Fatigue et asthénie - L'Infirmière Libérale Magazine n° 342 du 01/12/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 342 du 01/12/2017

 

Cahier de formation

Savoir

L’asthénie, plus communément appelée fatigue, est un symptôme très fréquent, que les soignants libéraux rencontrent quotidiennement chez leurs patients. Malgré l’absence de recommandations françaises quant à la conduite à tenir face à ce symptôme subjectif, les Idels doivent savoir identifier la nature de la plainte afin d’apporter les conseils et l’orientation appropriés.

DEUX TERMES POUR UN SYMPTÔME

Définition

La fatigue n’est pas une maladie mais un symptôme, qui alerte sur la diminution des capacités de l’organisme et peut être révélateur d’un simple besoin de récupération, mais aussi d’une agression de l’organisme (cancer, infection…) ou d’un désordre intérieur (trouble endocrinien, métabolique ou inflammatoire)(1). Elle revêt, comme la douleur, un aspect très subjectif quant à la façon dont la personne vit la situation. C’est la raison pour laquelle il est important d’être attentif à la plainte « fatigue » et de prendre en compte le ressenti des patients.

Fatigue et asthénie : quelle différence ?

La fatigue physiologique, dite « normale », est un état bien circonscrit dans le temps(2). Elle est associée au cycle circadien et se manifeste par un besoin de sommeil en fin de journée, à l’issue d’un effort, après une activité intellectuelle ou physique intense et/ou sous l’effet de stress soutenus (agressions sonores, tension nerveuse…). Elle signifie que l’organisme a besoin de repos. Le temps de récupération est très variable d’un individu à l’autre, car il est propre à chacun, il dépend de la nature de l’effort, de son intensité et de sa durée. Ce type de fatigue disparaît en général après une bonne nuit de sommeil (« sommeil réparateur »).

Le terme asthénie (du grec sthénie, « force », et a, privatif) définit une fatigue pathologique anormale qui s’inscrit en tant que symptôme non spécifique d’une maladie. Elle peut devenir chronique et ne cède pas au repos. Son intensité est disproportionnée par rapport aux activités ou à l’effort physique produits. Elle peut avoir une cause physique, organique, psychologique, émotionnelle ou fonctionnelle.

En pratique courante, le terme « fatigue » est utilisé de manière générique pour désigner le symptôme, quelle qu’en soit l’origine, physiologique ou pathologique.

Physiopathologie

D’une manière générale, les mécanismes qui engendrent la fatigue témoignent d’une défaillance des métabolismes chimiques du cerveau, en particulier de la perturbation des substances chimiques neurotransmettrices (sérotonine, noradrénaline, dopamine) qui transmettent l’influx nerveux(3).

La fatigue pathologique peut s’expliquer par :

→ l’accumulation de déchets métaboliques causés par la maladie ;

→ l’épuisement, la diminution voire l’incapacité de transport des substrats nécessaires à la production d’énergie des tissus normaux ;

→ des demandes énergétiques élevées créées par la croissance d’une tumeur ou le développement d’une infection(2).

La dépense énergétique supplémentaire, l’épuisement ou la récupération insuffisante en cause dans la fatigue pathologique sont des signaux cérébraux qui apparaissent aussi dans des situations physiologiques (effort intense, repas) dans le but d’alerter le patient afin qu’il diminue ses activités et concentre sa dépense énergétique sur la lutte contre la maladie, la récupération ou la digestion(1).

Manifestations

Sur le plan physique

La fatigue se traduit par un affaiblissement général, une perte de potentiel d’effort (capacité à soutenir un effort), des modifications de la posture, de la gestuelle (maladresses et lenteur), de la démarche ou du ton de la voix(3). Concrètement, la personne marche plus lentement, traîne les pieds, est plus avachie et moins tonique, manifeste le besoin de s’asseoir, se frotte le visage et les yeux, sa voix donne des signes de lassitude… Autant de signes que les Idels peuvent observer, sachant qu’ils peuvent être plus ou moins associés à des douleurs diverses (notamment dans les membres), des troubles digestifs, des maux de tête, des vertiges, une pâleur, un essoufflement rapide sans rapport avec l’effort fourni, ou une sensation de malaise général.

Sur le plan psychique

La fatigue peut se manifester par différents signes : démotivation, anxiété, culpabilité, irritabilité, intolérance à la frustration, symptômes dépressifs. Elle se traduit également au niveau cognitif par des difficultés de raisonnement, de langage, d’attention, de mémoire et de concentration(3).

