Écoutez le cri silencieux des vieux - L'Infirmière Libérale Magazine n° 346 du 01/04/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 346 du 01/04/2018

 

PERSONNES ÂGÉES

Actualité

Adrien Renaud  

« J’ai 85 ans et je vous emm… ». C’était le thème d’un débat organisé dans le cadre des Assises nationales des Ehpad, qui se sont déroulées à Paris mi-mars. Un titre en forme de provocation qui cache une sérieuse question : quand commencera-t-on vraiment à écouter les personnes âgées ?

Les Assises nationales des Ehpad ont rassemblé les 12 et 13 mars derniers tout ce que le monde du vieillissement compte de responsables et de décideurs. Deux jours de discussions entre spécialistes chevronnés, tous contraints de se rendre à l’évidence : pendant des années, le secteur a été incapable d’entendre la voix des personnes âgées, qu’elles résident en Ehpad ou non. Tel était, en tout cas, le principal enseignement d’une table ronde intitulée « J’ai 85 ans et je vous emm… », organisée dans le cadre de ces assises.

Exemple caractéristique de ce manque d’écoute : la décision qui amène à l’entrée en Ehpad, analysée par le sociologue Philippe Bataille. « En raison d’un événement médical, par exemple, des décisions sont prises autour d’une personne âgée, illustre cet universitaire, co-auteur du manifeste « Vieux et chez soi » paru dans Libération en mai dernier. Ces décisions sont fondées sur des arguments comme le risque ou l’isolement. Ce sont des arguments bienveillants mais ils font que la décision ne relève plus de celui qu’elle va concerner. »

Invisibles, en perte d’identité

Et, d’après les participants à la table ronde, la prise en compte de la voix des personnes âgées ne s’améliore guère une fois que l’on est en Ehpad. Philippe Carrier, président de Grey Pride, un collectif d’associations qui milite pour la prise en compte des LGBT (Lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) dans les politiques du vieillissement, prend l’exemple de la sexualité. « Être un bon vieux, c’est surtout ne pas faire apparaître qu’on a des désirs », dénonce-t-il. Une situation particulièrement douloureuse pour les résidents gays ou lesbiens, affirme ce militant, car elle les rend invisibles. « Cette invisibilité conduit à une perte d’identité », résume Philippe Carrier.

Une vieillesse en quête de forums

Faire entendre sa voix, c’est d’ailleurs le vœu de bien des personnes âgées. Le problème, c’est qu’elles trouvent peu de forums disposés à les écouter. C’est pourquoi Marie-Françoise Fuchs, qui fait partie (de son propre aveu) « des plus de 85 ans » et qui a fondé l’association Old’Up, était particulièrement heureuse de s’exprimer devant les Assises des Ehpad. « Pour moi, avoir la possibilité de prendre la parole bien qu’étant arrivée au grand âge, c’est un cadeau », estime-t-elle. Parler, d’accord, mais pour dire quoi ? « C’est important que nous, les vieux, participions au mouvement de création et d’innovation que l’on observe actuellement dans les Ehpad », répond l’octogénaire. Elle estime que les personnes âgées doivent construire l’Ehpad de demain, et non se contenter « d’exprimer leurs besoins ». Voilà pour le côté politique.

Côté pratique, ce que les personnes âgées ont à dire n’est pas forcément facile à entendre pour les Ehpads. « Leur volonté se résume à ces quelques termes : rester dans son logement », indique Philippe Bataille. Une exigence d’autant plus forte que la génération des personnes qui ne sont pas encore dans le grand âge, mais qui vont y arriver, est celle des boomers, bercée par l’idée de liberté. Et elle n’a pas l’intention de « répéter le modèle en place, celui de l’institutionalisation », prévient le sociologue. Voilà qui suppose d’abaisser certaines exigences en termes de sécurité, « car vivre chez soi, même avec un équipement, peut comporter des risques ».

L’autonomie, ennemie des professionnels ?

« Le mot-clé, c’est “autonomie”, renchérit le Dr Jean-Pierre Aquino, délégué général de la Société française de gériatrie et de gérontologie (SFGG), c’est-à-dire la possibilité de décider de ce qu’on a envie de faire et de quand on veut le faire. » Un principe qui peut parfois aller à l’encontre de ce qu’estiment souhaitable les professionnels, reconnaît ce gériatre. Dans ce cas, « il faut savoir accompagner, faire de la médiation ».

Reste une question : si grâce à cette médiation, davantage de personnes restent chez elles, où se trouvent les professionnels qui les aideront à conserver leur sacro-sainte autonomie ? Les Idels, qui sont justement des spécialistes du domicile, auraient pu donner leur avis sur la question. Malheureusement, elles n’ont pas été invitées à la tribune des Assises pour le faire.

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