Les bactéries résistantes aux antibiotiques - L'Infirmière Libérale Magazine n° 358 du 01/05/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 358 du 01/05/2019

 

CAHIER DE FORMATION

Savoir

La résistance des bactéries aux antibiotiques est un phénomène naturel amplifié par l’utilisation massive de ces traitements. L’apparition des bactéries multi- ou hautement résistantes marque une étape vers une impasse thérapeutique vis-à-vis des maladies infectieuses. Les bactéries les plus à risque d’une large diffusion dans la population générale font l’objet de programmes sanitaires et concernent de plus en plus la médecine de ville.

LE PHÉNOMÈNE DE RÉSISTANCE AUX ANTIBIOTIQUES

Le contexte

Les bactéries résistantes aux antibiotiques ne sont pas confinées dans les hôpitaux. Ainsi, une instruction de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) en 2014(1) soulignait que « la diffusion des souches d’Escherichia coli porteuses d’une bêtalactamase à spectre étendu [BLSE, résistante à de nombreux antibiotiques] dans la population générale est aujourd’hui un risque avéré ». Publiée la même année, une étude menée dans vingt-cinq crèches collectives des Alpes-Maritimes(2) montrait que « le portage [de bactéries productrices de BLSE] n’épargne pas les jeunes enfants fréquentant les crèches, lesquels constituent un réservoir potentiel de ces souches ». Chez ces enfants, les taux de prévalence étaient de 11,2 % pour les entérobactéries résistantes aux céphalosporines de troisième génération et de 6,7 % pour les entérobactéries productrices de BLSE. Plus largement, « la résistance aux antibiotiques atteint désormais des niveaux dangereusement élevés dans toutes les régions du monde », alertait l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2018(3). Elle « est devenue l’une des plus graves menaces des temps modernes pour la santé mondiale », estimait le docteur Keiji Fukuda, sous-directeur général de l’OMS pour la sécurité sanitaire(4).

Le risque d’une ère postantibiotique

L’enjeu de l’antibiorésistance des bactéries n’est ni plus ni moins que la perte d’efficacité des antibiotiques, considérés comme l’un des plus grands progrès médicaux du XXe siècle. « Si nous ne prenons pas des mesures d’urgence, nous entrerons bientôt dans une ère postantibiotique, dans laquelle des infections courantes et des petites blessures seront à nouveau mortelles », prévient le docteur Keiji Fukuda de l’OMS(4). À l’heure où la mise sur le marché de nouveaux antibiotiques se fait très rare, l’expansion des résistances bactériennes entraîne(3) :

→ des traitements plus difficiles pour un nombre croissant d’infections, comme la pneumonie, la tuberculose, la gonorrhée ou la salmonellose ;

→ des hospitalisations prolongées ;

→ des dépenses médicales augmentées ;

→ une mortalité en hausse.

En France, chaque année, les infections liées à une bactérie résistante concernent 124 806 patients et sont à l’origine de 5 543 décès(5). En 2015, le surcoût hospitalier lié à l’antibiorésistance était estimé à 287 millions d’euros(6).

L’ANTIBIORÉSISTANCE DES BACTÉRIES

Un phénomène naturel inné ou acquis

La résistance de certaines bactéries à l’action des antibiotiques, l’antibiorésistance, est un phénomène naturel observé rapidement après la découverte de l’action antibiotique de la pénicilline par Alexander Fleming en 1928 (voir le schéma ci-contre). Cette résistance peut être présente :

→ d’emblée chez des bactéries disposant naturellement de mécanismes de résistance qui les rendent insensibles à un ou plusieurs antibiotiques ;

→ par acquisition, lorsqu’une espèce bactérienne jusqu’alors sensible à un antibiotique développe des mécanismes de défense envers cet antibiotique, dus à la survenue de mutations génétiques, des « erreurs », intervenant lors de la multiplication très rapide des bactéries.

