Les traitements médicamenteux - L'Infirmière Libérale Magazine n° 353 du 01/12/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 353 du 01/12/2018

 

CAHIER DE FORMATION

SAVOIR FAIRE

Le traitement de la fibromyalgie repose sur une combinaison de traitements médicamenteux et non médicamenteux. L’infirmière peut reprendre avec le patient l’intérêt de ces thérapeutiques conjuguées, seules à même d’améliorer les symptômes et la qualité de vie des patients. L’objectif étant de soutenir l’adhésion des patients à leur prise en charge malgré les difficultés.

Aucun médicament n’a l’indication fibromyalgie dans son autorisation de mise sur le marché (AMM), toutes les demandes ayant reçu un avis négatif. Les classes thérapeutiques les plus prescrites sont les antalgiques et les antidépresseurs, les antiépileptiques et les anxiolytiques-hypnotiques. Leur efficacité reste parfois contestée, surtout sur le long terme. Le choix du traitement est discuté avec le patient en fonction des diverses options possibles et des bénéfices et risques de chacune, compte tenu de leur intolérance et de leurs effets indésirables.

LES ANTALGIQUES

Ils n’ont souvent qu’une efficacité modérée dans la fibromyalgie.

→ Le paracétamol n’est pas toujours efficace. Il doit être utilisé à la bonne posologie, c’est-à-dire 3 g par jour, et pris de façon régulière.

→ Le tramadol montre une efficacité au moins à court terme grâce à son activité opioïde et noradrénergique. Il en va de même de l’association tramadol-paracétamol (Ixprim, Zaldiar). Ces médicaments peuvent occasionner des effets indésirables :

→ tramadol : vertiges, céphalées, somnolence, nausées, vomissements, constipation, sécheresse de la bouche, sueurs, fatigue ;

→ association paracétamol-tramadol : effets indésirables du tramadol, mais aussi diarrhée, douleurs abdominales, dyspepsie, flatulences, somnolence, sensations vertigineuses, confusion, tremblements, modification de l’humeur, anxiété, euphorie, troubles du sommeil, prurit.

→ La morphine, souvent sans effet, n’est pas adaptée au traitement de la fibromyalgie.

LES PSYCHOTROPES

La prescription et l’utilisation des psychotropes dans la prise en charge de la douleur chronique sont fréquentes et restent proches de leur usage en psychiatrie. L’imagerie dynamique par le TEP scan montre les projections corticales de la douleur physique et de la souffrance morale voisines et juxtaposées dans une zone du cerveau (l’aire cingulaire antérieure). L’approche neurobiologique confirme l’implication de neuromédiateurs identiques dans la douleur et la dépression (voir encadré p. 24).

Les antidépresseurs

Une utilisation méconnue

Certains antidépresseurs qui ont l’indication pour les douleurs neuropathiques dans leur AMM sont utilisés pour soulager les douleurs de la fibromyalgie. C’est notamment le cas de certains antidépresseurs imipraminiques aussi appelés tricycliques (Laroxyl, Surmontil, Tofranil…). Dans le cadre de la fibromyalgie, les antidépresseurs sont utilisés pour leur action sur la douleur, les troubles du sommeil, la fatigue et les troubles de l’humeur, mais pas pour leur action antidépressive.

Des patients réticents

Les antidépresseurs sont encore souvent associés à la dépression et à un risque de dépendance par des patients qui ne comprennent pas la raison de cette prescription pour une fibromyalgie. « La prescription des antidépresseurs à petites doses pour leur effet antalgique dans le cadre de la douleur n’est pas toujours suffisamment expliquée aux patients qui, dans ce cas, ne prennent pas correctement leur traitement », remarque Carole Robert, présidente de l’association Fiibromyalgie France. Un phénomène également observé dans le traitement d’autres douleurs chroniques, et qui a amené les spécialistes du Cercle d’étude de la douleur en rhumatologie à recommander que « les patients traités par antidépresseurs à visée antalgique soient informés de la nature du traitement, du but de la prescription, des effets indésirables ainsi que du délai nécessaire pour obtenir l’effet antalgique » afin d’« améliorer l’adhésion au traitement » (voir encadré p. 40). « Il est important de bien expliquer que la prescription d’antidépresseurs est faite dans le cadre d’un traitement antalgique pour leur effet sur la douleur. De même qu’il est important d’avertir de la survenue possible des principaux effets indésirables, en précisant qu’ils ne sont pas systématiques et que la plupart seront transitoires et s’amélioreront avec la poursuite du traitement », souligne le Dr Dominique Perocheau, rhumatologue au Centre d’étude et de traitement de la douleur de l’hôpital Cochin (AP-HP).

