Oui, mets… - L'Infirmière Libérale Magazine n° 348 du 01/06/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 348 du 01/06/2018

 

NUTRITION EN TOURNÉE

Dossier

Laure Martin*   Héloïse Chochois**  

Le rythme et les horaires décalés des Idels ne leur permettent pas toujours de s’alimenter de manière saine et équilibrée. La nutrition s’avère pourtant déterminante pour exercer le métier au quotidien et rester en bonne santé.Conseils et témoignages pour garder la forme !

« Un petit café avant de partir ? », « vous prendrez bien une part de gâteau ? », « j’ai des biscuits tout chauds qui sortent du four, vous en voulez un ? ». Quelle Idel n’a pas reçu ce genre de propositions de la part de ses patients ? Difficile d’accepter sans voir le chiffre de la balance augmenter. Pourtant, le grignotage fait partie du quotidien de nombreuses infirmières. Avec les journées à rallonge, la tournée qui commence tôt et finit tard, sans parler des week-ends de permanence, des soins lourds à réaliser, l’infirmière rentre chez elle fatiguée, sans avoir toujours l’envie de se mettre derrière les fourneaux pour se concocter des plats sains et équilibrés. « L’Idel passe son temps à s’occuper des autres et se délaisse, regrette Hélène Vatin, infirmière libérale depuis trente ans dans l’Aisne, fondatrice du Jardin d’Hélène, où elle propose des cours de cuisine et de nutrition. Comme tout le monde, elle a complètement oublié l’importance de bien se nourrir. Il s’agit pourtant du moteur pour notre corps, pour recevoir l’énergie et la force essentielles pour s’occuper des autres. »

Prendre du temps pour soi

La fatigue physique et morale fait partie du quotidien des Idels. « Je pensais que cela venait uniquement de moi mais, après en avoir parlé avec mes collègues, j’ai constaté que nous étions toutes dans le même état », témoigne Hélène Vatin. Et de compléter : « Notre charge mentale est beaucoup plus prégnante qu’avant. Quand on est au taquet tout le temps, on a vite la sensation de ne pas pouvoir faire autrement. Avec le recul, je sais que je me suis fait “bouffer” par mes patients, mes collègues, mon salaire, avec cette nécessité de devoir toujours travailler plus pour payer mes charges. Mais il faut savoir dire “stop” pour apprendre à vivre autrement, à avoir du temps pour soi, pour se détendre, bien respirer, gérer son stress et bien manger. »

De nombreuses infirmières libérales prennent rendez-vous avec Sarah Mony, diététicienne, membre de l’Association française des diététiciens nutritionnistes et fondatrice du cabinet Alimentum qui offre une prise en charge individualisée en nutrition. « Elles sont épuisées et cherchent à récupérer de l’énergie avec leur alimentation. Certaines souhaitent aussi perdre du poids car le fait d’être fatiguées et de manger sur le pouce les conduit à prendre des kilos. »

Se bâtir un “capital santé” dès sa jeunesse

Cette prise de conscience arrive généralement un peu tard. Pourtant, négliger sa nutrition à 20, 30 ans n’est pas sans conséquence car des difficultés peuvent survenir à 40, 50 ans. « Les jeunes infirmières n’ont pas toujours de bonnes habitudes alimentaires mais cela n’a pas forcément de répercussion immédiate sur leur santé, explique Emmanuelle Augé-Davesne, Idel à Reims (Marne), nutritionniste et fondatrice de Circadie, qui dispense des conseils et assure un suivi en nutrition sportive. C’est plus tard que les kilos s’installent et qu’elles se disent qu’elles devraient faire attention. » Certes, mieux vaut tard que jamais, mais mieux vaut aussi être attentif à soi plus tôt car faire chemin arrière s’avère difficile. Pour Emmanuelle Augé-Davesne, la santé, c’est comme la retraite, il faut se construire un capital. « Lorsqu’on démarre son activité professionnelle, on préfère dépenser son argent que le mettre de côté. Mais, plus tard, on est content lorsqu’on l’a fait. Pour la nutrition, c’est pareil, il faut faire attention assez jeune, car, plus âgé, on se dit “si j’avais su”. »

