“J’ai fait le choix d’une technologie bienveillante” - L'Infirmière Libérale Magazine n° 346 du 01/04/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 346 du 01/04/2018

 

INTERVIEW

Actualité

Isabel Soubelet  

Philippe Pujol, journaliste lauréat du 76e Prix Albert Londres du grand reportage de presse écrite en 2014, a écrit un roman d’anticipation, paru en février, sur le système de santé. L’auteur nous livre sa vision d’une médecine futuriste déjà en marche.

Comment est née l’idée de ce livre qui nous propulse au cœur du système de santé en Provence-Alpes-Côte d’Azur en 2040 ?

Philippe Pujol : Pendant plusieurs années, j’ai été accompagnant de proches touchés par la maladie. À force de passer de longues heures à attendre dans les hôpitaux, j’ai observé, et, en tant que témoin-citoyen, j’ai constaté au fil du temps la détérioration des relations entre patients et médecins, et entre soignants eux-mêmes. J’ai eu l’idée d’une enquête journalistique menée de mai à septembre 2017 au cours de laquelle j’ai rencontré de très nombreux professionnels de santé de la Région. Je les ai notamment interrogés sur les scénarios possibles du futur. J’ai également travaillé à partir d’un document de prospective de l’Agence régionale de santé (ARS) PACA et retenu quatre sujets phares : les nouvelles technologies, le vieillissement et la dépendance, les maladies chroniques, le financement. La forme du roman, puis les personnages sont apparus comme un prétexte pour faire passer des messages complexes.

Les nouvelles technologies sont partout dans le roman et rendent le système de santé très déshumanisé. Est-ce la direction que nous prenons ?

P. P. : La technologie est déjà très présente aujourd’hui et accessible à tous. Mais il ne faut pas en avoir peur. Je l’ai d’ailleurs envisagée de manière bienveillante car je pense réellement qu’elle va amener des choses très positives. La télémédecine est déjà très utile dans les déserts médicaux et, bientôt, les algorithmes vont pouvoir réaliser des diagnostics instantanés à partir de l’imagerie. Le point qui pose problème, c’est la financiarisation du système et la détention par des organismes privés de données individuelles qui concernent et décryptent chaque individu jusque dans son son intimité. On pourrait alors, par exemple, refuser le remboursement à un patient souffrant d’insuffisance respiratoire qui fumerait…Tout dépendra vraiment des choix politiques qui seront faits. Cela met en évidence le côté très intrusif des nouvelles technologies. Elles empiètent sur la liberté individuelle et ont une capacité d’espionnage élevée. C’est déjà le cas avec les réseaux sociaux comme Facebook. Et c’est encore plus remarquable pour les plus jeunes qui les utilisent pour se forger un avis.

Dans cette vision, comment ? envisagez-vous l’évolution des métiers du soin ?

P. P. : Certains professionnels, comme les médecins, et c’est déjà le cas, vont tomber de leur piédestal notamment avec la montée de la judiciarisation. Je crois beaucoup au développement des pratiques avancées pour les infirmières et infirmiers. Les assistances algorithmiques vont pouvoir réaliser des calculs très pointus et libérer du temps humain. Nous allons avoir un développement des compétences techniques et des métiers encore inconnus vont apparaître. En parallèle, nous allons assister à un accroissement de la segmentation et de la fragmentation des actes. Ils seront séquencés sur la base du modèle capitaliste en une succession de tâches efficientes. Aujourd’hui, le système de santé repose sur des process qui sont suivis pas les praticiens. Dans cette approche, l’initiative individuelle se réduit, voire disparaît. L’autre aspect qui va se développer, c’est celui du patient-expert mais, contrairement au personnage principal, je ne pense pas que ce soit un métier !