Deux modes d’acquisition d’une résistance

Une bactérie peut devenir résistante à un ou plusieurs antibiotiques :

→ par mutation génétique affectant le chromosome de la bactérie pendant la division cellulaire (transmission verticale). Dans ce cas, le gène de la résistance est transmis de la cellule mère à la cellule fille lors de la multiplication des bactéries. Il n’y a pas de transmission aux bactéries présentes à proximité ;

→ par échange de matériel génétique (plasmide, transposon) entre bactéries, qui peuvent être d’espèces différentes (transmission horizontale). Autrement dit, une résistance développée chez une espèce bactérienne peut être transmise à d’autres espèces, ce qui contribue à l’expansion et à la diffusion du mécanisme de résistance. Ces résistances dites « plasmidiques » sont beaucoup plus nombreuses que les résistances acquises par mutation génétique, et représenteraient 80 % de l’ensemble des résistances acquises(7).

La sélection par les antibiotiques

La pression de sélection

Si l’antibiorésistance des bactéries est un phénomène naturel, l’expansion de ces résistances est accentuée par l’utilisation des antibiotiques. La pression de sélection signifie que l’administration d’un antibiotique élimine les bactéries qui sont sensibles à son action et favorise le développement des bactéries qui lui sont résistantes. Or si cette pression s’exerce sur les bactéries visées par le traitement au sein du foyer infectieux, elle s’exerce également sur l’ensemble des bactéries présentes dans les flores commensales de l’organisme (intestinale, rhino-pharyngée et cutanée), sachant que tous les antibiotiques exercent une pression de sélection au-delà des bactéries ciblées, y compris les antibiotiques à spectre étroit actifs sur peu d’espèces bactériennes. En pratique, la sélection des bactéries résistantes est aggravée :

→ par l’utilisation massive et répétée des antibiotiques, à bon ou mauvais escient, en santé humaine et animale, sachant que les bactéries résistantes chez les animaux peuvent se transmettre à l’homme directement ou via la chaîne alimentaire ;

→ par la mauvaise utilisation des antibiotiques lors de traitements trop courts, trop longs ou à posologies inadaptées.

Dans un second temps, existe le risque que ces bactéries multirésistantes deviennent elles-mêmes pathogènes (opportunistes) ou qu’elles transfèrent leurs résistances à d’autres espèces pathogènes (lire l’encadré p. 34).

Des sélections successives

Lorsque, par mutation génétique, une souche bactérienne devient résistante à une classe d’antibiotiques et qu’un nouvel antibiotique est utilisé, cette souche bactérienne peut alors développer une nouvelle résistance vis-à-vis de ce traitement, et ainsi de suite. Les pénicillinases par exemple, enzymes produites par certaines bactéries capables d’inhiber l’action de certains antibiotiques du groupe des pénicillines, sont apparues après l’introduction de la pénicilline dans les thérapeutiques. Par la suite, la découverte et l’utilisation des céphalosporines, antibiotiques de la famille des bêtalactamines, ont provoqué une nouvelle pression de sélection qui a favorisé la production de bêtalactamase à spectre étendu (BLSE) chez certaines bactéries, une enzyme qui les rend résistantes aux antibiotiques de la famille des bêtalactamines. S’ensuit une utilisation accrue des antibiotiques carbapénèmes pour traiter ces bactéries devenues résistantes aux bêtalactamines, utilisation qui entraîne à son tour la sélection de bactéries ayant développé des mécanismes de résistance aux carbapénèmes. À ce stade, les options thérapeutiques deviennent rares, voire inexistantes. C’est par exemple le cas pour les entérobactéries productrices de carbapénèmases, considérées comme des bactéries « hautement » résistantes.

LES BACTÉRIES RÉSISTANTES AUX ANTIBIOTIQUES

BMR et BHRe

Les bactéries résistantes aux antibiotiques faisant l’objet de programmes sanitaires sont réparties en deux catégories :

→ les bactéries multirésistantes à plusieurs familles d’antibiotiques, qui ne sont plus sensibles qu’à un petit nombre d’antibiotiques disponibles en thérapeutique (BMR) ;

→ les bactéries hautement résistantes émergentes (BHRe), qualifiées de « hautement résistantes » car elles sont résistantes à davantage d’antibiotiques que les BMR, et d’« émergentes » car elles ne concernent jusqu’à présent que des cas sporadiques ou des groupes de personnes limités.