À noter : chez l’enfant, la fatigue s’exprime rarement directement. Elle peut passer par des comportements (irritabilité, colère, excitation, déficit d’attention, etc.) ou des plaintes apparemment sans cause (maux de tête, de ventre, etc.), voire une baisse des performances scolaires.

ÉPIDÉMIOLOGIE

Généralités

La fatigue comme motif spécifique de consultation concerne 1 à 3 % des consultations de médecine générale(1). En revanche, c’est un motif secondaire de consultation dans environ 25 % des cas. La fatigue liée au stress touche les deux sexes à parité. Les travailleurs manuels, les travailleurs postés, mais aussi les personnes ayant des trajets longs et/ou une activité intense sur le plan intellectuel et stressante sur le plan des responsabilités sont plus exposés.

Une plainte plus souvent féminine

Plusieurs études (De Vriees, 2002 ; Feyen, 1994 ; Godwin, 1999 ; Morrison, 1980 ; Ridsdale, 1994) indiquent que les femmes consulteraient deux à quatre fois plus que les hommes pour ce motif(4).

En cause, le cumul des situations de stress et la dépression. Celle-ci touche deux fois plus la femme que l’homme. Les femmes sont aussi trois fois plus victimes de dépression saisonnière(3). Enfin, les menstruations, la grossesse et l’accouchement ainsi que la ménopause surexposent les femmes à une fatigabilité particulière qui explique que cette plainte soit globalement plus féminine que masculine.

L’adolescence, une période à risque

De façon contradictoire, certaines études (Goldin, 1999 ; Morrison, 1980) concluent à une prévalence de la fatigue plus importante entre 20 et 40 ans et après 75 ans (lire l’encadré en bas à gauche), tandis que d’autres (Martin, 1986) ne mettent en évidence aucune différence significative entre les tranches d’âge(4). Au regard de son expérience, le Pr Jean-Dominique de Korwin, spécialiste de médecine interne et d’hépato-gastro-entérologie, constate que la fatigue chronique s’installe de plus en plus fréquemment à l’adolescence, en lien avec une alimentation mal équilibrée et une vie extrêmement intense et hyperconnectée au détriment du sommeil.

DIFFÉRENTES FORMES

La fatigue physiologique

La fatigue physiologique ou commune est celle normalement attendue chez un individu en bon état de santé physique et mentale lorsqu’il existe un déséquilibre entre l’effort (physique, intellectuel ou mental), le repos et l’alimentation. Elle cède au repos.

La fatigue aiguë

Elle se définit comme une fatigue brutale qui ne répond pas immédiatement au repos. Elle est consécutive à une activité intense sur une période courte et soutenue ou à un épisode pathologique passager. C’est typiquement l’asthénie du convalescent (post-virale, post-infectieuse, post-chirurgicale, post-infarctus, post-accouchement). Elle régresse en général en quelques jours voire en quelques semaines en fonction des individus(1).

La fatigue chronique

Elle se distingue de la fatigue aiguë par sa durée. Par convention, on parle de fatigue chronique lorsqu’elle persiste sur une période de plus de six mois.

Fatigue chronique (FC) versus syndrome de fatigue chronique (SFC)

Bien qu’ils présentent des similitudes en termes d’impact sur la vie quotidienne et de persistance (plus de six mois), la FC se différencie du SFC car elle est liée à une cause identifiable tandis que les causes demeurent inexpliquées dans le cas du SFC.

La fatigue psychique

Normale

Elle apparaît à la suite d’activités mentales ou intellectuelles intenses ou prolongées impliquant un effort d’attention, de mémorisation, de raisonnement ou de jugement et une sollicitation majeure des organes des sens (ouïe, vue). Elle peut être majorée lorsqu’une composante affective s’ajoute à la fatigue intellectuelle, cognitive et psychosensorielle(3).

Pathologique (anormale)

Qu’elle soit liée au stress, à la dépression ou à la prise de toxiques (alcool, cannabis…), la fatigue psychique pathologique est associée à un trouble de l’adaptation responsable d’une anxiété phobique ou obsessionnelle. Elle peut contribuer à l’installation d’une fatigue chronique.

La fatigue matinale ou vespérale

La prévalence matinale et/ou vespérale de la fatigue constitue une indication clinique utile à l’orientation étiologique. Dans la plupart des cas, la fatigue vespérale est normale car elle résulte d’un excès d’activité diurne et cède lorsque l’activité reprend un rythme plus calme et que le sommeil remplit son rôle réparateur. En revanche, une fatigue matinale oriente d’emblée vers une fatigue psychique et des troubles de l’humeur (personnes surmenées, stressées)(1). Dans ce cas, sous l’effet des endorphines et des catécholamines produites par l’organisme, d’une part, et des stimulants (café, cigarettes…), d’autre part, la fatigue a tendance à se dissiper dans la journée. Malheureusement, ce système de compensation disparaît la nuit et la fatigue psychique réapparaît de plus belle le matin. Enfin, lorsque la fatigue est constante du matin au soir et atteint son paroxysme le soir, on s’orientera vers une pathologie organique sévère.

