, le médecin généraliste peut soutenir le patient dans son effort d'appareillage. Quant à l'ORL, il apprécie l'évolution de l'audition. Si un patient presbyacousique appareillé depuis des années présente une perte auditive brutale et unilatérale, il faut reprendre la démarche diagnostique, une telle altération évoquant une pathologie associée, comme une tumeur.

Suivi de l'audioprothésiste

Bien plus qu'un technicien, l'audioprothésiste joue, pour le patient, un rôle de « coach », selon Éric Bizaguet, président du Collège national des audioprothésistes. Des échanges marqués par la confiance sont cruciaux pour que le patient s'habitue à la prothèse, la porte, accepte une légère gêne. « Si un travail de qualité n'est pas fourni, la prothèse finit dans un tiroir : inadmissible. »

Ce suivi prothétique - contrôle progressif, accompagnement régulier - est inclus dans le forfait initial payé par le malentendant. Depuis 2008, il doit même figurer clairement dans le devis gratuit normalisé. Le patient ne doit donc pas hésiter à retourner chez l'audioprothésiste en cas d'insatisfaction sur le réglage de l'appareil.

Information du patient

Le patient va réentendre des bruits oubliés. L'y préparer est affaire de psychologie et dépasse la simple explication technique. « Il y a trente ans, quand j'ai commencé, j'allais de mon bureau au patient et lui mettais la prothèse dans l'oreille, se souvient Éric Bizaguet. Quand je revenais à ma place, voilà la tête du patient [il mime un visage de souffrance]. C'était le bruit du parquet. Aujourd'hui, on le prévient de tous les bruits qu'il peut rencontrer. Je lui dis : "Écoutez, ça va être merveilleux, vous allez entendre le parquet craquer." Et il me dit : "Ah oui, c'est vrai, je l'entends" ! » Pour un même bruit, deux prises en charge différentes... et un ressenti qui passe de négatif à positif.

Adaptation

Quelle que soit la technologie, un temps d'habituation s'impose. Pendant quatre ou cinq jours, le patient peut se plaindre d'un contact mécanique. Et il lui faut huit à dix jours pour s'habituer à sa propre voix. Éric Bizaguet : « Une patiente de 92 ans m'a dit qu'elle n'aurait jamais dû se faire opérer de la cataracte. J'en étais désolé, pensant à un problème médical. Il n'en était rien. "Le problème, c'est que je suis toute ridée", m'a-t-elle dit. En fait, elle était ridée avant mais ne le voyait pas ! De même, quand un patient met un appareil auditif pour la première fois et qu'il s'entend d'une voix qui n'est pas la sienne (car il l'entendait à travers sa "surdité"), cette sensation subjective est normale. Le fait de l'avertir de ce phénomène [par exemple en lui racontant l'anecdote sur la cataracte] diminue son impact et le normalise. Ce qui est normal et doit disparaître à court terme est ainsi accepté. » Il faut ensuite quinze jours à trois semaines pour s'habituer à 80 % des bruits du milieu extérieur.

Port régulier

Pour obtenir de bons résultats, les professionnels préconisent un port régulier. Selon l'audioprothésiste, cette corrélation est confirmée par les indications livrées par les appareils les plus performants sur le temps et les moments pendant lequel ils ont été portés, et le milieu dans lequel vit le patient.

Correction partielle

Un appareillage de qualité restaure la communication, mais ne guérit pas de la surdité : il la corrige seulement, à 70 % environ dans les adaptations les plus efficaces. Même appareillé, un malentendant doit renoncer à une audition « normale » dans des situations difficiles, le milieu « silencieux » (non bruyant) étant pour sa part très bien traité. Annoncer des résultats supérieurs serait exagéré, en attendre plus et immédiatement irréaliste. Par exemple des grands-parents qui voudraient s'appareiller le 23 décembre en vue de saisir les discussions dans le brouhaha du réveillon...