Des objectifs sanitaires pragmatiques

Les bactéries antibiorésistantes faisant l’objet de programmes de prévention sont répertoriées en fonction de choix rationnels. Seules sont concernées des espèces commensales, naturellement présentes chez l’homme, car elles présentent un risque de diffusion importante dans la population :

→ certaines bactéries hautement pathogènes, agressives et responsables de maladies contagieuses comme le bacille de la tuberculose, le gonocoque ou le méningocoque, ne sont pas concernées, bien qu’il existe des bactéries résistantes dans ces espèces, car elles ne présentent pas un risque de diffusion importante ;

→ d’autres espèces bactériennes comme Acinetobacter baumannii ou Pseudomonas aeruginosa, répertoriées parmi les BMR car il existe des souches résistantes à de nombreux antibiotiques, ne sont pas visées par un objectif sanitaire global car ce sont des bactéries saprophytes et non commensales. En revanche, une épidémie à ces bactéries peut donner lieu à une prise en charge spécifique à un moment donné dans un service hospitalier particulier.

Des critères rationnels

Les bactéries résistantes, BMR ou BHRe, devant faire l’objet d’un objectif sanitaire global sont des bactéries :

→ commensales normalement présentes dans l’organisme et donc facilement transmissibles d’homme à homme lors des soins ;

→ responsables de nombreuses infections humaines dans leurs formes sensibles aux antibiotiques : des espèces dites « opportunistes », retrouvées dans les infections nosocomiales causées par exemple par le port de cathéter, les injections ou les interventions chirurgicales. Ce qui est particulièrement le cas pour Escherichia coli et Staphylococcus aureus (voir ci-dessus) ;

→ devenues résistantes à de nombreux antibiotiques par modification génétique, ce qui complique le traitement en cas d’infection ;

→ pour lesquelles il s’agit d’éviter l’impasse thérapeutique ;

→ dont il est possible de bloquer la transmission d’homme à homme par des mesures d’hygiène ;

→ dont il est possible d’éviter la fuite de l’hôpital vers la ville.

LES BACTÉRIES MULTIRÉSISTANTES (BMR)

Les BMR commensales

Les BMR commensales ont rapidement fait l’objet de programmes nationaux ou locaux de lutte contre les infections nosocomiales, à cause :

→ de leur fréquence ;

→ de leurs conséquences en termes de morbidité et de mortalité en cas d’infection ;

→ du risque de diffusion communautaire de leur résistance aux antibiotiques.

Staphylococcus aureus résistant à la méticilline (SARM)

À l’origine de multiples infections

Le Staphylococcus aureus ou staphylocoque doré est considéré comme faisant naturellement partie de la flore bactérienne de la peau et des muqueuses. La bactérie, dont 30 à 50 % de la population sont porteurs sains(8), peut aussi être pathogène pour l’homme et à l’origine de multiples infections, comme des lésions cutanées de type furoncle, panaris, impétigo et autres, mais aussi une endocardite, une pneumonie aiguë, une ostéomyélite ou une septicémie. Les infections entraînant des pathologies surviennent à l’occasion de ruptures de la barrière cutanée (blessures), d’interventions chirurgicales ou lors de l’affaiblissement des défenses immunitaires dû à des maladies ou des traitements.

Les SARM sont les souches les plus dangereuses, d’autant que l’appellation SARM ne qualifie pas exactement ces bactéries, également résistantes à d’autres antibiotiques que la méticilline.

