Coordination et anticipation en fin de vie - L'Infirmière Libérale Magazine n° 341 du 01/11/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 341 du 01/11/2017

 

Cahier de formation

Savoir faire

Cas pratique

L’épouse de M. P., atteint de sclérose latérale amyotrophique, s’inquiète auprès de vous que son mari vienne d’être mis sous morphinique la veille d’un long week-end (médecin non joignable) car une amie lui a dit que ce traitement constipait beaucoup.

Vous lui expliquez que ce traitement va soulager son mari et que, lors de votre intervention quotidienne, l’évaluation du transit fait partie de votre surveillance clinique. Par ailleurs, le médecin traitant a prescrit un laxatif quotidien et vous a laissé une prescription anticipée prévoyant des suppositoires d’Éductyl à 48?heures sans selles et un lavement de Normacol à 72 heures.

L’INTÉRÊT DES RÉSEAUX DE SANTÉ

Le cadre général des réseaux de soins palliatifs(1) a pour mission de favoriser le maintien à domicile et d’assurer la continuité des soins ainsi que de soutenir et accompagner les familles, les proches et les professionnels. Le rôle des réseaux consiste à évaluer les besoins, à identifier les problèmes et les anticiper, qu’ils soient d’ordres médical, social ou psychologique. Ils mettent tout en œuvre pour garantir le respect de la personne et ses droits fondamentaux. Les réseaux de santé sont financés par les Agences régionales de santé (ARS), dans le cadre du Fonds d’intervention régional (FIR).

Conseils, soutien aux professionnels du domicile

Quelle que soit l’origine du signalement, l’équipe de coordination du réseau s’assure que le patient corresponde aux critères d’inclusion (accord du médecin généraliste, pathologie, gravité de la situation, secteur géographique). Les réseaux de santé sont tous soumis à la même législation ; néanmoins, chacun a un mode de fonctionnement et est constitué d’une équipe de coordination spécifique. Celle-ci ne se substitue pas aux professionnels, elle intervient en deuxième ligne. Elle joue un rôle de conseil, de soutien, de tiers auprès des professionnels, des patients et de leur entourage. Le médecin généraliste peut échanger avec les médecins coordinateurs du réseau pour une prise de décision thérapeutique. Il en est de même pour l’infirmière coordinatrice du réseau : elle apporte une expertise en soutien aux infirmiers libéraux qui assurent les soins, grâce au partage d’expérience, à la diffusion des bonnes pratiques. Elle peut proposer des visites conjointes, organiser des staffs afin d’évoquer les situations qui nécessitent une réflexion interdisciplinaire.

Soutenir les patients et leurs proches

Sur le plan social, l’assistante sociale du réseau peut réaliser un bilan, anticiper les démarches administratives et accompagner dans les démarches si besoin. Sur le plan psychologique, un soutien est proposé au patient, à son entourage et aux professionnels impliqués. L’intervention de psychologue est financée par le réseau.

Un plan de soins construit en collaboration

À la suite de la première visite d’évaluation, l’équipe de coordination du réseau informe de son intervention les professionnels impliqués(2) et élabore avec eux le plan de soins. Le suivi des propositions se fait par une réévaluation téléphonique régulière, auprès des patients et des professionnels. La fréquence des réévaluations au domicile est adaptée au regard de l’évolution des symptômes, des difficultés nouvelles qui peuvent apparaître.

Par exemple, les protocoles médicaux, les prescriptions personnalisées anticipées, la trousse d’urgence, les demandes anticipées en unité de soins palliatifs sont des moyens mis à disposition des professionnels et des patients, dans un souci d’anticipation.

Les visites à domicile conjointes permettent également aux professionnels impliqués de faire le point sur la situation avec l’équipe de coordination du réseau, de réfléchir aux possibilités de renforcer les aides et leur coût, d’envisager les alternatives au maintien à domicile. Le partage des informations entre les professionnels relevant des champs médical, social et sanitaire, directement concernés par le patient, est maintenant possible. À condition que les informations soient utiles à l’accompagnement et sécurisées(3).

Miser sur la complémentarité

Le travail en réseau permet de rompre l’isolement des professionnels libéraux, d’apporter un éclairage interdisciplinaire face à des situations de plus en plus complexes et qui s’inscrivent dans la durée. Celles-ci convoquent plusieurs champs de compétence (médical, social, psychologique, éthique…). Cette complémentarité favorise le maintien à domicile des patients aussi longtemps que possible, permet de lutter contre l’épuisement des proches et des professionnels et souligne l’importance d’être à plusieurs pour réfléchir, de réaliser qu’il n’existe pas de réponse stéréotypée.

Selon les territoires, la fonction d’expertise en soins palliatifs est assurée par les équipes des réseaux ou des équipes mobiles de soins palliatifs, le plus souvent rattachées à une structure hospitalière.

À noter : la mission de coordination est aussi portée, par voie réglementaire, par d’autres dispositifs comme les Ssiad coordonnés par une infirmière encadrant aides-soignantes et médico-psychologiques ou encore les HAD disposant d’un médecin qui coordonne les professionnels et les structures d'amont et d’aval(4).