La prise de poids liée au travail en horaires décalés et à la déstructuration des repas qui peut en découler « peut avoir des conséquences importantes sur la santé, met en garde le Dr Jean-Michel Lecerf, chef du service de nutrition à l’Institut Pasteur de Lille (Nord). La pression artérielle peut s’élever, tout comme la glycémie, entraînant plus tard des problèmes cardiovasculaires et cardiométaboliques ». Sans parler du diabète, de certains cancers, des déséquilibres endocrinologiques lorsque l’alimentation se compose essentiellement d’aliments transformés. « L’alimentation doit faire partie d’une démarche globale, holistique, souligne Hélène Vatin. Si on donne trop à manger à notre corps ou pas suffisamment, cela peut être générateur d’irritabilité, de stress, d’infection urinaire, d’ostéoporose, de spasmophilie, et la peau peut s’abîmer. »

Le piège, d’après le Dr Lecerf, est de croire qu’on ne mange pas, mais de manger un peu tout le temps. Parfois, « les Idels anticipent pour ne pas avoir faim, elles mangent entre deux repas et, après leur journée de travail, elles pensent n’avoir rien mangé alors qu’elles ont grignoté toute la journée, raconte-t-il. Elles prennent alors deux à trois kilos la première année d’activité, idem l’année suivante puis vont se mettre au régime, ce qui peut conduire à un engrenage vers le surpoids et l’obésité. » Pour le nutritionniste, hors de question de suivre un régime : « Il est toxique car il induit une perturbation d’un comportement alimentaire qui, au contraire, doit être souple. » Si l’Idel a pris deux ou trois kilos, elle doit s’interroger, analyser, comprendre, et prendre des mesures afin de rétablir un rythme alimentaire normal. « Cette rectification suffira pour revenir à son poids “normal” ? », estime le Dr Lecerf. En revanche, à un stade plus avancé et pour un surpoids plus ancien, « il est plus difficile d’inverser la situation et de perdre du poids, indique le médecin. Il faut se faire aider pour retrouver un comportement alimentaire plus souple, stopper le gain de poids et le stabiliser ». Mais retrouver son poids antérieur ne sera pas forcément possible. Aussi recommande-t-il de le surveiller et de s’accorder du temps pour une activité physique. « Prendre un moment pour soi pour pratiquer une activité sportive régulière est indispensable, renchérit Emmanuelle Augé-Davesne. Le corps humain doit être stimulé. Les Idels ont tendance à se déculpabiliser en prenant pour prétextes leur activité professionnelle et leur fatigue. Mais si on veut, on peut. C’est une question de choix. » D’autant plus que le sport amène un regain d’énergie. Autre avantage d’une pratique sportive : « Elle permet de s’autoriser occasionnellement de prendre un gâteau », ajoute-t-elle.

Manger en pleine conscience

Côté alimentation, à chaque repas, « il faut s’accorder du temps pour cuisiner et manger », conseille Emmanuelle Augé-Davesne. Il est aussi important de bien mâcher les aliments, sans quoi la digestion ne se fera pas correctement. Malheureusement, les infirmières consacrent rarement un vrai temps au repas. Elles font souvent autre chose en même temps, remplissent des papiers, effectuent des transmissions, et ne mangent donc pas en pleine conscience, ce qui peut entraîner une prise de poids. « Il faut modérer son alimentation et attendre d’avoir faim pour manger, ajoute Hélène Vatin. S’imposer une régularité et des vrais temps pour manger est essentiel, quitte à se préparer son repas le soir pour le lendemain. » Mieux vaut une pause consciente que du grignotage inconscient. Et cela commence dès le matin ! De nombreuses infirmières ne petit-déjeunent pas, ou alors sur le pouce car elles n’ont pas forcément faim lorsque le réveil sonne aux aurores. Or « l’alimentation du matin est la plus importante car elle nourrit le cerveau et permet de faire démarrer le moteur », informe Hélène Vatin. Dans l’idéal, il faut éviter le pain blanc, les sucres rapides, les croissants, et privilégier le pain complet, le beurre, les œufs, le fromage, la viande séchée ou encore les avocats. Avec un petit-déjeuner trop sucré, difficile d’échapper au coup de fringale deux à trois heures plus tard en raison de la chute de l’indice glycémique, « qui donne envie de remanger du sucre, prévient Emmanuelle Augé-Davesne. Lorsqu’on arrive chez un patient, on va être tenté de prendre un café avec du sucre, des gâteaux. Il faut vraiment y faire attention ». Hélène Vatin a toujours à portée de main son thermos rempli avec du thé et de l’eau, qu’elle apporte chez ses patients afin de passer un moment convivial avec eux sans pour autant boire du café et manger des gâteaux. « L’une de mes patientes m’offre régulièrement des gaufrettes car j’adore ça. Mais je ne peux pas en prendre tous les jours. Je lui demande alors de les emballer pour que je puisse les manger à un moment plus opportun. »