« Les patients ne comprennent pas pourquoi on arrive à bien corriger leur vue avec des lunettes, alors qu'il reste des difficultés avec une prothèse auditive, observe Olivier Sterkers, chef du service ORL à l'hôpital Beaujon (AP-HP, Clichy). La différence, c'est que, dans la grande majorité des atteintes visuelles, il s'agit de corriger une déficience physique sans que l'organe sensoriel ne soit touché, alors que la prothèse auditive amplifie les sons de telle sorte que la cochlée, plus ou moins lésée, puisse être opérante à nouveau et en particulier dans ce qui est notre quotidien : un environnement bruyant. »

Certains échecs de l'appareillage conventionnel traduisent des insuffisances de la cochlée ou des voies auditives centrales, et des implants peuvent être proposés (cf. encadré, p. V).

DURÉE DE VIE DES PROTHÈSES

Un quinquennat. Telle est la durée d'utilisation recommandée par l'HAS, et aussi la durée de vie moyenne d'une prothèse, utilisée de quatre à six ans pour 80 % des patients. La prothèse peut aussi être renouvelée à cause d'une évolution de la perte auditive supérieure à la fourchette d'utilisation de l'appareil, ou encore en raison des progrès techniques. « En cas de renouvellement, on fait un essai comparatif. Le patient est toujours libre de dire "je préfère la mienne", note Éric Bizaguet. Mais cela arrive très rarement. Ce qui prouve l'avancée technologique colossale. »

CONCLUSION

Le monde des audioprothésistes - ou du moins certains de ses membres - n'a pas toujours bonne presse. « Rien n'empêche certains professionnels d'avoir la main un peu lourde face à une clientèle souvent âgée, déstabilisée par un jargon hypertechnique et peu à même de comparer les prix des appareils et des services rendus », note ainsi le magazine Que choisir.

Côté audioprothésistes, on répond entre autres que la quasi-totalité des professionnels veut bien faire, et que « la profession finance la création d'une norme auprès de l'Afnor pour garantir un service de qualité aux patients ».

En réponse à la question, soulevée par Que choisir, de la faible concurrence et des prix élevés, Éric Bizaguet note qu'il n'y a « pas de pénurie d'audioprothésistes pour un patient qui voudrait se faire appareiller, mais des difficultés à recruter du personnel pour certaines chaînes qui veulent avoir une assise nationale ».

Coûteuses, inefficaces, inesthétiques... Les audioprothèses elles-mêmes ne font pas l'unanimité. Mais les temps changent. « Le nombre de patients mécontents a beaucoup diminué, se félicite Éric Bizaguet. Parce qu'on les appareille des deux oreilles, précocement et que la technologie a fait énormément de progrès. » Précocité et régularité du port : voilà, selon les experts de l'ouïe, les deux facteurs clés de la réussite.

De même que le changement de regard sur les prothèses (longtemps associées au vieillissement mais désormais banalisées avec le recours accru à des oreillettes en tout genre), les avancées technologiques induisent de nouveaux comportements. « Les "Open fit" ont changé l'organisation des soins. Progressivement, on a vu des populations avec des surdités moyennes ou légères être appareillées, fait remarquer Olivier Sterkers. Et d'un autre côté, les patients avec une surdité sévère à profonde viennent discuter d'une implantation cochléaire. »

L'appareillage, un enjeu important avec le vieillissement de la population et l'essor du temps libre. Mais ne vaudrait-il mieux pas, quand c'est possible, préférer la prévention à la guérison ? Notamment en restreignant le niveau de bruit ou en s'en protégeant, dans le travail comme dans les loisirs.

En chiffres

Quelque six millions de Français souffrent d'une surdité, handicap sensoriel le plus fréquent. Selon des estimations, 55 % de la population atteinte souffre d'une perte légère, 33 % d'une perte moyenne. Et 63 % des surdités se retrouvent chez les plus de 65 ans. D'après un récent sondage, 17 % des personnes déclarant un problème d'audition sont appareillés, un taux bien inférieur à d'autres pays. En France, près de 440 000 prothèses ont été vendues en 2008, contre 55 000 en 1975.

Des implants pour améliorer la communication

Un implant cochléaire peut être posé, avec hospitalisation et sans limite d'âge supérieure, en cas de surdité sévère ou profonde, pour laquelle les audioprothèses ne suffisent plus et quand il y a perte en vocal mais pas en tonal. Le message sonore (capté en externe) est transféré par l'implant au nerf auditif. Quand la fréquence 1 kHz est perdue, il n'y a plus d'autre possibilité d'amplification.

