Quand les syndicats diversifient leurs actions - L'Infirmière Libérale Magazine n° 353 du 01/12/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 353 du 01/12/2018

 

TRANSPARENCE

SUR LE TERRAIN

ENQUÊTE

Sandra Mignot*   Frédéric Deligne**  

Formation, aide à la comptabilité ou à la cotation, accompagnement juridique… Les syndicats infirmiers développent une vaste gamme de services à destination des professionnels. Objectif commun : défendre la profession. Avec en toile de fond, une vision de l’action syndicale multiple.

Historiquement, nous avions besoin de faire passer des messages en lien avec les décrets ou conventions signés avec la Caisse nationale d’Assurance maladie (Cnam) ou le ministère de la Santé pour encadrer la profession, explique Laetitia Brouste, membre du conseil d’administration du Syndical national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil). Créer une activité formation était une nécessité pour diffuser les nouvelles compétences promues par ces textes et c’est la raison pour laquelle nous avons conçu l’Institut national de formation continue des infirmiers (INFCI). » Une initiative partagée par les quatre syndicats d’infirmiers libéraux - avec des formules diverses.

L’INFCI, où travaille Laetitia Brouste, est une association créée sous l’égide du Sniil en 1990. « Je suis tenue de concevoir notre action en lien avec les positions du syndicat, dont je suis par ailleurs administratrice, et nous partageons la même adresse. Mais le Sniil ne vit pas de nos recettes. Notre bilan financier est autonome et nous avons notre propre personnel », explique l’Idel.

La Fédération nationale des infirmiers (FNI) et l’Organisation nationale des syndicats d’infirmiers libéraux (Onsil) ont, pour leur part, créé des sociétés d’envergure différente. Fil Santé, gérée par Jean-Michel Elvira, l’actuel secrétaire général adjoint de l’Onsil, développe quelques thématiques chaque année, en fonction des expertises développées au sein du syndicat : nomenclature, visibilité sur Internet, iatrogénie médicamenteuse… Tandis que l’Afcopil (Agence pour la formation continue des professionnels infirmiers libéraux, créée par la FNI en 2010) a pu développer un chiffre d’affaires qui dépassait le million d’euros en 2014 et a constitué un vaste catalogue faisant appel à plusieurs intervenants formateurs.

Si Convergence Infirmière n’a pas, pour sa part, directement créé de service formation, deux de ses anciens présidents ont fondé, en 2003, Orion Santé, un organisme de formation. Marcel Affergan, directeur général de l’entreprise, demeure, en effet, président d’honneur du syndicat depuis 2011. Il a d’ailleurs représenté Convergence Infirmière et signé plusieurs avenants à la convention nationale destinée à organiser les rapports entre les infirmiers libéraux et l’Assurance maladie en 2008, 2011 et 2014. William Livingston, président d’Orion Santé, a, quant à lui, signé l’avenant de mars 2004 concernant notamment le financement et l’indemnisation de la formation continue conventionnelle, en tant que président du syndicat… Une situation peut-être un peu délicate au regard de l’éthique syndicale ? Les deux entrepreneurs n’ont pas souhaité répondre à nos questions.

Une plus-value pour les professionnels

Philippe Gras, l’un des formateurs, également vice-président de Convergence Infirmière, a bien voulu, lui, prendre la parole. « C’est vrai qu’il y a des liens entre Orion Santé et Convergence infirmière qui ne sont pas forcément affichés, explique-t-il. Pour autant, il n’y a pas de partenariat officiel, même si le syndicat se bat pour que les infirmières se forment. » L’Idel se défend de tout conflit d’intérêt : « Mes stagiaires ne savent pas de quel syndicat je suis membre, et quand, au syndicat, je réponds aux questions des adhérents, je ne fais pas de prosélytisme non plus. Et puis, Orion Santé est le plus gros organisme de formation, alors que Convergence est le plus petit syndicat… » La preuve que l’un ne bénéficie pas à l’autre ? Philippe Gras précise : « Je vous mets au défi de trouver un lien d’intérêt qui n’irait pas dans le sens de la défense de la profession. Seul l’intérêt de l’infirmière est au centre de nos préoccupations. »

En effet, l’intérêt de la profession est ce qui justifie, aux yeux des quatre syndicats, le développement de services annexes. « Pour mener à bien une politique syndicale ambitieuse, si nous voulons peser dans les débats, il nous faut des moyens », résume Philippe Tisserand, président de la FNI, qui se veut absolument transparent sur le fonctionnement de son syndicat. « Contrairement aux syndicats médicaux, qui bénéficient de fonds conventionnels versés par l’Assurance maladie, nous n’avons d’autres ressources que les cotisations de nos adhérents, poursuit-il. Nous avons donc décidé de développer des services annexes pour constituer des sources de financement accessoires. Mais bien sûr, il ne s’agit que de services apportant une réelle plus-value aux professionnels. »

