« L’approche ne doit pas être que biomédicale » - L'Infirmière Libérale Magazine n° 349 du 01/07/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 349 du 01/07/2018

 

PERSONNES ÂGÉES

Actualité

Corinne Drault  

Le Pr Olivier Saint-Jean, qui a participé à l’évaluation des médicaments anti-Alzheimer (bientôt déremboursés) comme membre de la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé (HAS), livre ses réflexions sur le déclin cognitif, qui selon lui fait partie de la vie.

Quelle est votre réaction face au débat suscité par le déremboursement des médicaments anti-Alzheimer ?

Olivier Saint-Jean : Le déremboursement est une décision politique qui s’est appuyée sur l’avis scientifique de la HAS, organisation complètement indépendante de l’État et des lobbys, qui a conclu que ces médicaments n’apportaient aucun bénéfice et qu’ils exposaient à des effets secondaires. Certes, il y a débat. C’est bien. Mais on ne peut pas parler de levée de boucliers. L’affaire est entendue : l’immense majorité des cliniciens est d’accord pour dire que ces médicaments sont inutiles. D’ailleurs, depuis cinq à six ans, les prescriptions et les ventes se sont effondrées.

En marge de certains gériatres très investis dans la recherche biomédicale, vous posez la question de savoir si le déclin cognitif et la vieillesse ne seraient pas la même chose. Sur quels fondements scientifiques repose votre analyse ?

O. S.-J. : Aujourd’hui, la maladie d’Alzheimer reste très mystérieuse. Des lésions anatomiques cérébrales ont été décrites, mais, quand on y regarde de plus près, on est interpellé par plusieurs phénomènes. D’abord, la présence des lésions augmente avec l’âge et, passé 100 ans, le cerveau présente dans 100 % des cas des lésions. Ensuite, il y a un découplage entre les lésions et l’expression clinique. Pour une topographie de lésions d’intensité équivalente, des malades ont des troubles cognitifs importants, d’autres n’ont rien. Enfin, la fréquence de la maladie d’Alzheimer dans les pays développés a reculé de 25 % ces dernières années en parallèle du recul du vieillissement !

Le danger n’est-il pas de banaliser le déclin cognitif en l’assimilant à la vieillesse ? Est-ce à dire qu’il faut arrêter toute recherche ?

O. S.-J. : Non. La recherche est aujourd’hui plus que nécessaire, notamment pour définir les actions de prévention du vieillissement avec déclin cognitif. Mais l’approche ne doit pas être que biomédicale. D’abord, parce que les critères diagnostiques dans les formes précoces de la maladie d’Alzheimer sont peu sensibles, deuxièmement parce que l’approche médicamenteuse est un échec retentissant. Ensuite, si on étudie le vieillissement sous l’angle biologique, on rate tous les autres déterminants : socio-culturels, économiques… La recherche doit donc inclure les sciences humaines et sociales. Un faible niveau d’éducation, les troubles dépressifs, l’absence d’activité physique, etc., on le sait, sont des facteurs de risque. Le défi pour la recherche est de définir quelles actions mettre en place dans notre société pour prévenir ces risques.

Aujourd’hui, comment mieux accompagner les personnes âgées avec déclin cognitif ?

O. S.-J. : Par des ateliers de stimulation cognitive, l’orthophonie, l’ergothérapie, l’assistance à la vie quotidienne… Une offre de services et de soins diversifiée existe mais la question de son accessibilité sur tout le territoire reste posée. Autre question très importante : les Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Quel modèle propose la société actuellement ? Un lieu très fermé, aux règles de vie souvent absurdes car hyper-règlementé. Ce que le Comité consultatif national d’éthique évoque comme de la maltraitance, pointant du doigt une compétence collective inadaptée aux besoins de vie des personnes âgées dépendantes. Il faut inventer de nouvelles formes d’hébergement, ouvertes sur l’extérieur. Enfin, dernier axe de progrès, aujourd’hui, les Français n’intègrent pas dans leur parcours de vie l’hypothèse qu’ils auront un jour peut-être une incapacité cognitive majeure. À l’image des directives anticipées dans le cancer, il faudrait que chacun ait la possibilité de dire ce qu’il veut comme fin de vie en cas de déclin cognitif. On envoie des personnes âgées en Ehpad sans leur demander leur avis au nom du principe de la sécurité absolue. Mais qu’est-ce que la liberté ? N’est-elle pas de prendre des risques ?

À LIRE

Lire aussi la chronique du livre co-écrit par le Pr Saint-Jean, Alzheimer. Le grand leurre, p. 22.

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