À bout de forces - L'Infirmière Libérale Magazine n° 345 du 01/03/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 345 du 01/03/2018

 

FIN DE SOINS

L’exercice au quotidien

Olivier Blanchard*   tOad**  

Quand l’un de ses patients est devenu violent, Delphine* a dû interrompre les soins. Elle a frappé à plusieurs portes pour obtenir de l’aide. En vain…

« Le compagnon d’une patiente que je prenais en charge pour une pathologie invalidante, lui-même diabétique, diagnostiqué dépressif et paranoïaque, ne s’entendait pas avec son cabinet infirmier : il nous a demandé de nous occuper de lui. J’ai de l’expérience et je pensais que cela se passerait bien. Le soin était sans difficulté particulière et des patients “difficiles”, on en a déjà eus… Tout s’est très bien passé pendant un an. Mais, un jour, le patient s’est énervé violemment contre ma remplaçante, qui s’est sentie menacée. Il avait besoin d’être dans le contrôle, j’ai mis cet accrochage sur le fait qu’il ne connaissait pas ma remplaçante. Je lui ai dit que ce n’était pas acceptable et qu’il n’y aurait pas de deuxième fois. Mais deux mois plus tard, il a menacé violemment ma nouvelle remplaçante. Nous lui avons donné un “préavis” de trois semaines pour trouver un nouveau cabinet. La situation a dégénéré. Insultes, cris, menaces : chacun de nos passages s’est transformé en cauchemar. Comme il est assez diminué, je ne me sentais pas physiquement menacée, mais il était tout de même capable de faire voler des objets dans la pièce. J’ai essayé d’ouvrir tous les parapluies, d’abord avec la CPAM, qui m’a dit qu’elle comprenait bien la situation, puis avec l’Ordre infirmier, mais ses réponses ont été décevantes : on m’a juste proposé de porter plainte, ce que j’avais déjà fait, et de me faire accompagner par la police pour les soins. Quand, en plein état d’urgence et pendant les fêtes de fin d’année, je l’ai dit aux policiers, ils m’ont ri au nez et je les comprends ! J’ai dû me débrouiller seule et j’ai trouvé un collègue pour faire les soins à ma place le temps du “préavis”. J’ai essayé de continuer les soins à la compagne du patient, mais ce n’était pas possible : j’ai dû confier sa prise en charge à un autre cabinet, de façon définitive. J’ai appris ensuite que le patient avait trouvé un autre cabinet et renvoyé mes collègues avant la fin du “préavis”. Il a tout de même porté plainte contre moi pour “mise en danger de la vie d’autrui”, “responsabilité du fait des commettants” et “non-respect de la déontologie professionnelle” ; j’ai dû prendre un avocat. Ce qui m’a le plus choquée, c’est que l’Ordre ne m’a pas aidée alors que j’étais à bout de forces nerveusement : fallait-il que je sois blessée physiquement pour qu’on me permette de quitter ce patient ? »

* Prénom modifié par souci d’anonymat.

Me Gilles Devers, ancien IDE, avocat et enseignant en droit médical

« Il s’agit de soins prescrits par un médecin : si la prise en charge se révèle impossible du fait du comportement du patient, il faut aviser le médecin pour une intervention de saine autorité ou une hospitalisation. L’article R 4312-12 du Code de la santé publique [pour notamment orienter le patient vers un confrère ou une structure adaptée en cas d’interruption des soins] trace la ligne de conduite. Il pose un principe pour la fin de soins mais n’est opératoire que si l’on trouve un cabinet infirmier pour poursuivre la prise en charge… Il faut être ferme. L’IDE doit accepter beaucoup, et sait gérer les situations complexes. Mais elle est en droit de mettre fin à une prise en charge marquée par les menaces ou la violence. Il faut adresser une mise en demeure écrite, puis une décision de rupture de soins, avec copie au médecin. Cela n’est pas toujours simple. Déposer plainte en revanche ne mènera pas loin, sauf si le commissariat ou la gendarmerie contacte rapidement le patient et lui intime de changer sa manière de faire. La pratique des soins est un contrat : lorsqu’il n’a plus de sens, l’IDE est en mesure d’y mettre fin. »