DES OUTILS POUR ANTICIPER LES SITUATIONS DIFFICILES AU DOMICILE

Les prescriptions anticipées personnalisées

Elles doivent être précédées de l’examen du malade par le médecin et sont précieuses pour les infirmières, en particulier lorsqu’un médecin est difficilement joignable (nuit, week-end…). Elles permettent de prévenir les risques d’évolution de la situation et de limiter l’inconfort du patient. Elles doivent être écrites, datées et signées comme toute autre prescription, et décrire dans quelles situations elles seront mises en œuvre. Cela permet également d’avoir les médicaments disponibles au domicile en cas de besoin. Par exemple, pour un patient ayant déjà une PCA (analgésie contrôlée par le patient) d’Oxynorm (oxycodone), le médecin a prescrit en anticipation : « Si détresse respiratoire, soit fréquence respiratoire supérieure à 25 par minute : réaliser un bolus d’Oxynorm à refaire au bout de dix minutes si nécessaire, associé à du Tranxène (clorazépate dipotassique) 10 mg dans 50 cc de NaCl en vingt minutes », prescription assortie d’une autre pour la pharmacie. Certains médecins restent encore réticents à ce type de prescription, souvent faute d’y avoir été formés ou d’avoir l’habitude de travailler en équipe.

Communiquer avec les services d’urgence

Une des craintes des infirmières, mais aussi des patients et de leur proches, est de ne pas pouvoir joindre un médecin en dehors des heures “ouvrables” et que le patient se retrouve aux urgences alors que c’est rarement sa place en situation palliative. Pour éviter cela, le médecin traitant peut laisser des indications sur la situation à son confrère de garde. Il est également possible de laisser au domicile sous pli une fiche (remplie par le médecin traitant avec le patient) proposée par la SFAP et intitulée “Urgence Pallia” (via le lien raccourci bit.ly/2yfcOt4), permettant une aide à la prise de décision du médecin des urgences mais aussi le respect de la volonté du patient, notamment s’il ne peut plus s’exprimer. Y sont notamment inscrits les actes médicaux que le patient accepte ou refuse (réanimation, ventilation non invasive…).

Envisager un lit de soins palliatifs

→ Les unités de soins palliatifs, souvent des petites structures, ont des missions de soins pour les personnes présentant les situations les plus complexes, notamment venant du domicile, que ce soit sur le plan clinique ou éthique… Elles constituent des lieux adaptés aussi pour l’accueil des familles, des proches. Elles ont également des missions de formation et de recherche.

→ Les lits identifiés se trouvent dans des services fortement concernés et impliqués dans les soins palliatifs. Cette reconnaissance leur permet de bénéficier de moyens facilitant la prise en charge et l’accompagnement. Il s’agit d’un premier niveau de recours permettant un relais pour les prises en charge difficiles ou un répit pour les proches.

(1) Article L. 6321-1 du Code de la santé publique, loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, relative aux droits des maladeset à la qualité du système de santé, .

(2) La présence des professionnels reste à leur libre appréciation et en fonction de leurs disponibilités.

(3) Loi 206-41 du 26 janvier 2016de modernisation de notre système de santé et décret n° 2016-994 du 20 juillet 2016 relatif aux conditions d’échange et de partage d’informations entre professionnels de santé et autres professionnels des champs social et médico-social et à l’accès aux informations de santé à caractère personnel.

(4) Circulaire N° DHOS/O3/2006/506 du 1er décembre 2006 relative à l’HAD (bit.ly/2iwAeX2).

Entretien
Jean-Michel Pomies Pharmacien d’officine, Union régionale des professionnels de santé des pharmaciens d’Occitanie

L’anticipation est importante pour la “chaîne de soins”

Quel est le rôle essentiel du pharmacien d’officine auprès des patients en soins palliatifs ?

Si l’on doit retenir quelques mots clés : disponibilité, confidentialité et proximité. À cela s’ajoute la relation de confiance : le pharmacien connaît souvent le patient et sa famille, ainsi que leur histoire, depuis longtemps. Les pharmaciens qui font du maintien à domicile ont l’habitude du travail d’équipe (médecin, Idel…) avec des objectifs communs, ce qui rassure patient et aidants. L’anticipation est aussi importante pour éviter les ruptures dans la “chaîne de soins”, les pharmaciens étant confrontés à des limites ou à des ruptures de stock. Faire le point avec l’infirmière libérale la veille d’un week-end et avec le médecin traitant qui sécurise le système avec des prescriptions anticipées est important, notamment pour les antalgiques opioïdes.

Le pharmacien d’officine a-t-il des liens avec ses homologues hospitaliers avant le retour à domicile du patient ?

Cette démarche reste encore assez marginale mais évolue peu à peu, dans le cadre de certains projets en cancérologie notamment. C’est le cas aussi dans le cadre de la conciliation médicamenteuse qui permet de réduire les erreurs médicamenteuses. Le pharmacien d’officine fait partie de l’une des sources d’information différentes sollicitées par l’hôpital permettant de connaître le traitement du patient.

Quelles formations en soins palliatifs pour les pharmaciens ?

La loi Claeys-Léonetti* prévoit que la formation initiale et continue des pharmaciens, tout comme pour les autres professionnels de santé, comporte un enseignement sur les soins palliatifs. Les pharmaciens peuvent également s’inscrire en formation continue au DIU de soins palliatifs ou encore de maintien à domicile par exemple.

* Loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.