Jamais moi sans toi - Ma revue n° 294 du 01/07/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 294 du 01/07/2013

 

CARNET DE TOURNAGE

Actualité

C’est un couple phare du documentaire. Monsieur et madame S. ont chacun 90 ans passés, dont près de 70 ensemble. Atteinte de la maladie de Parkinson, la femme se voit décliner jour après jour. Et entraîne son mari dans sa chute.

« Vous avez vu, il y a Marine Le Pen aussi qui s’est cassé le coccyx ! » Françoise tente de détendre un peu l’atmosphère, en vain. Cela fait des années que madame S. a notamment mal à cet endroit, et la gêne s’est accentuée ces dernières semaines, l’empêchant de dormir. Du coup, par ricochet, monsieur S. ne dort plus beaucoup non plus. À un âge avancé, une nuit sans sommeil pèse lourd. L’infirmière s’en inquiète. En aparté, elle lui dit qu’il faut trouver une solution, car il ne va pas tenir. L’homme acquiesce, las, usé par cette charge.

Madame S. est demandeuse de soins et d’assistance presque vingt-quatre heures sur vingt-quatre à présent. Il y a une dizaine de mois, lorsque nous les avons rencontrés, les deux passages hebdomadaires de l’infirmière libérale associés à une aide ménagère régulière semblaient suffire. Désormais, une garde de nuit sera assurée deux fois par semaine, pour que l’homme puisse souffler. Heureusement pour lui, le couple n’a pas de difficultés financières. Il a même un projet de villégiature spécialisée pour l’été mais, depuis Pâques déjà, Françoise se demande ouvertement s’ils tiendront jusque-là. Une fois de plus je suis fasciné par la manière dont patients et soignant parviennent à échanger aussi facilement sur la mort… Arrive sans doute un moment où le tabou est tellement absurde qu’il se lève de lui-même.

Lorsque nous quittons l’appartement, Françoise est amère : « On pourrait l’aider mieux s’il y avait un médecin de famille. Là, il va mourir d’épuisement… », s’alarme-t-elle. Elle regrette que les proches ne le soient pas davantage, justement. Oui, mais se rendent-ils compte de la situation ? Leurs parents ou grands-parents osent-ils se plaindre ou bien font-ils, comme tant d’autres, bonne figure devant la famille, de peur de déranger ? Françoise est sans concession : aux premières loges de ce spectacle parfois terrible qu’offre le grand âge, elle ne supporte pas l’idée que l’on puisse abandonner un parent. De mon côté, j’essaie d’éviter de juger. Je me dis que chacun a ses raisons, ses obligations. Je ne pourrai pas garder dans le film tous ces coups de gueule, même s’ils sont forts, spontanés, et même si je les comprends au fond : le risque de blesser inutilement est trop grand.

Début juin, Françoise m’apprend que madame S. a finalement été hospitalisée. Ce n’était plus tenable. Quelques jours plus tard, elle rencontre son mari dans la rue. Il confesse que les allers-retours quotidiens au lointain hôpital sont bien trop fatigants et qu’il préfèrerait finalement qu’elle rentre à la maison.

« Je suis dépassée », nous avouait l’infirmière à l’issue de cette visite fin mai. Car il arrive un certain moment où il ne semble plus y avoir de bonne solution.