Comment sécuriser l’automédication - Ma revue n° 294 du 01/07/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 294 du 01/07/2013

 

Cahier de formation

Savoir faire

L’automédication étant incontournable, le rôle des professionnels de santé est d’en poser les limites et les règles de bon usage pour tous. L’infirmière peut de plus aider à gérer la pharmacie familiale, repérer les populations les plus à risque, surveiller les effets indésirables et inciter à les déclarer.

Madame R., 63 ans, a subi une intervention du genou pour laquelle le pansement doit être renouvelé tous les 3 jours. Ce matin, elle se plaint de son nez qui « coule comme une fontaine » et vous demande de lui apporter le Fervex qui est dans la cuisine. Sa voisine l’a laissé ce matin en disant que « ça marchait bien ». Les anticoagulants sont terminés, mais madame R. continue les antidouleurs : Ixprim, jusqu’à 8 par jour en cas de douleurs.

Vous mettez en garde madame G. contre le risque de surdosage en paracétamol et de toxicité hépatique associée. Fervex et Ixprim contiennent tous deux du paracétamol, et madame R. risque de dépasser la dose maximale fixée à 1 g par prise et 4 g par jour en respectant un minimum de 4 heures entre les prises. Ce qui est bon pour sa voisine ne l’est pas forcément pour elle ! Mieux vaudrait se tourner vers un traitement local type eau de mer/antiseptique ou demander conseil à son médecin ou au pharmacien.

DES “RÈGLES D’OR” POUR TOUS

1. Réserver l’automédication à des symptômes passagers, bien connus du patient et reliés à des affections courantes et bénignes.

2. Respecter une durée de traitement courte, indiquée dans le mode d’emploi du médicament, et qui n’excède pas en général 48 ou 72 heures. Ne pas poursuivre le traitement ou le reconduire si les symptômes s’aggravent, persistent ou récidivent, mais consulter le médecin.

3. Ne prendre qu’un seul médicament à la fois pour limiter le risque d’incompatibilités/surdosages.

4. Utiliser en priorité les traitements les plus sûrs et les mieux tolérés.

5. Respecter les posologies prévues par la notice.

6. Lire systématiquement les informations sur le conditionnement et la notice du produit pour prendre connaissance du mode d’emploi, des indications et des contre-indications. Il est important de recourir de préférence aux produits spécifiquement étudiés pour un usage en automédication : leur conditionnement et les indications fournies sont étudiés pour une durée de traitement courte et une compréhension par le grand public.

7. Ne jamais recourir/réutiliser des produits “listés” prescrits par le médecin sans son avis, même pour des symptômes similaires.

8. Ne pas se fier aux conseils de proches ou de forums de discussion sur Internet, car les médicaments ne sont pas des produits de consommation courante : ceux qui conviennent à l’un peuvent être néfastes à un autre.

9. Prendre un avis auprès du médecin ou pharmacien en cas de doute sur les symptômes ou le produit choisi et, systématiquement de préférence, chez les personnes à risque (voir Savoir faire p.44).

10. Ne jamais acheter de médicaments sur Internet hors circuit sécurisé. En France, le site doit être adossé à une officine physique.

À savoir : les consommateurs d’alcool doivent être mis en garde contre les risques accrus de somnolence (avec les opiacés, les antihistaminiques), dommageable chez les conducteurs de véhicules, utilisateurs de machines et personnes âgées (risque de chute).

VIGILANCE FACE AU PACKAGING

Le conditionnement est un élément déterminant de la balance bénéfice/risque du médicament qui permet à la fois de protéger son contenu et le consommateur.

→ Favoriser les conditionnements sécurisés : plaquettes recouvertes d’un film résistant, ouvertures qui nécessitent de séparer les alvéoles, bouchons “sécurité”.

→ Éviter les tubes-vrac, les comprimés acidulés, fruités, pétillants, qui font penser à des bonbons. En présence d’enfants, éviter les comprimés orodispersibles, plus faciles à ingérer en quantité.

→ Attention aux gammes “ombrelles” : elles regroupent des médicaments aux conditionnements et noms commerciaux très proches, mais destinés à des indications ou publics divers, d’où les possibles confusions (Humex, Vicks…). Un bon réflexe est de noter sur la boîte l’indication et l’âge cible.

PARLER “DCI”

Habituer les consommateurs aux Dénominations communes internationales (DCI) est l’un des moyens les plus efficaces pour éviter les confusions et leur permettre de s’y retrouver dans la jungle des spécialités. En effet, une femme enceinte qui sait ne pas devoir prendre d’ibuprofène est plus avertie que celle qui sait ne pas pouvoir prendre d’Advil…

LE DP, OUTIL “SÉCURITÉ”

Si le patient y consent, le dossier pharmaceutique (DP) peut et doit être alimenté lors de la délivrance d’un médicament hors prescription, comme pour tout autre médicament.

→ Il donne accès à l’historique du patient depuis quatre mois dans toutes les pharmacies, y compris hospitalières, et fait ainsi le lien entre différents lieux de délivrance.

→ Il renseigne sur les noms exacts et dosages des produits délivrés.

→ Il est individuel, gratuit, et seuls les patients décident des professionnels qui y ont accès.

Question de patient

J’achète parfois du Doliprane, que je préfère effervescent, mais le pharmacien tient à me délivrer des comprimés à avaler : pourquoi ?

Les comprimés effervescents contiennent une quantité de sodium importante et ne sont donc pas indiqués chez les patients hypertendus qui suivent un régime sans sel.

Point de vue…

« L’autonomie des usagers est un mirage »

Sylvie Fainzang*, anthropologue, directrice de recherche à l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale)

« La pratique de l’automédication est de plus en plus préconisée par les pouvoirs publics, certains professionnels de santé et l’industrie pharmaceutique. Tous s’appuient sur la valeur forte de l’autonomie, qui devrait impliquer une capacité de réflexion, d’esprit critique et de décision individuelle. Or, si l’on observe la façon dont les autorités sanitaires présentent l’automédication, il n’y a pas de réelle information quant au médicament, mais une incitation à se référer aux conseils du médecin ou du pharmacien. Finalement, l’usager reste dépendant : on lui fait miroiter une autonomie sans lui en donner les moyens. La réflexion doit continuer sur la façon de mener à bien cette information. Les infirmiers libéraux, s’ils ne peuvent se substituer au pharmacien quant au “savoir pharmaceutique”, peuvent contribuer à informer sur le comportement d’automédication. »

* Sylvie Fainzang est l’auteure de l’ouvrage L’Automédication ou Les Mirages de l’autonomie, éditions Presses Universitaires de France, 13 juin 2012, prix conseillé 20 euros TTC.

Des outils mémo

→ Pour les patients

Dans le cadre du libre accès, des outils ont été élaborés pour sensibiliser le grand public aux règles de l’automédication. Le dépliant Médication officinale, tout ce que vous devez savoir peut être consulté et téléchargé sur le site ansm.sante.fr ou demandé à la pharmacie.

→ Pour votre cabinet

Élaborée par l’URPS des Médecins libéraux d’Aquitaine, la charte de l’automédication en rappelle les grands principes, le rôle des professionnels de santé, et propose une pharmacie familiale de base. Elle peut être affichée dans les cabinets médicaux et paramédicaux. Téléchargement en suivant ce petit lien (http://petitlien.fr/6lec) vers le site de l’URPS Infirmiers libéraux Aquitaine.