De son côté, Sarah Mony conseille aux Idels qui n’ont pas faim le matin de manger au moins un fruit, notamment des agrumes, pour récupérer l’hydratation perdue pendant la nuit. Au moment du coup de faim, vers 9 h 30, « elles peuvent croquer une dizaine d’amandes pour un apport en protéine végétale et en gras », informe-t-elle. Noix de cajou, noisettes, non grillées et non salées, mélanges de graines ou de fruits secs, un ou deux carrés de chocolat noir donnent un coup de boost. Mais attention de ne pas trop en consommer au motif qu’il s’agit d’aliments sains : comme pour le reste, il faut savoir se limiter.

Un équilibre sur la journée

Pour le midi, Sarah Mony recommande une entrée avec des crudités, l’idéal étant les aliments bio, qui offrent une plus grande densité nutritionnelle, avec moins d’eau et plus de nutriments ; le corps récupère ainsi des sels minéraux et des vitamines. La diététicienne suggère aussi un apport en zinc avec par exemple de la levure de bière à saupoudrer sur les salades, car les Idels exercent un métier avec des efforts physiques importants. Ensuite, tout repose sur un équilibre entre les légumes verts, les féculents et une protéine (grillades ou poisson), puis un yaourt et un fruit. « Il ne faut pas prendre un repas lourd pour pouvoir facilement enchaîner sur la tournée du soir », rappelle-t-elle. Après le déjeuner, « si les Idels sont fatiguées, il ne faut pas hésiter à faire une petite sieste, suggère-t-elle. Cela donne un coup de fouet pour redémarrer la tournée de fin de journée ». Avant de repartir, Sarah Mony conseille de reprendre un “petit quelque chose”, comme un carré de chocolat, toujours accompagné d’un sucre lent, par exemple une tranche de pain complet. Emmanuelle Augé-Davesne déconseille pour sa part cet encas. « Comme généralement nous déjeunons tard, il faut tenir jusqu’à 20, 21 heures, sinon on mange toutes les trois heures », met-elle en garde, en précisant qu’une exception est possible lorsqu’on pratique du sport.

Pour le soir, de nouveau un repas équilibré. Il est néanmoins recommandé d’éviter les protéines animales car elles sont plus difficiles à digérer et peuvent altérer le sommeil. « Une belle assiette de légumes, des crudités et une portion de glucides complexes comme des céréales ou des légumineuses et des protéines végétales, c’est l’idéal », suggère Emmanuelle Augé-Davesne. « Personnellement, je mange de la soupe, c’est chaud et cela nourrit bien, indique Hélène Vatin. Je l’associe avec une salade et, si j’ai encore faim, avec une légumineuse ou une céréale. » Et de conclure : « C’est simple pour moi aujourd’hui d’avoir une bonne alimentation, car j’ai fait ce travail sur moi. J’ai réussi à convaincre mes collègues car elles n’en pouvaient plus. Nous sommes dans une médecine symptomatique… Les douleurs chroniques n’arrivent pas par hasard. Pour être efficace dans son travail, il faut être bien dans son corps et donc se respecter. Je suis persuadée qu’on peut réussir à s’organiser autrement. Il ne faut pas tout le temps se positionner en victime. »

Martine Lecocq, Idel à Monceau-sur-Oise (Aisne)

« Quand on est bien dans son corps, tout va mieux ! »

« C’est Hélène Vatin [Idel, lire page précédente] qui m’a motivée pour changer mon alimentation. Fréquemment, elle me faisait remarquer que cela ne me prendrait pas beaucoup de temps d’éplucher une carotte, un poireau et une pomme de terre pour faire une soupe. Je repoussais tout le temps. J’ai vécu une période où je rentrais à 14 heures de ma tournée et soit je n’avais plus faim parce que j’avais grignoté, soit je mangeais mal. Je ne faisais pas de vrai repas. J’ai eu de gros coups de fatigue et des périodes où je faisais le yoyo. J’ai alors décidé de surveiller mon alimentation en l’orientant vers les fruits et légumes, et de faire des vrais repas. Désormais, je m’assois trente minutes et je profite du déjeuner. J’ai senti la différence à tout point de vue : mon équilibre, ma peau, mon poids. Quand on est bien dans son corps, tout va mieux. Je ne ferai plus les erreurs que j’ai commises. Notre problème, en tant qu’Idels, c’est qu’on ne s’accorde pas la possibilité de prendre le temps, et de se préparer vraiment à manger. Ce n’est pourtant pas compliqué. Tout dépend de nos priorités. C’est une question de réorganisation. Même vis-à-vis de nos patients, il faut que nous montrions l’exemple. »