ÉTIOLOGIE

Le symptôme fatigue peut être associé à des situations pathologiques d’origine très variée qui peuvent se cumuler chez une même personne. Dans une étude réalisée sur 176 patients présentant une fatigue d’étiologie non évidente à l’issue de la première consultation, Janet D. Morrison montre qu’au terme de la démarche diagnostique, 39 % des fatigues ont une cause organique, 41 % une cause psychique, 12 % une cause mixte et 8 % une cause indéterminée(5). Il faut donc toujours s’en préoccuper et en rechercher l’étiologie lorsque celle-ci n’est pas évidente d’emblée.

Un signe avant-coureur

La fatigue peut être un symptôme prémonitoire annonçant le début d’une maladie de Parkinson, d’Alzheimer, ou encore d’une maladie vasculaire, endocrinienne ou métabolique.

Un signe révélateur d’une affection organique

Maladies infectieuses

Qu’elles soient virales (grippe, mononucléose infectieuse, hépatites virales, VIH à tous les stades…), bactériennes à foyer infectieux profond (endocardite infectieuse d’Osler, septicémie, tuberculose, brucellose, maladie de Lyme, fièvre Q, rickettsiose(6)) ou plus rarement parasitaires, les maladies infectieuses ont un caractère intrinsèquement asthéniant, comme en témoigne la fatigue physique et musculaire associée à la grippe ou aux hépatites virales, par exemple. Cette fatigue per et post-infectieuse est d’autant plus importante que les agents responsables de l’infection sont à multiplication intracellulaire (ils se développent dans les cellules en modifiant leur fonctionnement normal) ou ayant pour cible des organes tels que le cœur, le système nerveux central ou le foie(5).

Maladies chroniques par défaillance d’organes vitaux

Insuffisance respiratoire ou cardiaque, trouble du rythme, valvulopathie, bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), hypertension artérielle pulmonaire, hypotension artérielle, insuffisance rénale chronique… sont autant de situations pathologiques pourvoyeuses de fatigue. La plupart sont provoquées en dehors de tout effort, par le manque d’oxygénation de l’organisme consécutif à l’altération de la circulation sanguine ou de la respiration.

Maladies hématologiques

Une hémopathie maligne (leucémie, lymphome…) peut être à l’origine de fatigue du fait de l’altération de la formule sanguine. De même, une fatigue permanente aggravée par le moindre effort alors que la personne ne présente aucun trouble, cardiaque ou respiratoire notamment, peut avoir pour cause une anomalie sanguine. Il s’agit le plus souvent d’une anémie consécutive à un déficit en fer causé par des troubles nutritionnels, des menstruations abondantes ou une hémorragie digestive à bas bruit (ulcère gastroduodénal asymptomatique, cancer colique, malformation vasculaire intestinale), par exemple. Il faut aussi penser à la maladie cœ;liaque ou à l’infection gastrique par Helicobacter pylori, responsable d’une malabsorption du fer.

Maladies endocriniennes

La fatigue est fréquemment associée au dysfonctionnement des glandes endocrines. Elle accompagne notamment :

→ l’hypo- et l’hypercorticisme : sécrétion anormalement basse ou haute d’hormones (cortisol) par les glandes surrénales ;

→ l’hypo- ou l’hyperthyroïdie ;

→ l’hypopituitarisme : déficit global en hormones hypophysaires chargées de stimuler la production des hormones thyroïdiennes, sexuelles et du cortisol ;

→ l’hyperparathyroïdie : sécrétion exagérée de parathormone (PTH) par une ou plusieurs glandes parathyroïdes, entraînant une élévation du taux de calcium dans le sang ;

→ l’hyperglycémie : diabète.

Maladies neuromusculaires

Polyradiculonévrite, myopathie, myasthénie, myosites, sclérose en plaques (SEP), maladie de Parkinson… Ces pathologies, liées à l’atteinte des nerfs ou des mécanismes qui permettent la transmission neuromusculaire, entraînent une fatigue parfois intense par déficit de la force musculaire.

Cancers

Tous les cancers peuvent entraîner un état de fatigue lié à la maladie elle-même, en particulier à un stade métastatique, ou aux traitements (chimiothérapie et radiothérapie).