Une prescription adaptée et expliquée

Les doses sont en général plus faibles que celles utilisées au cours de la dépression. La posologie débute généralement par un comprimé journalier au dosage le plus faible. Le délai d’action est plus rapide que dans le traitement de la dépression. Dans tous les cas, il peut être nécessaire d’essayer différents antidépresseurs pour trouver le traitement le plus efficace.

Exemples de médicaments

L’amitriptyline (Élavil, Laroxyl)

Cet antidépresseur tricyclique est employé depuis le début des années 1980.

→ Effets indésirables possibles : troubles atropiniques (sècheresses buccales, constipations, troubles urinaires, troubles de la vision, etc.), somnolences, céphalées, tremblements et divers troubles neurologiques, risque accru de comportements suicidaires, troubles digestifs, hypotensions orthostatiques (cause éventuelle de chutes), troubles sexuels, hyponatrémies, parfois hypoglycémies. Ils entraînent un allongement de l’intervalle QT qui expose à des troubles du rythme ventriculaire graves, notamment des torsades de pointe.

Les inhibiteurs spécifiques de la recapture de la sérotonine

La fluoxétine (Prozac) et le citalopram (Séropram) seraient plus actifs sur la fatigue, le sommeil, le bien-être, que sur la douleur. Leur efficacité dans la fibromyalgie est parfois contestée.

→ Effets indésirables : céphalées, nausées, diarrhée, constipation, sécheresse buccale, hypersudation, prise ou perte de poids, état fébrile, asthénie, anxiété, agitation, insomnie, cauchemars, troubles de la libido…

Les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline

La duloxétine (Cymbalta) aurait une efficacité sur les symptômes de la fibromyalgie et sur la sévérité de la douleur. Le milnacipran (Ixel) serait efficace sur la douleur, la fatigue, le bien-être, mais non sur les troubles du sommeil. La prise biquotidienne est plus efficace que la prise unique.

→ Effets indésirables : nausées, sécheresse de la bouche, constipation, diarrhée, vomissements, dyspepsie, flatulences, fatigue, douleurs abdominales, douleurs musculo-squelettiques, tension musculaire, spasmes musculaires, baisse de l’appétit, perte de poids, dysfonction érectile, palpitations, bouffées de chaleur.

La venlafaxine

Elle aurait des résultats similaires à ceux de la duloxétine.

→ Effets indésirables : nausées, somnolence, étourdissement, bouche sèche, insomnie, asthénie, sueur, troubles de l’éjaculation et de l’orgasme.

Les antiépileptiques

La gabapentine (Neurontin) et la prégabaline (Lyrica) sont indiquées dans le traitement des douleurs neuropathiques. Leur posologie doit débuter par un comprimé journalier au dosage le plus faible et être augmentée progressivement jusqu’à obtenir une dose efficace.

→ Effets indésirables : principalement neuropsychiques, troubles digestifs, prise de poids, œdèmes et atteintes hépatiques. La prégabaline peut parfois entraîner des effets indésirables oculaires (notamment du champ visuel), hématologiques, des insuffisances cardiaques et des réactions d’hypersensibilité.

→ Surveillance particulière en raison d’éventuelles idées suicidaires ou d’un risque de dépendance. Les anxiolytiques

Les anxiolytiques, en particulier les benzodiazépines, auraient une activité symptomatique sur les tensions musculaires et l’insomnie. Leur prescription doit être limitée dans le temps car ils peuvent induire des troubles de la mémoire et une dépendance.

Les hypnotiques

Le zopiclone (Imovane) ou le zolpidem (Stilnox) sont préférés pour les troubles du sommeil, surtout en cas d’insomnie aiguë. Ils sont utilisés selon les conditions prévues par leur AMM pour une durée la plus courte possible.

Les agonistes de la dopamine

Le pramipexole (Oprymea, Sifrol) indiqué dans la maladie de Parkinson est utilisé pour diminuer la douleur dans le syndrome fibromyalgique. Il faut respecter un certain délai pour que le produit montre son efficacité. La posologie efficace est évaluée par le médecin.

→ Effets indésirables : nausées, constipation, vomissements, vertiges, dyskinésie, somnolence, céphalées, troubles du contrôle des impulsions et des actes impulsifs (hyperphagie, achats compulsifs, hypersexualité, jeu pathologique), confusion, hallucinations, insomnie, altération de la vision (notamment diplopie, vue trouble et acuité visuelle diminuée), hypotension, fatigue, œdème périphérique, perte de poids, et diminution de l’appétit.