Étant assimilés à des associations, les syndicats ne peuvent pas exercer d’activité lucrative mais ils bénéficient d’une certaine souplesse. « Dès l’instant où notre activité syndicale demeure prépondérante, nous pouvons créer une activité marchande », affirme Philippe Tisserand. La FNI a ainsi créé un service d’édition (qui publie notamment sa revue Avenir et Santé) et un service juridique (dont certains services sont payants) : « Nous avons une autorisation pour exercer le droit à titre accessoire. Cela nous permet d’accompagner, par exemple, l’élaboration de contrats, mais en échange, il nous faut recourir à des professionnels qualifiés et rémunérés comme tels. Alors, nous ne faisons pas réellement de bénéfice avec ces activités. »

Entre actions…

La galaxie des « services FNI » ne s’arrête pas là. Outre l’Afcopil, dont Philippe Tisserand est le gérant, le syndicat est aussi l’unique actionnaire d’au moins deux sociétés : Sphère Consulting Santé, société d’ingénierie de projets qui a notamment conçu une plate-forme de mise en relation patients sortant d’hospitalisation/infirmiers libéraux, et Santé Promotion Médias, régie publicitaire pour le magazine Avenir et Santé, le site et la newsletter du syndicat. « Nous pouvons mener avec ces structures des projets qu’un syndicat ne peut prendre en charge car il faut des compétences professionnelles spécifiques, poursuit le syndicaliste et chef d’entreprise. Mais il est vrai que ces activités nous permettent également de faire rayonner la FNI, de construire son aura et de constituer des leviers d’influence pour faire avancer nos idées. L’Afcopil nous a, par exemple, permis de faire avancer l’idée d’une charte qualité avec Qual’Idel. Or, la qualité, c’est également de la politique et un sujet majeur pour l’avenir de la profession. »

Viennent ensuite, pour la FNI, un ensemble de partenariats qui lui permettent de proposer à ses adhérents des services adaptés à la profession et à moindre coût, comme l’outil Vite ma compta, les mutuelles EOVI-Adrea ou encore Access Immo (un cabinet d’audit qui expertise l’accessibilité des cabinets infirmiers). Sur chaque contrat signé avec un infirmier libéral, une petite somme est reversée au syndicat. « Nous gérons les dossiers, et puis nous avons recherché les partenariats, négocié les tarifs et travaillé sur l’adéquation des contrats avec l’activité professionnelle des infirmiers libéraux. C’est du travail », justifie Philippe Tisserand.

… et bénéfices

L’ensemble des syndicats revendiquent, en effet, des actions de qualité portées par leur expertise et leur implication dans l’évolution de la profession, qu’on ne saurait leur dénier. « Au sein des syndicats, vous avez des cadres qui ont participé à des mois de négociations conventionnelles pour faire évoluer la nomenclature, observe Philippe Tisserand. Ils possèdent une expertise essentielle à transmettre, via la formation ou le conseil. » Et chacun de s’accorder sur un constat : la qualité de l’expertise a un coût. Le Sniil, comme l’Onsil ou la FNI affirment ne pas réaliser de bénéfices substantiels avec ces activités connexes. « Nous ne faisons pas de bénéfices avec Fil Santé, assure Élisabeth Maylié, présidente de l’Onsil, alors que les grosses centrales syndicales font de la formation pour faire tourner la machine. » Peut-être néanmoins, une façon de mettre du beurre dans les épinards, puisque les cadres des syndicats peuvent également être formateurs ? de contribuer à diffuser les idées portées par le syndicat ? de diffuser encore et toujours les bonnes pratiques et les compétences attribuées par les textes ? Probablement un peu de tout cela. « C’est un environnement que nous avons créé. Nous, nous voulons un syndicat d’actions et de services, résume Philippe Tisserand. Le patrimoine créé avec ces entreprises mais également la possession de notre siège, c’est la propriété de la profession pas celle des élus, générée par soixante-dix ans d’action syndicale avec notre ligne politique, le respect des règles de droit, des alternances politiques, etc. »

Du côté de l’Onsil cependant, on voit les choses autrement. « La formation par exemple, ce n’est pas la fonction propre d’un syndicat, explique Élisabeth Maylié. Nous ne devons pas perdre de temps ni d’argent dans ce qui ne relève pas directement de la défense de la profession. » La syndicaliste estime que seuls le partage de valeurs fortes et l’engagement des adhérents font le poids d’un syndicat : « Les vrais adhérents, ce sont ceux qui reconnaissent notre action plutôt que ceux qui viennent pour bénéficier d’un service ou d’un avantage. » On trouve, en effet, parmi les « services » proposés par l’Association pour la promotion de l’exercice infirmier (APEI, créée par le Sniil) à ses adhérents, outre une assurance responsabilité professionnelle, un virement de 50 euros pour la souscription d’un compte bancaire ou des tarifs réduits hôteliers… Une diversification qui semble bien s’éloigner de la défense des intérêts de la profession.