Maladies auto-immunes ou inflammatoires

Les maladies systémiques (lupus, vascularite), les rhumatismes inflammatoires (polyarthrite rhumatoïde, spondylarthropathie) et les entéropathies inflammatoires (maladie cœliaque, maladie de Crohn…) sont réputées asthéniantes en raison de l’inflammation ou des troubles nutritionnels.

Troubles du sommeil

L’apnée du sommeil (syndrome d’apnée du sommeil, SAS), le syndrome des jambes sans repos et l’insomnie altèrent la qualité et la durée du sommeil, qui n’assure plus sa fonction de récupération. La fatigue s’installe progressivement et peut s’accompagner de somnolence diurne et, dans le cas du SAS, de troubles de la mémoire et de la concentration consécutifs à la souffrance cérébrale induite par le déficit d’oxygénation du cerveau.

Autres causes

Carences en fer (provoquées par des menstruations, une grossesse…), déficit en vitamines, malnutrition, maladies de surcharge (hémochromatose, surcharge en fer), amyloses(7), maladie de Fabry(8). Un déficit en vitamines consécutif à un manque d’apports nutritionnels (vitamines B1, B6, D) ou un défaut d’absorption digestive (vitamine B12), possiblement lié à des régimes d’éviction drastique (à l’instar du véganisme), peut entraîner une fatigue musculaire ou neurologique(3).

La conséquence de la prise de toxiques ou de médicaments

Substances toxiques

La fatigue dite toxique est entraînée par une intoxication générale de l’organisme. L’étiologie toxique est souvent négligée alors qu’un interrogatoire clinique bien conduit permet généralement d’en établir le diagnostic(3).

Alcool, drogues, tabac, caféine

→ Alcool : la fatigue toxique la plus fréquente est liée à la dépendance ou à l’abus d’alcool et résulte de sa toxicité sur le foie, le cerveau et les nerfs, qui commandent l’activité motrice(3). L’atteinte cérébrale est à l’origine d’une lenteur des processus intellectuels et d’une altération de la transmission nerveuse, responsable d’une baisse de la force musculaire et d’une fatigue physique qui prédomine au niveau des jambes.

→ Drogues : l’usage de drogues (cannabis, cocaïne, crack), d’emblée plutôt stimulant, a un effet fatigue rebond à distance.

→ Tabac : le tabac entraîne un déficit d’oxygénation pulmonaire chez les grands fumeurs et majore la fatigue liée à une pathologie préexistante (BPCO, par exemple).

→ Caféine : généralement utilisée comme stimulant, la caféine peut, lorsqu’elle est consommée en excès, masquer la sensation de fatigue, entraîner une sur-stimulation de l’organisme au-delà de son seuil de résistance et provoquer, en réaction, une majoration de la fatigue, voire un épuisement.

Intoxication au plomb ou au monoxyde de carbone

La fatigue constitue, avec les douleurs articulaires, les maux de tête et les crampes abdominales, un des signes avant-coureurs de l’intoxication au plomb(9). C’est aussi l’un des symptômes non spécifiques, avec les maux de tête, les nausées, les vertiges, les vomissements et la confusion mentale, de l’intoxication aiguë ou chronique au monoxyde de carbone(10).

Médicaments

La fatigue est un effet secondaire de nombreux médicaments : psychotropes, sédatifs, antidépresseurs, diurétiques, antalgiques, antihistaminiques, interférons, certains antihypertenseurs (lire l’encadré en bas à gauche). Cette étiologie doit être connue des Idels, qui ont en charge la préparation des piluliers ou l’administration des médicaments. Elles peuvent alerter ainsi le médecin afin de reconsidérer l’ordonnance, en particulier chez les sujets âgés polypathologiques, qui peuvent cumuler plusieurs médicaments présentant ce risque.

Asthénies psychiques d’origine somatique

Elles s’observent en cas de tumeur cérébrale, de démence, d’épilepsie ou de SEP.

Asthénies fonctionnelles

Ces fatigues, liées au mauvais fonctionnement d’un organe ou d’un système, regroupent des désordres différents des causes précédemment abordées. Ces désordres présentent des caractéristiques symptomatiques qui permettent de les identifier suivant des critères internationaux. En France, la dénomination de « syndromes somatiques fonctionnels » est aujourd’hui souvent utilisée pour les distinguer des troubles psychologiques ou psychiatriques (néanmoins associés chez une minorité de patients). Ils regroupent notamment :

→ la fibromyalgie, plus fréquente chez les femmes et souvent associée aux rhumatismes inflammatoires. La fatigue s’installe lorsque les douleurs chroniques perturbent le sommeil et que la personne ne parvient pas à récupérer ;