Dépistage

En établissement de santé, le dépistage du SARM(9) est préconisé dès l’admission dans tous les secteurs d’hospitalisation (réanimation, médecine-chirurgie-obstétrique [MCO], soins de suite et de réadaptation [SSR]…), à certaines conditions spécifiques à chaque secteur. Par exemple, en réanimation, le SARM sera dépisté :

→ chez les patients à haut risque d’infection (patients dialysés chroniques, porteurs de cathéter central de longue durée, greffés hépatiques…) ;

→ chez tous les patients en cas d’épidémie de SARM récente ou présente (mais pas dans les secteurs à faible fréquence de SARM en l’absence de situation épidémique).

Entérobactéries produisant des bêtalactamases à spectre étendu (EBLSE)

Sont en particulier visées Escherichia coli et Klebsiella pneumoniae.

Escherichia coli

Escherichia coli, aussi appelée E. coli ou colibacille, est une bactérie commensale de l’intestin mais pathogène lorsqu’elle est localisée hors de l’intestin. E. coli peut alors être responsable de méningites, abcès, péritonites, septicémies et surtout d’infections urinaires. E. coli et Staphylococcus sont au premier rang des germes responsables d’infections nosocomiales(8).

Klebsiella pneumoniae

K. pneumoniae est commensale de l’intestin et des voies aériennes supérieures chez l’homme. En plus d’une multirésistance aux antibiotiques, certaines souches résistent aussi aux carbapénèmes, qui sont les antibiotiques les plus puissants. Certaines K. pneumoniae sont à l’origine d’infections nosocomiales des voies respiratoires et urinaires, d’autres sont responsables d’infections communautaires provoquant des abcès au foie, des septicémies et des pneumonies sévères pouvant entraîner la mort.

Dépistage des EBLSE

En réanimation, MCO et SSR, en situation d’épidémie récente ou installée, le dépistage est recommandé dès l’admission chez tous les patients(9).

Les BMR saprophytes

Acinetobacter baumannii multirésistant aux antibiotiques (ABRI)

Acinetobacter baumannii peut être présent sur la peau ou les muqueuses sans être pathogène. En revanche, chez les patients fragilisés, la bactérie, souvent résistante à de nombreux antibiotiques (les souches ABRI), peut être responsable d’infections parfois sévères, voire létales : infections pulmonaires, septicémies, infections de plaies ou de brûlures… Le dépistage d’ABRI est recommandé à l’admission en réanimation et en MCO pour les patients à risque de portage (originaires de pays en situation épidémique ou endémique) et pour tous les patients en situation d’épidémie récente ou installée dans le service.

Pseudomonas aeruginosa multirésistant aux antibiotiques (PA)

Le Pseudomonas aeruginosa, aussi appelé bacille pyocyanique, est une bactérie saprophyte des sols et des eaux, très répandue dans la nature. Elle est aussi présente à l’état commensal dans les téguments et l’intestin chez l’homme. Longtemps considéré comme uniquement responsable de suppurations cutanées (surinfection de plaies, blessures, brûlures, escarres), le Pseudomonas aeruginosa peut aussi être à l’origine d’infections pulmonaires, notamment chez les personnes atteintes de mucoviscidose, d’infections urinaires, de méningites ou encore de septicémies, particulièrement dans les services de soins intensifs. Le dépistage de Pseudomonas aeruginosa est recommandé à l’admission en réanimation en situation d’épidémie récente ou installée.

LES BACTÉRIES HAUTEMENT RÉSISTANTES ÉMERGENTES (BHRE)

Définition

Les BHRe sont des bactéries multirésistantes qualifiées de :

→ « hautement résistantes », car elles résistent à davantage d’antibiotiques que les BMR ;

→ « émergentes », car elles ne concernent jusqu’à présent que des cas sporadiques ou des groupes de personnes limités.

Les BHRe sont par ailleurs des bactéries :

→ commensales du tube digestif, donc à fort potentiel de diffusion, tant à l’hôpital qu’en ville ;

→ dont les mécanismes de résistance sont transférables à d’autres espèces de bactéries.