Nathalie Laugery, Idel à Fourqueux (Yvelines)

« J’attends d’avoir faim pour manger »

« Il y a quelques semaines, je suis partie en vacances à La Réunion. J’étais stressée car j’avais eu des soucis pour trouver un remplaçant et, jusqu’à la dernière minute, je ne savais pas si j’allais pouvoir partir. En arrivant, j’ai décompensé. J’ai été KO pendant trois jours : mal à la tête, au cœur, au ventre. Je n’ai pas pu manger. Depuis mon retour, je ne peux et ne veux plus manger comme avant. Je ne suis pas obèse, mais je suis en surpoids et j’ai fréquemment un inconfort digestif. Comme je termine mes tournées à 15 heures, je déjeune vers 15 h 30, 16 heures. Avant, je grignotais, et je mangeais n’importe quoi le soir. Désormais, j’attends d’avoir faim pour manger. Je ne bois plus de café, sauf exceptionnellement, je ne bois plus du tout d’alcool et je ne mange plus de sucre. Lorsque j’ai faim pendant ma tournée, je mange des pommes. J’ai eu trop mal et trop peur de ce qui m’est arrivé. Le stress y est pour beaucoup et mes horaires aussi. »

3 questions à… Dr Monique Romon, présidente de la Société française de nutrition

« On peut répartir ses prises alimentaires »

1 Faut-il obligatoirement prendre trois repas par jour uniquement ? Nous avons des prises alimentaires qui correspondent à ce qui a été normé à la fin du XIXe siècle avec une organisation sociale autour de trois prises alimentaires. Ces représentations sociales ne conviennent pas à l’organisation de vie de tout le monde, notamment aux Idels. Aujourd’hui, on pense à tort que les personnes qui ne peuvent pas faire trois repas par jour n’ont pas une alimentation saine. Ce n’est pas vrai. Ce sont les aliments consommés et leur quantité qui sont importants. Il faut se référer au Programme national nutrition santé.

2 Comment s’alimenter alors ? Il est possible de répartir les prises alimentaires autrement. L’infirmière peut très bien manger une partie de son sandwich ou de sa salade à 11 heures, puis la suite à 15 heures. Si elle prend plaisir à partager un gâteau avec l’un de ses patients et qu’elle a faim, qu’elle le fasse ! Il faudra juste qu’elle mange un peu moins lors de sa prise alimentaire suivante. Elle peut également, de temps à autre, anticiper sa faim et manger un peu si elle sait qu’elle n’aura pas le temps de le faire ensuite.

3 Il faut néanmoins toujours prendre le temps de manger… Tout à fait. Nous devons consommer en fonction de notre faim et non en réponse à un ennui ou un stress. Ce qui implique, lorsqu’on mange, de ne pas faire autre chose. Il faut écouter ses sensations, manger en pleine conscience et en quantité modérée.

à lire…

→ À chacun son vrai poids

Dr Jean-Michel Lecerf, éditions Odile-Jacob, mars 2013.

→ Connaître son cerveau pour mieux manger

Dr Jean-Michel Lecerf, éditions Belin, février 2017.

Quelques conseils alimentaires…

→ Pour votre sauce de salade, utilisez une huile vierge, comme de l’huile d’olive ou de l’huile de noix, meilleure pour la santé.

→ Pour les féculents, privilégiez ceux qui sont complets ou semi-complets.

→ Astuce : en faisant tremper les légumineuses pendant 48 heures, elles cuisent ensuite en deux minutes à la vapeur.

→ De temps à autre, il est possible de manger un sandwich mais équilibré : salade, carotte, concombre, œuf, avec une tomate à croquer.

→ Le soir, il est possible de terminer le dîner avec un yaourt ou un morceau de fromage, sauf en cas de surpoids. Les fromages frais sont moins riches en gras et plus facilesà digérer, tout comme le lait de brebis.

→ Évitez les plats “tout prêts” ou alors limitez-vous à ceux qui n’ont pas plus de deux additifs.

→ Attention au grignotage décomplexé. Ce n’est pas parce que vous mangez des aliments sains comme des amandes ou des noix de cajou qu’il faut en consommer en grande quantité. Tout est question de proportion.

Ces conseils nous ont été délivrés par les experts interrogés pour ce dossier.