→ le syndrome de l’intestin irritable, dont les poussées symptomatiques sont accompagnées d’une fatigue fréquente ;

→ le syndrome de fatigue chronique (SFC), encore appelé encéphalomyélite myalgique (EM) ou, depuis 2015, syndrome d’intolérance systémique à l’effort (SISE). Le SFC ne dispose d’aucun marqueur biologique spécifique permettant d’affirmer le diagnostic. Celui-ci repose donc uniquement sur la clinique, par exclusion des autres causes de fatigue chronique. Compte tenu de la multiplicité des anomalies associées à ce syndrome, les critères récemment proposés par l’Institute Of Medicine américain (IOM) apportent un éclairage nouveau et présentent l’intérêt d’être faciles à utiliser en pratique clinique pour définir et identifier ce syndrome (lire l’encadré ci-contre).

DIAGNOSTIC : PROCÉDER PAR ÉLIMINATION

Si une plainte pour fatigue est exprimée de manière appuyée, l’Idel doit s’y intéresser et suggérer au patient de consulter. Au-delà de trois mois, une fatigue persistante doit faire l’objet d’un premier bilan diagnostique. Il n’existe aucune démarche diagnostique de la fatigue validée en France. Celle-ci peut néanmoins reposer sur les recommandations de bonnes pratiques en médecine générale proposées par la Société scientifique de médecine générale (SSMG)(4), qui privilégient l’écoute de la plainte, l’approche clinique (anamnèse, examen clinique) et la réalisation d’examens complémentaires non systématiques dans le cadre d’un diagnostic différentiel : une démarche à la faveur de laquelle 90 % des fatigues d’origine organique peuvent être diagnostiquées(1).

Bases du diagnostic

L’interrogatoire clinique

Il permet d’écarter une fatigue physiologique, de définir s’il s’agit d’une plainte principale, isolée, ou d’une plainte associée à d’autres symptômes ou facteurs de risque. Il permet également d’établir les composantes psychologiques de la fatigue. L’intérêt porté à la plainte fatigue est essentiel pour établir la relation, en donnant au patient la possibilité de s’exprimer sur son ressenti(1,4). Karin Michaelis Conus recense ainsi les « questions essentielles que doit se poser le médecin dans sa démarche clinique » : la présence de signes ou symptômes organiques, la présence de symptômes psychiques, la prise de médicaments toxiques(4)… L’interrogatoire doit par exemple permettre de voir, dès une fatigue aiguë, si celle-ci est liée à un trouble alimentaire sous-jacent, à l’image d’un patient qui ne mangerait pas assez de protéines ou de glucides.

L’examen clinique

Les éléments retenus lors de l’anamnèse permettent d’orienter l’examen clinique. Celui-ci sera plus ou moins extensif en fonction du profil (durée, gravité…) de la fatigue et comportera notamment un examen détaillé de la peau, la palpation de la thyroïde, des aires ganglionnaires et de l’abdomen, l’auscultation cardio-pulmonaire, un examen neurologique précis, un examen de la gorge, une prise de pression artérielle en positions couchée et debout, la recherche de signes d’anémie, d’insuffisance cardiaque, d’affection respiratoire, d’infection occulte, de connectivite (maladie inflammatoire diffuse du tissu conjonctif), de tumeur, etc.(4).

Les examens médicaux complémentaires (examens paracliniques)

En théorie, la littérature considère qu’une fatigue aiguë ne doit faire l’objet d’aucune investigation en routine et qu’en cas de fatigue chronique, un bilan approprié et ciblé ne doit être programmé que si les conclusions de l’anamnèse et de l’examen clinique permettent d’en poser l’indication.

La théorie à l’épreuvede la pratique

Bilan de première intention

Dans la pratique, en dépit des indications théoriques, les médecins et spécialistes recourent fréquemment à la biologie clinique dans un contexte de fatigue sans symptômes accompagnateurs. D’une part, parce qu’un bilan peut avoir un pouvoir « rassurant » et efficace sur la résolution de la fatigue ; d’autre part parce que la maladie peut être présente malgré l’absence de signes et de symptômes cliniques. C’est la raison pour laquelle la SSMG indique, au regard de l’avis et de l’expérience clinique des praticiens, qu’un bilan biologique type pourrait être prescrit en première intention. Il comporte(4) : C réactive protéine (CRP), hémogramme, ferritine (seul dosage du fer ayant montré un intérêt chez les femmes en âge de procréer), Na (sodium), K (potassium), Ca (calcium), créatininémie, glycémie à jeun, AST (aspartate aminotransférase), ALT (alanine aminotransférase), gamma-GT (gamma-glutamyl transpeptidase), TSH (Thyroid Stimulating Hormone, dosage de la concentration sanguine de thyrotropine), sédiment urinaire. Cette proposition d’examen type à réaliser dans ce contexte spécifique n’est pas plus précise que cela. Toutefois, il est possible de la compléter au cas par cas en fonction de l’âge et des antécédents des patients, ce qui reste à la discrétion du prescripteur. Par exemple, pour les patients âgés fatigués sans symptôme accompagnateur, selon les recommandations de bonnes pratiques, « il semble justifié de contrôler la VS [vitesse de sédimentation], l’hémoglobine, la NFS [numération formule sanguine] et la glycémie », des examens courants non spécifiques généralement prescrits.

