Une société qui délaisse ses vieux - L'Infirmière Libérale Magazine n° 348 du 01/06/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 348 du 01/06/2018

 

ÉTHIQUE

Actualité

Isabel Soubelet  

Le Comité consultatif national d’éthique a publié le 16 mai un avis qui pointe l’âgisme de la société française et interroge sur le sort qu’elle réserve aux personnes âgées.

« Quel sens a la concentration des personnes âgées entre elles, dans les établissements dits d’hébergement ? » C’est cette question qui est à l’origine de la réflexion du Comité consultatif national d’éthique (CCNE). Ce dernier s’est auto-saisi du sujet en octobre 2016 et vient de publier un avis(1) très sombre mais qui a, sans aucun doute, le mérite de faire réfléchir sur nos relations avec les personnes du grand âge.

Du point de vue de la personne âgée

On y parle de “maltraitance”, de “ghettoïsation” et “d’exclusion collective”… « Nous avons modestement essayé de nous placer du point de vue de la personne âgée, ce qui est nouveau, et non pas du point de vue de ce qu’elle peut coûter ou générer, comme c’est le cas lorsqu’on évoque la silver économie, souligne Régis Aubry, chef du service des soins palliatifs du CHU de Besançon (Doubs), membre du CCNE et co-rapporteur de l’avis du comité(2). La domotique et les objets connectés, nous les évoquons, mais ce n’est pas l’alpha et l’oméga de la personne âgée. L’avis est provocateur dans les mots, il est aussi politique et il doit permettre de se questionner sur les pratiques et les choix qui sont faits pour les personnes âgées et leur place dans la société. »

Institutionnalisation forcée

Le texte rappelle que plus les personnes vieillissent, plus elles souffrent, et il pointe un pic de suicide autour des décisions d’institutionnalisation pour la personne âgée. Les personnes âgées entrées en Ehpad ont la « sensation d’être en trop, d’être un poids et d’être inutiles à la société, poursuit-il. Elles sont mises en dehors des éléments de vie ». L’institutionnalisation, revendiquée au nom de principes de bienveillance et dans le but d’assurer la sécurité de ces personnes vulnérables, se fait souvent sous la contrainte, forcée, faute d’alternative. « C’est un vrai problème éthique, notamment en termes de respect dû à la personne, car la liberté de la personne est anéantie au profit de la sécurité », estime Régis Aubry.

Pas une critique du personnel des Ehpad

Ce sombre tableau pourrait être compris comme une critique des Ehpad et des soignants qui y travaillent. Régis Aubry le réfute. « Il ne s’agit pas de critiquer le personnel des Ehpad, qui font du mieux qu’ils peuvent avec le peu qu’ils n’ont pas bien souvent, précise-t-il. Nous interrogeons le système de santé et ses effets, notamment les situations qu’il produit pour les plus vulnérables d’entre nous. Il faut refondre le système de santé et de formation, et créer des formations interdisciplinaires entre professionnels, qui vont permettre d’apprendre la construction d’une réflexion éthique, le travail en équipe et la communication en situation complexe. »

Sur le terrain, les choses bougent déjà avec les équipes mobiles de soins palliatifs. Mais, incontestablement, Régis Aubry compte sur « une impulsion politique très forte ». Alors que des rendez-vous sont en cours avec le gouvernement, reste à savoir si cet avis sera suivi d’effets concrets pour développer les démarches d’inclusion des personnes âgées dans la société actuelle.

(1) L’avis est consultable via le lien raccourci bit.ly/2k0R8dW.

(2) Par ailleurs co-auteur de notre cahier de formation du n° 341 de novembre 2017 consacré à la fin de vie.

DES CHIFFRES À PRENDRE EN COMPTE

Les personnes âgées de 75 ans et plus représentent aujourd’hui 9 % de la population française, soit 6,1 millions d’individus, dont 61 % de femmes et 39 % d’hommes. En 2050, on estime qu’ils représenteront 16 % de la population. Selon un rapport de la Fondation de France*, 25 % d’entre eux vivent seuls, 50 % n’ont plus véritablement de réseau amical actif, 79 % n’ont pas ou peu de contact avec leurs frères et sœurs, 41 % n’ont pas ou peu de contacts avec leurs enfants, 52 % n’ont pas de relation avec leurs voisins et 64 % n’ont pas d’activité dans un club ou une association. Le phénomène d’isolement s’amplifie avec la taille des villes. En effet, 33 % des personnes âgées résidant dans une ville de plus de 100 000 habitants sont en situation d’isolement contre 21 % pour celles résidant dans une commune rurale. Par ailleurs, chaque année, 3 000 personnes de plus de 65 ans mettent fin à leur jour, soit près d’un tiers de l’ensemble des suicides dans le pays. Au-delà de 85 ans, le taux de suicide est le plus élevé de la population. La France enregistre ainsi le taux de suicide des personnes âgées de 75 ans et plus le plus élevé en Europe.

* À consulter via le lien raccourci bit.ly/2Ha4k9D