Concernant le risque de transmission d’une résistance à une autre espèce bactérienne, le Pr Vincent Jarlier, ex-chef du laboratoire de bactériologie-hygiène des hôpitaux universitaires Pitié-Salpêtrière, à Paris, donne l’exemple de « la découverte, aux États-Unis, de souches de SARM qui avaient intégré le gène de résistance à la vancomycine des entérocoques [en 1997]. Ce qui a généré une grande inquiétude car il n’y avait plus de médicaments efficaces pour traiter les infections à cette souche de staphylocoque doré, devenu “hautement” résistant ». À savoir que la vancomycine est un antibiotique de la famille des glycopeptides qui sont les médicaments de référence dans le traitement des infections à SARM.

Les BHRe répertoriées en France

Actuellement, en France, deux souches de bactéries correspondent à la définition des BHRe : les entérobactéries productrices de carbapénèmases (EPC) et les Enterococcus faecium résistants aux glycopeptides (ERG).

Les entérobactéries productrices de carbapénèmases (EPC)

Les entérobactéries sont des bactéries commensales de l’intestin qui peuvent aussi être responsables de graves infections. Klebsiella pneumoniae et Escherichia coli sont les espèces le plus fréquemment retrouvées dans les infections nosocomiales impliquant des EPC en France(10). Les EPC sont principalement responsables d’infections urinaires, de bactériémies et de pneumopathies. Certaines souches d’entérobactéries produisent des carbapénèmases, enzymes qui inactivent les antibiotiques de la famille des carbapénèmes. Ce qui limite fortement les options thérapeutiques en cas d’infection, car les carbapénèmes sont la dernière génération des antibiotiques de la classe des bêtalactamines : d’où la qualification de bactérie hautement résistante émergente, car le nombre moyen de cas par épisode impliquant des EPC est compris entre 3,5 et 14 pour la période 2011-2016(11).

Les Enterococcus faecium résistants aux glycopeptides (ERG)

Les entérocoques sont des bactéries normales de la flore intestinale. Parmi plus de dix-sept espèces existantes, ce sont les Enterococcus faecalis et les Enterococcus faecium qui sont le plus souvent responsables des infections chez l’homme. Au cours des dernières décennies, des souches d’Enterococcus faecium ont développé de nouveaux facteurs de résistance aux glycopeptides. Ces ERG sont responsables d’infections nosocomiales des voies urinaires, des plaies et des tissus mous. La vancomycine étant un antibiotique glycopeptide, les ERG sont parfois dénommés « entérocoques résistants à la vancomycine » ou ERV. En 2016, les 217 signalements d’épisodes impliquant des ERG concernaient 389 patients.

Le dépistage des BHRe

Les patients ciblés par le dépistage

→ Patients ayant eu une hospitalisation de plus de 24 heures à l’étranger dans les douze derniers mois.

→ Patients ayant été antérieurement identifiés comme porteurs de BHRe ou ayant été en contact avec un patient porteur de BHRe (« patients contact »). Un patient contact est un patient pris en charge par la même équipe soignante qu’un patient porteur d’une BHRe.

Modalités du dépistage des patients contact(12)

→ Pour un risque faible, c’est-à-dire lorsque le patient porteur de BHRe a bénéficié de « précautions complémentaires de type contact » (PCC) dès son admission, un dépistage hebdomadaire des patients contact est préconisé. Les PCC sont ajoutées aux précautions standard d’hygiène dans certains cas (voir la partie « Savoir faire » p. 41).

→ Pour un risque moyen, si le patient porteur a été identifié en cours d’hospitalisation alors que les PCC n’étaient pas appliquées, les patients contact doivent être mis en PCC et dépistés, y compris ceux déjà transférés dans un autre service ou établissement s’ils ont été exposés au patient porteur. Les transferts vers un autre service ou un autre établissement sont limités aux transferts inévitables pour la prise en charge du patient, tant que l’éventualité d’une transmission n’a pas été écartée par trois dépistages négatifs à une semaine d’intervalle. En cas de transfert, le patient doit être isolé dans l’unité d’accueil et dépisté. Sachant qu’un service ou un établissement ne peut refuser de recevoir un tel patient, car cela équivaudrait à une « perte de chance » (de bénéficier de soins adaptés) pour ce patient.