Du général au particulier

Si la fatigue persiste malgré un bilan préliminaire normal, d’autres examens biologiques et d’imagerie peuvent être envisagés pour écarter des diagnostics plus complexes(1) :

→ électrophorèse des protéines : permet de mettre en évidence un déficit immunitaire ou une gammapathie monoclonale par le dosage des gammaglobulines, un déficit nutritionnel profond par le dosage de l’albumine, une inflammation chronique par le dosage des alphaglobulines ;

→ dosage du cortisol sanguin ou urinaire : insuffisance surrénalienne ;

→ dosage des CPK (enzymes musculaires) : intéressant chez les personnes prenant des statines au long cours car celles-ci peuvent provoquer une cytolyse musculaire responsable de fatigue (le sujet a du mal à réaliser un effort prolongé) ;

→ sérologies virales : hépatites B et C, VIH ;

→ scanner thoraco-abdomino-pelvien (notamment détection du cancer du rein et du pancréas, qui peuvent être complètement asymptomatiques en dehors de la fatigue) ;

→ électromyogramme : pour objectiver un déficit de la conduction nerveuse ou de la transmission neuromusculaire, ou une myosite.

Au terme de cette démarche, il reste en général 4 à 5 % de cas de fatigues chroniques inexpliquées, qui correspondent aux fatigues chroniques fonctionnelles (lire la partie « Asthénies fonctionnelles », p. 38) et doivent faire l’objet d’une approche diagnostique spécifique(1).

PRISE EN CHARGE

La prise en charge de la fatigue n’est pas codifiée car il n’existe aucun traitement médical spécifique de ce symptôme. Néanmoins, cette plainte peut, en fonction du contexte, bénéficier de différentes approches thérapeutiques.

Fatigue de cause non identifiée : orienter le patient vers une consultation spécialisée

Lorsque les examens prescrits par le médecin traitant ne révèlent aucune cause pathologique courante, que les traitements ont échoué et que la fatigue persiste et perturbe la qualité de vie quotidienne malgré le repos et l’observance d’une bonne hygiène de vie, le patient doit être pris en charge de manière plus spécifique. Il doit alors être orienté vers une consultation spécialisée dans un centre pluridisciplinaire (dont il n’existe pas de liste) ou un service de médecine interne, qui présente l’intérêt de pouvoir appréhender le sujet dans sa globalité, en mettant en rapport les différentes affections dont il peut souffrir.

Fatigue liée au mode de vie : accompagner, conseiller, éduquer

Dans ce contexte, l’approche thérapeutique repose principalement sur une prise en charge globale (écoute, accompagnement, relation d’aide) et sur l’éducation thérapeutique des patients quant à la nécessité d’une hygiène de vie saine (lire la partie « Savoir faire », p. 43). Il n’y a pas d’utilité démontrée à recourir systématiquement à des produits antifatigue tels que toniques, vitamines, minéraux… dont l’usage n’est pas dénué de risque (toxicité, interactions médicamenteuses) (lire le verbatim du Pr Jean-Dominique de Korwin, p. 40). Néanmoins, ils peuvent aider à la prise en charge globale et comportementale, sous réserve que leur utilisation soit encadrée.

Fatigue de cause pathologique identifiée : traitement étiologique

Si la fatigue est clairement liée à une cause déterminée et dûment diagnostiquée, son traitement est avant tout celui de la maladie causale (traitement hormonal en cas de trouble thyroïdien, supplémentation en fer en cas d’anémie, antidépresseurs et psychothérapie en cas de dépression, par exemple). Les patients relèvent dans ce cas d’une prise en charge par le spécialiste concerné (endocrinologue, cardiologue, pneumologue…). Celle-ci permet dans la plupart des cas de corriger la fatigue liée à la maladie, sauf lorsque ses traitements sont eux-mêmes pourvoyeurs de fatigue (radiothérapie, chimiothérapie, par exemple). Dans ce cas, ils doivent être assortis de recommandations spécifiques (lire la partie « Savoir faire », p. 45).

