À l’écoute de l’urgence - L'Infirmière Libérale Magazine n° 353 du 01/12/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 353 du 01/12/2018

 

LA VIE DES AUTRES

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Sophie Magadoux  

À la croisée du secours à la personne et de la technicité, dans l’ambiance particulière de l’urgence, Nicolas Tondellier opère en tant que permanencier auxiliaire de régulation médicale depuis vingt ans. Son ambition : mettre en place une formation ARM nationale diplômante.

« Le Samu, bonjour ! » Dans la salle de régulation des Landes (Aquitaine) du Service d’aide médicale urgente (Samu), les appels entrants s’affichent à l’écran. Casque sur la tête, Nicolas Tondellier gère les dossiers sous la houlette du médecin régulateur. Un enfant en hyperthermie, un accidenté de la route, un bricoleur au doigt sectionné… « Nous prenons tous les appels du 15 et du 112. Nous sommes préparés à répondre à tous types de populations et de situations. Le but est d’apporter la réponse la plus adaptée dans les meilleurs délais », explique le permanencier auxiliaire de régulation médicale (Parm) depuis vingt ans, métier connu sous le nom d’assistant de régulation médicale (ARM) depuis 2011 (lire encadré en bas ci-contre).

En 1995, il étudie en région parisienne, dans la filière logistique et transport. Parallèlement, il fait « du secours à la personne avec le réseau de secours de la Croix-Rouge française qui intervient en soutien au Samu 92 et à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris ». C’est là qu’il entend parler du métier : « L’ambiance, la complexité des flux d’informations à gérer - ce qui se rapprochait de mon domaine - et les solutions rapides à trouver. Tout m’attirait. »

En 1996, âgé de 26 ans, Nicolas Tondellier apprend les bases au Samu au centre hospitalier de Vannes (Morbihan), puis de Versailles (Yvelines), l’année suivante : « J’ai appris la théorie, notamment les pathologies et le vocabulaire médical, la connaissance du territoire et de ses moyens sanitaires ; je me suis initié aux logiciels de traitement et protocoles de prise d’appels, à l’écoute active et à la reformulation… Ensuite, la pratique se fait par tutorat, comme apprendre à gérer la détresse de l’appelant et nos propres émotions. »

L’art de l’adaptation

À Mont-de-Marsan, les équipes se relaient 24 heures sur 24, 365 jours par an et traitent plus de 250 000 appels par an, soit plus d’un appel toutes les deux minutes en moyenne : quatre ARM le jour et deux la nuit, toujours couplés avec un médecin régulateur. « Après 19 heures, les jours fériés et les week-ends, un médecin généraliste de la permanence des soins nous rejoint. » Au téléphone, « les deux premières phrases sont de l’écoute pure. Puis on reprend la main ».

Des séquences de questions précises et efficaces, le tout enregistré. Nombre d’appels de caractère médico-social sont redirigés. En quatre-vingt dix secondes, l’ARM sait qui appelle, pour qui, pour quoi et où. « Il nous faut visualiser la scène grâce à une relation empathique. » Courtoisie, bienveillance, reformulation, vocabulaire approprié… Il garde la tête froide et qualifie le niveau d’urgence afin de déclencher les “effecteurs” (les secours), de transmettre le dossier au médecin régulateur ou de rediriger vers un service partenaire…

« Je peux aussi donner des conseils de gestes de premier secours, en attendant l’arrivée du véhicule du Smur, des pompiers ou le prochain passage de l’Idel ou l’heure de consultation du généraliste. » Vient la phase de suivi : il faut collecter les bilans, orienter vers le service d’accueil d’urgence du secteur, un plateau technique le plus adapté ou trouver une place d’hospitalisation. Nicolas Tondellier connaît les disponibilités ou les problématiques du territoire sanitaire et l’engagement des équipes. « Je suis le parcours du patient jusqu’au bout, avant de clôturer le dossier. » Cet agent administratif est passé maître dans l’art de s’adapter aux besoins et contraintes du moment. Un marathon qu’il mène en binôme avec le médecin régulateur. Il lui arrive aussi de se rendre sur le terrain : pendant sa formation en dispositifs prévisionnels de secours « sur de gros événements comme les ferias de Mont-de-Marsan et de Dax », mais aussi pour des situations sanitaires d’exception comme lors d’attentats. « J’ai connu ça en 2015 sur Versailles, en renfort des équipes du Samu d’Île-de-France. Heureusement, une prise en charge psychologique est prévue. » Se ressourcer est indispensable pour durer dans la profession. « Je fais de vraies coupures les jours de repos, je vois des amis, je prends l’air. Et je pense à autre chose. ».

Méconnaissance et reconnaissance

2 200 ARM en France et un drame qui a frappé les esprits : le décès de Naomi Musenga, survenu le 29 décembre dernier, faute de prise en charge du Samu de Strasbourg (Bas-Rhin). « La profession est encore mal connue, même de certaines DRH », souligne Nicolas Tondellier, également membre du bureau de l’Union nationale des assistants de régulation médicale qui œuvre pour que la profession bénéficie d’une formation validée par un diplôme national (lire l’encadré ci-dessus). C’est d’ailleurs avec le projet de créer un centre de formation initiale pour les ARM que Nicolas Tondellier a rejoint Mont-de-Marsan où il a trouvé une oreille attentive.

Vers un diplôme national

→ Il faut attendre 1990 pour qu’un décret définisse le corps des permanenciers auxiliaires de régulation médicale, agents de la Fonction publique hospitalière. Aujourd’hui, on parle des assistants de régulation médicale (ARM) depuis les décrets de 2011.

→ Le Certificat d’assistant de régulation médicale s’obtient en formation initiale, ouverte aux candidats de niveau Bac. Elle est dispensée au sein d’un seul Ifsi, en région lilloise. Elle a souvent lieu par compagnonnage au sein des Samu. En formation continue, il existe 256 heures de formation d’adaptation à l’emploi (FAE).

→ La Société française de médecine d’urgence, l’Association nationale des Cesu (Centres d’enseignement des soins d’urgence), le Samu Urgences de France et l’Union nationale des assistants de régulation médicale ont co-rédigé le premier “Référentiel métier assistant de régulation médicale” pour homogénéiser les pratiques et garantir la sécurité et la qualité de l’accueil par le Samu. Co-signé en juin 2016, il renforce les recommandations de la Haute Autorité de santé (mars 2011). Cette démarche pourrait déboucher sur une formation nationale de deux ans dispensée par les Cesu ou à l’université.

Il dit de vous !

« Dans certaines zones rurales, les Idels constituent le seul lien santé. Pour nous, elles représentent des relais santé qualitatifs. On parle le même langage. Lorsque l’une d’elles appelle le 15 pour un patient, la transmission est efficace. Elle nous communique les signes cliniques, les critères de gravité, peut-être même un pré-diagnostic. En plus, elles savent nous renseigner sur les antécédents et le traitement en cours. En général, leurs appels relèvent du médecin régulateur. D’ailleurs, parfois, c’est parce qu’elles ne parviennent pas à joindre le médecin traitant pour une question de prescription qu’elles font appel à nous. En général, quand ça coince, c’est au niveau de l’adresse que nous devons impérativement renseigner dans le dossier de régulation médicale. Pourtant, elles savent se rendre chez leurs patients les yeux fermés… »