→ Pour un risque élevé, lorsqu’un ou plusieurs cas de transmission ont été identifiés parmi les patients contact, le dépistage de tous les patients contact est maintenu tout au long de leur hospitalisation. Les transferts sont déconseillés sauf nécessité impérative.

LUTTE CONTRE L’ANTIBIORÉSISTANCE

Un plan d’action mondial a été élaboré en 2015 pour préserver l’efficacité des antibiotiques et lutter contre le développement des résistances bactériennes(13). Outre une augmentation des « investissements dans la mise au point de nouveaux médicaments, outils diagnostiques, vaccins et autres interventions » et une meilleure connaissance de la problématique par les professionnels de santé, le plan préconise :

→ une optimisation de l’usage des agents antimicrobiens, et donc des antibiotiques ;

→ la réduction de l’incidence des infections grâce à des mesures d’assainissement, d’hygiène et de prévention des infections.

Optimiser l’usage des antibiotiques

La France se situe parmi les premiers utilisateurs mondiaux d’antibiotiques, dont la consommation, après avoir baissé dans les années 2000, est aujourd’hui repartie à la hausse, en particulier en ville. Plusieurs pistes sont envisagées pour réduire et mieux cibler la consommation d’antibiotiques(7) :

→ distinguer les infections virales des infections bactériennes grâce notamment aux tests de dépistage rapide, sous-utilisés en France, à l’exemple des tests de diagnostic rapide de l’angine mis gratuitement à la disposition des médecins libéraux généralistes, pédiatres et oto-rhino-laryngologistes par l’Assurance maladie ;

→ choisir un antibiotique pertinent en évitant l’utilisation systématique d’antibiotiques précieux, récents ou à large spectre, lorsque d’autres, plus courants ou à spectre plus étroit, sont aussi efficaces ;

→ adapter la cure aux besoins, par exemple en limitant la durée des traitements au strict nécessaire et en réévaluant l’intérêt d’une antibiothérapie probabiliste dans les 48-72 heures.

Des précautions d’hygiène

Les précautions d’hygiène appliquées lors des soins concernent en premier lieu les infirmières (voir la partie « Savoir faire » p. 39). Elles visent à prévenir la transmission de bactéries de patient à patient ou de l’environnement à un patient (transmission croisée) et à minimiser le risque de leur diffusion.

LE RETOUR À DOMICILE

« Il est important et indispensable que l’information sur le statut infectieux du patient, y compris la notion de portage de BMR et BHRe, soit partagée par tous les acteurs de soins », soulignent les recommandations de la SF2H(14). L’information préalable des professionnels intervenant au domicile devrait stipuler, entre autres, la nature de la BHRe, les précautions d’hygiène préconisées, les adresses utiles (équipe opérationnelle d’hygiène de l’hôpital de proximité, service d’hygiène le plus proche…).

(1) Instruction DGOS du 14 janvier 2014 relative aux recommandations pour la prévention de la transmission croisée des BHRe.

(2) Pascale Bruno, Brigitte Dunais, Véronique Blanc, Charlotte Sakarovitch, Pia Touboul, Magali Anastay et al., « Portage digestif d’entérobactéries résistantes aux céphalosporines de 3e génération et productrices de BLSE chez les enfants fréquentant les crèches collectives des Alpes-Maritimes en 2012 », Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH). 2014 ; (24-25) : 416-421 (consulter le lien bit.ly/2Pi516d).

(3) OMS, « Résistance aux antibiotiques », février 2018 (consulter le lien bit.ly/2I6ATtI).

(4) Keiji Fukuda,« Le monde risque de sombrer dans une ère post-antibiotiques : le moment est venu de prendre des mesures énergiques », mai 2015 (consulter le lien bit.ly/2FRhZ6A).