Les antagonistes du récepteur NMDA

Ils agissent sur les récepteurs NMDA (N-méthyl-D-aspartate), récepteurs au glutamate, présents dans la moelle, qui jouent un rôle dans la propagation de la douleur. La kétamine est un anesthésique qui a fait preuve d’efficacité, mais son administration peut être mal tolérée chez certaines personnes, en déclenchant en particulier des hallucinations. La kétamine s’administre souvent par voie veineuse en perfusion. L’utilisation d’anesthésiques (lidocaïne, kétamine) reste très limitée en raison du risque d’effets secondaires graves qui justifient une administration en milieu de réanimation.

Les modalités d’administration, de posologie et de rythme de délivrance sont encore en cours d’étude.

Antagonistes du récepteur de la sérotonine

L’ondansétron (Zophren), utilisé d’habitude contre les nausées et les vomissements, a montré une efficacité dans la fibromyalgie à faible dose.

→ Mécanisme d’action : ils permettent de bloquer les récepteurs de la sérotonine qui joue un rôle dans le dérèglement de la modulation de la douleur au cours de la fibromyalgie.

→ Effets indésirables : céphalées, bouffées de chaleur ou flush, constipation.

Les anti-inflammatoires non stéroïdiens

Ils n’ont pas d’effet antalgique démontré dans la fibromyalgie du fait de l’absence de phénomène inflammatoire. Ils ne sont donc pas indiqués dans la fibromyalgie.

Cas pratique

Le médecin de Mme K. lui a dit que ses douleurs diffuses étaient certainement dues à une fibromyalgie. Il lui a expliqué que, dans un premier temps, il lui prescrivait un traitement antalgique. Or, en récupérant ses médicaments à la pharmacie, elle s’est rendu compte qu’il lui a prescrit un antidépresseur. Elle sait que la fibromyalgie est considérée comme une maladie « un peu imaginaire » mais elle refuse de prendre un médicament pour modifier sa pensée. « Ces douleurs ne sont pas dans ma tête », ajoute-t-elle.

Vous commencez par la rassurer en lui disant que la reconnaissance de la fibromyalgie a beaucoup évolué. Vous lui expliquez que les antidépresseurs sont utilisés dans les douleurs chroniques pour leur action antalgique. D’ailleurs, les doses prescrites par son médecin ne sont pas celles utilisées pour traiter une dépression.

L’avis du spécialiste

« L’orientation vers un CETD est légitime »

Dr Dominique Perocheau, rhumatologue au Centre d’étude et de traitement de la douleur de l’hôpital Cochin (AP-HP)

Dans ses recommandations pour la prise en charge de la fibromyalgie publiées en 2016, l’European League against Rheumatism (Eular) préconise les thérapies non médicamenteuses en première intention et réserve les traitements médicamenteux pour les douleurs sévères et les troubles sévères du sommeil. Qu’en pensez-vous ?

→ « Dans la prise en charge de la fibromyalgie, la mise en place d’interventions non médicamenteuses visant à développer chez le patient des stratégies lui permettant de gérer ses symptômes à long terme doit être privilégiée. Toutefois, les prescriptions d’antalgiques simples, de palier 1 ou 2, restent le plus souvent une aide indispensable pour abaisser l’intensité douloureuse, au moins au départ de la maladie. Ces antalgiques ont une efficacité, dès qu’ils abaissent l’intensité de la douleur que de 30 %. Cette amélioration favorise l’accès aux interventions non médicamenteuses, notamment aux activités physiques. L’objectif par la suite est de pouvoir progressivement se passer des médicaments au profit des stratégies non médicamenteuses pour soulager efficacement le patient. »

Utilisation des antidépresseurs à visée antalgique*

→ En raison de leurs propriétés antalgiques et antidépressives, les antidépresseurs peuvent améliorer la symptomatologie et la qualité de vie des patients douloureux chroniques.

→ Les antidépresseurs sont recommandés comme antalgiques pour la fibromyalgie et peuvent être prescrits en l’absence de dépression associée.

→ Les antidépresseurs tricycliques sont privilégiés en première intention, initiés à faibles doses puis augmentés progressivement jusqu’à la dose maximale tolérée ou minimale efficace.

→ Les autres antidépresseurs seront utilisés lorsque les tricycliques sont inefficaces et/ou mal tolérés et/ou contre-indiqués.

→ Les effets indésirables des antidépresseurs sont les mêmes lorsqu’ils sont utilisés à visée antalgique ou à visée antidépressive. Ils apparaissent dès le début et peuvent se poursuivre tout au long du traitement.

→ Pour améliorer l’adhésion au traitement, les patients doivent être informés de la nature du traitement, du but de la prescription, des effets indésirables ainsi que du délai nécessaire pour obtenir l’effet antalgique.

→ L’utilisation des antidépresseurs à visée antalgique doit être associée à une prise en charge globale comprenant des approches non médicamenteuses.

