Le vaccin de la discorde - L'Infirmière Libérale Magazine n° 353 du 01/12/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 353 du 01/12/2018

 

IDEL/PHARMACIEN

ACTUALITÉ

Adrien Renaud  

De deux régions en 2017 à quatre cette année, en comptant l’Occitanie et les Hauts-de-France. L’extension de la vaccination antigrippale en officine a fait grincer les dents des infirmières libérales, qui voient une partie de leur patientèle s’échapper.

Petite commune d’un peu moins de 2 000 habitants, Castelnau-Montratier est située à la frontière du Lot et du Tarn-et-Garonne. Rien ne distingue a priori cette bourgade tranquille des autres villages d’Occitanie, si ce n’est un petit détail : Idels et pharmaciens n’y sont pas à couteaux tirés. Une entente qui n’était pas acquise car la vaccination antigrippale en officine, possible depuis le mois d’octobre dans la région, a semé la zizanie entre les deux professions. « Cette réforme est une cata », lance Marieke Motto, présidente de l’Union nationale des infirmiers libéraux diplômés d’État (Unidel). La militante indique que certains adhérents ont vu drastiquement chuter le nombre de vaccinations qu’ils pratiquent depuis que les pharmaciens peuvent effectuer eux-mêmes les injections. Mais à Castelnau-Montratier, la situation est différente. La pharmacie et le cabinet infirmier, distants de quelques mètres, se sont mis d’accord sur une règle simple : tout patient qui demande à se faire vacciner à l’officine aux heures de permanence sans rendez-vous des Idels (tous les jours de 11 h à midi) est réorienté vers le cabinet.

« Nous ne sommes pas pour la vaccination en officine, bien entendu, mais on n’est pas là pour s’entre-tuer non plus, explique une Idel du cabinet. Cela fait vingt ans que nous travaillons avec cette pharmacie, nous leur rendons beaucoup de services, notamment en livrant des médicaments aux patients, ajoute-t-elle. Et de notre côté, nous la sollicitons également beaucoup. Nous n’allons pas envoyer les patients chez quelqu’un d’autre. C’est un secteur rural, ici, il faut se serrer les coudes. »

Guerre de tranchées

Une telle concorde entre pharmaciens et infirmiers est pourtant loin d’être la règle dans les quatre régions où l’expérimentation est en cours (l’Occitanie, les Hauts-de-France, l’Auvergne-Rhône-Alpes et la Nouvelle-Aquitaine). Un rapide tour sur les forums infirmiers, comme sur la page Facebook d’Unidel, suffit pour comprendre que la réforme ne passe pas. « Nous avons fait une permanence : zéro patient. Merci les pharmaciens », s’indigne une Idel, tandis qu’une de ses consœurs parle de « pressions » exercées par les officinaux pour vacciner les personnes âgées. Et pourtant, la vaccination en officine est un succès, du moins si l’on en croit le ministère de la Santé, qui a déjà prévu d’élargir le dispositif à l’ensemble du territoire dès l’hiver 2019-2020. Une décision que conteste la présidente de l’Unidel : « Dans les deux régions qui ont expérimenté la vaccination en officine l’année dernière, il n’y a pas eu plus de personnes vaccinées, clame la militante. Les pharmaciens ont simplement vacciné des personnes qui, auparavant, se faisaient vacciner par des infirmiers. »

Querelles de clocher

Dans un rapport* remis au cours de l’été dernier, la Haute Autorité de santé (HAS) disait avoir noté, à propos de la vaccination en officine dans les deux régions pilotes en 2017-2018, une « très bonne acceptabilité et satisfaction » de la part des patients, « sans toutefois observer d’impact significatif sur la couverture vaccinale dans ces régions ». Des constats dont se saisit Marieke Motto pour dénoncer la prochaine extension du dispositif à l’ensemble du territoire.

Mais, du côté de la pharmacie de Castelnau-Montratier, on est bien loin de ces querelles de clocher. « Pour nous, c’est l’intérêt du patient et l’augmentation de la couverture vaccinale qui priment, explique Hélène Fourniols, qui dirige l’établissement. Le cabinet infirmier a une permanence bien organisée qui fonctionne depuis des années. Il est normal qu’à ces moments-là, le patient aille chez les infirmiers. » En revanche, ajoute-t-elle, si un patient se présente pendant l’après-midi, il y a un risque de perte du vaccin, et elle trouve positif de pouvoir pratiquer l’injection elle-même. Un bon sens qui pourrait faire école.

* Rapport consultable via le lien raccourci bit.ly/2PoGZKk

VACCINATION EN OFFICINE, MILLÉSIME 2017-2018

D’après les chiffres de l’Assurance maladie, 101 000 vaccinations contre la grippe ont été pratiquées par des pharmaciens entre octobre 2017 et janvier 2018 en Auvergne-Rhône-Alpes, et 58 000 en Nouvelle-Aquitaine. Au total, 5 000 professionnels ont participé à l’expérimentation.