(1) Entretien avec le Pr Jean-Dominique de Korwin, spécialiste en médecine interne et hépato-gastro-entérologie.

(2) Hélène Patenaude, Céline Gélinas, Sylvie Vandal, Lise Fillion, “Élaboration d’un cadre conceptuel pour expliquer la fatigue secondaire à une difficulté de santé et implications pour la pratique infirmière”, Recherche en soins infirmiers, 2002 ; 70 : 66-81 (lien : bit.ly/2jqpYQG).

(3) Maurice Ferreri, Flavie Baudrier, Réponses à vos questions sur la fatigue, Éditions Solar, 2005.

(4) Catherine Magnette, Bob Gérard, SSMG, “La plainte fatigue en médecine générale. Recommandations de bonne pratique”, 2005 (lien : bit.ly/2AE71xg).

(5) Christian Massot, “Asthénie” (186), Corpus médical, Faculté de médecine de Grenoble, juillet 2002 (lien : bit.ly/2hz9Go6).

(6) Infection due à des bactéries de la famille des rickettsies vivant en parasite de certains arthropodes et notamment des tiques, poux, puces et acariens.

(7) Agrégation de fragments d’immunoglobulines (chaînes légères d’anticorps) ou de protéines (inflammatoires) sous forme de fibrilles qui se déposent dans les tissus des reins, du cœur, du foie, des nerfs…

(8) Maladie métabolique rare progressive multisystémique héréditaire de surcharge lysosomale, caractérisée par des symptômes neurologiques, dermatologiques, rénaux, cardiovasculaires, cochléovestibulaires et cérébrovasculaires (lien : bit.ly/2hzyc8r).

(9) Ministère du Travail de l’Ontario, “Les effets [du plomb] sur la santé” (lien : bit.ly/2zCbrI4).

(10) Centre antipoisons belge, “Quels sont les symptômes d’une intoxication au CO ?” (lien : bit.ly/2mqitdp).

La fatigue des sujets âgés

La plainte fatigue chez les sujets âgés (SA) est souvent négligée car perçue comme une fatalité liée à l’âge. Or, elle peut avoir une origine organique inconnue ou préexistante (problème cardio-vasculaire ou pulmonaire), être liée au déconditionnement musculaire fréquent chez les SA, ou encore être consécutive à des troubles du sommeil (apnée du sommeil, notamment), eux-mêmes souvent banalisés du fait de l’âge. Elle peut aussi résulter d’une dénutrition consécutive à des problèmes bucco-dentaires, financiers ou psycho-sociaux (solitude, dépression…). Autant de facteurs que les Idels peuvent repérer par l’observation et/ou par une écoute attentive des patients dans le but de mettre en place les aides nécessaires (intervention d’une assistante sociale, portage de repas, cuisine à domicile*…) et de les orienter vers une prise en charge médicale appropriée.

* À titre d’exemple, certains réseaux d’agences de service à la personne (Petits-fils, Ad Seniors, Adhap Services…) proposentun service de préparation des repas à domicile réalisés en fonction des goûts, des envies, du régime éventuel et des capacités masticatoires résiduelles de la personne âgée.

Médicaments mentionnant la fatigue comme effet indésirable potentiel

→ 108 classes médicamenteuses ont la fatigue pour effet indésirable, selon la banque de données sur les médicaments Thériaque. De son côté, la Société scientifique de médecine générale (SSMG), dans ses recommandations de bonne pratique, met en avant les médicaments à connaître en priorité. Les voici.

AINS • Alphabloquants • Antiarythmiques • Anticholinergiques-Antidépresseurs-Antiépileptiques-Antihistaminiques et anti-H2 • Antihypertenseurs (toutes les classes) • Antiviraux-Benzodiazépines, tranquillisants • Calcitonine-Cisapride (agoniste des récepteurs de la sérotonine, ou 5-HT4, indiqué dans le RGO) • Cytostatiques • Diphosphonates • Diurétiques • Glitazones • Glycosides cardiotoniques- • Hormones sexuelles • Hypocholestérolémiants (fibrates, statines) • Immunosuppresseurs • Interférons Isoniazide (antibiotique bactéricide, agissant électivement sur les bacilles de Koch) • Laxatifs • Méthotrexate • Neuroleptiques • Oxybutynine (antispasmodique de type anticholinergique prescrit dans les instabilités vésicales)-Phénytoïne (anticonvulsivant) • Sulfasalazine (anti-inflammatoire intestinal prescrit pour les rectocolites hémorragiques, la maladie de Crohn…) • Tramadol, tilidine (opioïde) • Triptans • Vaccins.