→ L’efficacité du traitement ne peut être estimée par la seule mesure de la douleur mais également par l’évaluation fonctionnelle, la consommation d’antalgiques, le sommeil (qualité et durée) ainsi que par l’évaluation psychosociologique. Cette évaluation doit être initiée après la première semaine de traitement. qIl n’y a pas de durée optimale du traitement par antidépresseurs à visée antalgique. Il devra être maintenu au minimum quatre semaines avant d’être interrompu pour cause d’inefficacité. La durée totale doit être déterminée en fonction des objectifs prédéfinis d’un commun accord avec le médecin.

→ Après trois à six mois de rémission, une diminution progressive du traitement peut être tentée en surveillant régulièrement l’évolution douloureuse. Un sevrage trop brutal pouvant engendrer nausées, vomissements et tremblements.

* Recommandations ADER pour l’usage des antidépresseurs en rhumatologie, Cercle d’étude de la douleur en rhumatologie, juin 2004 (via le lien bit.ly/2JOPyI6).

Entretien
Françoise Ferrara 62 ans, infirmière coordinatrice dans une association d’aide et de soins à la personne, retraitée depuis peu

« C’était presque une maladie honteuse »

Quel impact a eu la fibromyalgie sur votre activité professionnelle ?

Infirmière libérale pendant des années, j’ai dû interrompre mon activité à cause d’un cancer de la thyroïde. Je ressentais déjà des douleurs et une fatigue. J’ai repris le travail à temps partiel, en poste de nuit à l’hôpital, mais à cause de mes problèmes de sommeil, je n’arrivais plus à récupérer. J’ai vraiment perdu physiquement à ce moment-là. Après la nuit, je suis passée en service d’hémodialyse, toujours à temps partiel. Les douleurs augmentaient, j’avais mal partout. Lorsque je tenais les points d’injection après avoir retiré l’aiguille en hémodialyse, j’avais des douleurs terribles dans les doigts et dans les épaules. J’ai dû parfois me faire remplacer, ce qui était très mal vu. Je n’ai jamais arrêté de travailler mais j’avais beaucoup de mal. Je rentrais chez moi et je me couchais. Je me levais quasiment pour repartir travailler. Ma reconversion au poste d’infirmière coordinatrice s’est imposée. J’aurais préféré continuer à faire des soins en service ou en libéral, mais ce n’était plus possible.

Comment la fibromyalgie a-t-elle été perçue ?

Lorsque le neurologue qui suivait ma fille pour une maladie génétique m’a diagnostiqué une fibromyalgie, j’ai été rassurée parce que cela expliquait mes douleurs et ma fatigue. Lorsque le médecin qui me suit pour le cancer de la thyroïde m’a dit que la fibromyalgie n’existait pas et qu’on mettait tout et n’importe quoi derrière ce terme quand on ne savait pas quoi dire, j’ai pu lui répondre que cette « maladie imaginaire » avait été diagnostiquée par un neurologue. Je trouvais inadmissible de ne pas reconnaître une maladie que l’Organisation mondiale de la santé avait reconnue depuis de nombreuses années. J’ai mal vécu ce même manque de reconnaissance de la part de mes collègues et de mes supérieurs, infirmières et médecins. Lorsque j’ai repris un poste à l’hôpital, un médecin m’a conseillé de dire que j’étais à temps partiel pour mon cancer de la thyroïde, ce qui était faux, mais de ne surtout pas évoquer la fibromyalgie. C’était presque une maladie honteuse à l’époque.

Comment gérez-vous la maladie ?

J’ai un suivi par un Centre d’étude et de traitement de la douleur (CETD) qui me convient bien. J’ai toujours autant de douleurs mais j’arrive à mieux les gérer. J’ai un nouveau traitement depuis quelques mois et je prends du Levocarnil* tous les jours. J’ai l’impression qu’avec ce traitement, mes douleurs passent plus vite quand je suis amenée à prendre des antalgiques. J’ai aussi l’impression de mieux me connaître. Le neurologue du CETD que je vois tous les trois mois m’a aidée à repérer les douleurs et les antalgiques qui me soulagent. J’arrive maintenant à distinguer les douleurs qui vont passer avec du paracétamol de celles qui nécessitent de l’Acupan.

* La L-carnitine, constituant naturel de l’organisme, joue un rôle fondamental dans l’utilisation des lipides. Elle est censée favoriser la perte de poids, augmenter les performances sportives et lutter contre la fatigue.

Info +

“Les psychotropes, médicaments de la douleur chronique”, Fabrice Lorin, sur www.psychiatriemed.com (lien direct : bit.ly/2D9osdo).