(5) Ministère des Solidarités et de la Santé, « L’antibiorésistance : pourquoi est-ce si grave ? », juin 2018 (consulter le lien bit.ly/2QlsWos).

(6) Selon une étude présentée aux journées Emois (Évaluation, management, organisation, information, santé), les 14 et 15 mars à Nancy.

(7) Inserm, « Résistance aux antibiotiques. Un phénomène massif et préoccupant », mars 2018 (consulter le lien bit.ly/2QLu4hA).

(8) Institut Pasteur, « Staphylocoque », juin 2016 (consulter le lien bit.ly/2Khh8lh).

(9) Société française d’hygiène hospitalière (SF2H), consensus formalisé d’experts, « Prévention de la transmission croisée : précautions complémentaires contact », avril 2009.

(10) Valérie Pontiès, Yann Savitch, Sophan Soing-Altrach, Mélanie Colomb-Cotinat, Hervé Blanchard, Claude Bernet et al., « Surveillance des EPC en France : bilan 2004-2016 », Santé publique France, Paris, 2017.

(11) Valérie Pontiès, Mélanie Colomb-Cotinat, Sophan Soing-Altrach, Hervé Blanchard, Claude Bernet, Loïc Simon et al., « Signalements des infections nosocomiales à entérocoques (Enterococcus faecium) résistants aux glycopeptides, France, 2012-2016 », Santé publique France, Paris, 2017.

(12) Haut Conseil de la santé publique, recommandations nationales, « Prévention de la transmission croisée des bactéries hautement résistantes aux antibiotiques émergentes », juillet 2013.

(13) OMS, « Plan d’action mondial pour combattre la résistance aux antimicrobiens », 2016 (consulter le lien bit.ly/2uTzTRp).

(14) Société française d’hygiène hospitalière (SF2H), « Bonnes pratiques essentielles en hygiène à l’usage des professionnels de santé en soins de ville », novembre 2015.

Surconsommation d’antibiotiques et risque d’impasse thérapeutique

Lorsqu’une souche bactérienne devient résistante à une classe d’antibiotique et qu’une nouvelle molécule est utilisée, une souche de la même espèce bactérienne peut développer une nouvelle résistance à ce nouveau traitement, et ainsi de suite…

L’antibiorésistance : un phénomène naturel

Dès 1929, Alexander Fleming montre la résistance naturelle de certaines bactéries à la pénicilline. Si certaines bactéries (en vert) refusent de s’approcher de la source de pénicilline, ce n’est pas le cas d’Escherichia coli ni d’Haemophilus influenzae.

Bactéries pathogènes strictes ou opportunistes

→ Les bactéries commensales sont normalement présentes à la surface de la peau et des muqueuses (voies aériennes supérieures, tube digestif et cavité vaginale). Elles n’entraînent généralement pas d’infection mais peuvent devenir pathogènes (opportunistes) en cas d’altération des défenses immunitaires ou de déplacement vers un site inhabituel, par un geste invasif ou une blessure, par exemple.

→ Les bactéries saprophytes vivent aux dépens de l’organisme, au niveau de la peau, du tube digestif ou de la flore vaginale, en se nourrissant des déchets générés par celui-ci. Habituellement inoffensives pour l’homme, les bactéries saprophytes peuvent aussi devenir pathogènes (opportunistes) en cas d’immunodépression.

→ Les bactéries pathogènes sont de deux types :

• les bactéries pathogènes strictes, ou spécifiques : elles sont toujours responsables de maladies, sauf dans le cas des porteurs sains. Par exemple, 90 % des personnes infectées par le bacille de Koch (Mycobacterium tuberculosis), responsable de la tuberculose, ne développent pas la maladie ; alors que chez 5 à 10 % des personnes infectées, la tuberculose devient active, symptomatique et contagieuse, notamment en cas de système immunitaire affaibli (VIH, malnutrition, diabète…) ;

• les bactéries opportunistes : ce sont des bactéries habituellement inoffensives qui deviennent pathogènes lorsque les défenses de l’hôte sont affaiblies ; par exemple en cas de rupture de la barrière cutanéomuqueuse, de baisse de l’immunité (médicaments immunodépresseurs, certaines maladies chroniques…) ou d’antibiothérapie entraînant leur sélection et leur prolifération. Les bactéries opportunistes sont souvent des bactéries commensales (Escherichia coli, Staphylococcus epidermidis…), parfois des bactéries saprophytes (Pseudomonas aeruginosa…).