Des médecins posent cet implant dès que la première prothèse ne permet plus de reconnaître les sons et que la communication est difficile. De plus en plus souvent, il se fait bilatéralement (deux implants, ou prothèse et implant). Il peut aussi stimuler les fréquences aiguës tandis qu'une prothèse conventionnelle stimule les graves.

Autre technique chirurgicale, en cours d'évaluation : l'implant d'oreille moyenne pour une surdité de perception légère à sévère, souvent après échec d'une prothèse conventionnelle. Enfin, l'implant du tronc cérébral est destiné aux patients qui n'entendent plus rien et dont la surdité a pour origine un dysfonctionnement du nerf auditif.

Et l'enfant ?

Un enfant peut être appareillé dès ses premières semaines... si le diagnostic est certain. Un dépistage de la surdité avant la sortie de la maternité est en cours d'exploration, par audiométrie objective automatisée, dans des régions pilotes ; un test auditif, systématique, est effectué neuf mois après la naissance. Des examens sont aussi faits si on observe un retard ou un fléchissement du développement du langage. La procédure, avec des tests spécifiques, est plus lourde que chez l'adulte, et la prise en charge pluridisciplinaire (médecin, orthophoniste, éducateur, audioprothésiste...).

Le prix, principal obstacle à l'appareillage

Selon un sondage Ipsos de mars 2009, le premier obstacle à l'appareillage est le prix des prothèses, devant l'esthétique, l'image de vieillesse ou de handicap qui peut y être associée, ou encore l'inefficacité. « Médiocre rapport qualité/prix », déplorent même certains utilisateurs mécontents dans Que choisir.

Le coût moyen ? 1 750 euros par oreille pour la gamme moyenne, et plus de 2 000 euros pour les technologies les plus avancées. Exemple : « l'Open fit » oscille entre 1 400 et plus de 2 000 euros. Tout dépend en effet des technologies et des options. Ainsi, pour bénéficier du système directif, il faut acheter le haut de gamme.

Le prix d'une prothèse comprend le coût de l'appareil lui-même (de 60 % à 75 % du forfait) mais aussi celui de la prise en charge ultérieure (environ dix à quinze heures de travail sur une période de cinq ans). Cet accompagnement n'est pas limité dans le temps. En cas de perte de prothèse ou d'aggravation de la perte auditive, le patient peut changer de prothèse assez rapidement.

La base de remboursement par l'Assurance maladie est de 199,71 euros, quels que soient la prothèse et le niveau de surdité, et sans évaluation de l'appareillage. Le remboursement, sur prescription, se fait à hauteur de 65 % de ce tarif, soit 129,80 euros. Une base multipliée par deux depuis 2002 en cas d'appareillage bilatéral. Des accessoires sont aussi remboursables.

La prise en charge des prothèses varie selon l'âge et le handicap. Elle est plus importante en dessous de vingt ans, pour des sujets adultes souffrant de cécité, ou, par ailleurs, pour un assuré sous Couverture médicale universelle.

En plus du remboursement, faible comparé au coût de l'aide auditive, les mutuelles peuvent compléter plus ou moins. Des aides sont possibles, comme celles de l'Agefiph pour l'usage professionnel. Les Maisons départementales des personnes handicapées, créées par la loi sur le handicap du 11 février 2005, facilitent des démarches.

À consulter, le dossier « Les prothèses auditives » sur http://www.ameli.fr.

À lire

> « Les prothèses auditives », dans Thérapeutique et tables rondes des Entretiens de Bichat 2009. Cet exposé de MM. Sterkers, Bouccara et Bizaguet nourrit ce cours.

> Les rapports de l'HAS sur les prothèses auditives, les implants cochléaires ou du tronc cérébral, sur http://www.has-sante.fr.

> Le site http://www.audition-infos.org.

> La fiche « Surdité et déficience auditive » sur http://www.who.int/fr.

> Le sondage sur l'audition des Français sur http://www.ipsos.fr/CanalIpsos/articles/2779.asp.

> Le dossier dans Que choisir en octobre 2009.