Source : SSMG, “Recommandations de bonnes pratiques”, 2005.

Le syndrome d’intolérance systémique à l’effort, nouveau nom du syndrome de fatigue chronique

En 2015, l’IOM (Institute Of Medicine américain) a défini une nouvelle entité, le « syndrome d’intolérance systémique à l’effort » (SISE), renommant ainsi le SFC sur la base de critères cliniques jugés pertinents au vu de l’étude exhaustive et critique de la littérature et des enquêtes réalisées auprès d’experts et de patients(1). Ces critères succèdent aux cadres diagnostiques cliniques du SFC (critères de Fukuda, 1994 ; critères consensuels d’encéphalomyélite myalgique, 2011) qui prévalaient jusqu’à présent.

→ Le SISE est défini par(2) :

• trois symptômes obligatoires :

– fatigue depuis au moins six mois, intense, nouvelle ou d’un début défini, ne résultant pas d’un effort excessif continu et non améliorée par le repos, avec réduction substantielle ou altération du niveau des activités personnelles, professionnelles ou sociales auparavant réalisées ;

– malaise post-effort physique, intellectuel ou émotionnel(3) ;

– sommeil non réparateur(3) ;

 au moins une des deux manifestations suivantes :

– altération cognitive(3) engendrant des difficultés de concentration et d’exécution des tâches, plus ou moins troubles de la mémoire ;

– ou intolérance orthostatique.

Une étude réalisée par l’association française du SFC sur 164 patients ayant fait l’objet d’un diagnostic de SFC(4) montre que 84 % d’entre eux répondent à ces critères simplifiés(5). Ils pourraient donc, dès lors que cette démarche diagnostique sera validée (validation en cours), faciliter considérablement le diagnostic de SFC et permettre ainsi aux patients qui en souffrent d’être reconnus et pris en charge beaucoup plus rapidement.

(1) Institute of Medicine, Beyond myalgic encephalomyelitis/chronic fatigue syndrome : redefining an Illness, Washington DC: The National Academic Press, 2015.

(2) Jean-Dominique de Korwin, “Syndrome de fatigue chronique”, Association française du syndrome de fatigue chronique, 2016 (lien raccourci : bit.ly/2yztPgR).

(3) La tolérance et la sévérité des symptômes doivent être évaluées. Le diagnostic doit être revu si le patient ne présente pas ces symptômes au moins la moitié du temps avec une intensité moyenne, substantielle ou sévère.

(4) Jean-Dominique de Korwin et al., “Le syndrome de fatigue chronique : une nouvelle maladie ?”, Revue de médecine interne, 2016 ; 37 (12) : 811-819.

(5) Jean Campagne et al., “Les nouveaux critères américains (SEID) du syndrome de fatigue chronique à l’épreuve des patients : résultats d’une enquête nationale (résumé des résultats de l’étude présentés au 73e Congrès français de médecine interne)”, Revue de médecine interne, 2016 ; 37 (Suppl. 1) : A68-A69.

Point de vue

Produits “antifatigue” : quel usage ?

Pr Jean-Dominique de Korwin, spécialiste de médecine interne et d’hépato-gastro-entérologie

« Hormis une carence biologiquement avérée, la supplémentation en vitamines, fer, magnésium, oligoéléments, acides aminés et autres substances stimulantes utilisées en automédication ou en traitement d’appoint de la fatigue n’a pas d’intérêt. L’efficacité de ces « traitements » antiasthéniques n’a d’ailleurs pas été évaluée. Pour autant, leur prescription peut servir de support pour motiver le patient à se prendre en charge. C’est un réel facteur de renforcement thérapeutique car le patient se sent écouté et sa plainte prise en compte, ce qui l’encourage à suivre les conseils hygiéno-diététiques qui lui sont prodigués et qui peuvent, dans la majorité des cas, faire céder une fatigue physiologique. Les Idels peuvent donc s’inspirer de cette stratégie pour accompagner et conseiller les patients. Toutefois, elles doivent avoir à l’esprit que ces stimulants ne sont pas dépourvus d’effets secondaires en cas de mésusage (une surdose de vitamines B1 ou B6 peut engendrer une toxicité neurologique, par exemple) et qu’une utilisation prolongée peut masquer la perception de la fatigue et favoriser la survenue d’un véritable épuisement. Il est donc important de rappeler aux patients que ces « traitements » s’emploient sur de courtes périodes et non en traitement de fond. »