Un besoin urgent de nouveaux antibiotiques

La liste des « bactéries les plus menaçantes pour la santé humaine », publiée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2017, distingue trois groupes de bactéries pour lesquels l’urgence du besoin de nouveaux antibiotiques est jugée critique, élevée ou moyenne :

• urgence critique pour Acinetobacter baumannii, Pseudomonas aeruginosa et les Enterobacteriaceae (dont Klebsiella, E. coli, Serratia et Proteus) ;

• urgence élevée pour Enterococcus faecium, Staphylococcus aureus, Helicobacter pylori, Campylobacter spp.*, Salmonellae, Neisseria gonorrhoeae ;

• urgence moyenne pour Streptococcus pneumoniae, Haemophilus influenzae, Shigella spp.

* spp. : species plurimae (« plusieurs espèces »).

Méthodes de dépistage

Classiquement, la recherche de BMR ou de BHRe se fait au niveau de leur site habituel (intestin, zone oropharyngée…). Toutefois, ces bactéries peuvent être dépistées autrement en fonction des situations médicales. Ainsi, en 2018, 72 % des signalements d’entérobactéries productrices de carbapénèmases (EPC) faisaient suite à un prélèvement rectal, 3 % à une hémoculture*.

→ Écouvillon nasal

Le prélèvement, ou écouvillon nasal, est réalisé pour le dépistage du SARM. Il consiste à réaliser un écouvillonnage des fosses nasales antérieures des deux narines avec un même écouvillon humidifié au sérum physiologique ou à l’eau stérile, et à prélever en effectuant cinq rotations complètes de l’écouvillon à une profondeur de 1 à 2 cm.

Remarque : chez un patient porteur d’une plaie chronique, un écouvillonnage effectué au milieu de la plaie et avant le nettoyage de celle-ci est associé à l’écouvillonnage nasal.

→ Écouvillon rectal

Le recueil d’un échantillon de selles ou, à défaut, l’écouvillonnage rectal, est réalisé pour le dépistage de EBLSE, de Pseudomonas aeruginosa, d’Acinetobacter baumannii, ainsi que des EPC et des ERG (qui sont des BHRe).

→ Prélèvement de gorge ou aspiration trachéale

Le dépistage de Pseudomonas aeruginosa et d’Acinetobacter baumannii se fait par prélèvement de gorge ou par aspiration trachéale si le patient est porteur d’un dispositif intratrachéal.

* Santé publique France, La Lettre du signalement, février 2019.

Point de vue du spécialiste

« Pas de mesure d’hygiène spécifique en ville »

Pr Vincent Jarlier, ex-chef du laboratoire de bactériologie-hygiène des hôpitaux universitaires Pitié-Salpêtrière, à Paris

« La question d’instaurer des mesures spécifiques contre la diffusion des bactéries résistantes aux antibiotiques en ville a été largement débattue, mais il a paru inenvisageable d’empêcher la vie communautaire en érigeant des règles intenables. Ce sont les limites de l’exercice. À l’hôpital, les occasions de transmission étant extraordinairement nombreuses, les programmes sanitaires reposent sur l’idée que moins il y aura de transmissions chez les patients à l’hôpital, moins il y aura de patients qui sortiront en ville porteurs d’une bactérie résistante. Avec, en second plan, la perspective d’une dilution des souches résistantes dans le temps, ce qui n’est pas tout à fait vrai, car des patients porteurs de BMR ou BHRe arrivent à l’hôpital alors qu’ils n’ont pas connu d’hospitalisation récente. »