“Procès” ou simple échange ? - L'Infirmière Libérale Magazine n° 340 du 01/10/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 340 du 01/10/2017

 

RELATION À L’ASSURANCE MALADIE

Actualité

Laure Martin  

Depuis le début de l’été, des Caisses primaires d’Assurance maladie (CPAM) invitent par courrier des infirmières libérales à une “rencontre” pour parler de leur exercice et leur facturation. Cette démarche suscite des craintes sur les réseaux sociaux. Faut-il vraiment s’en inquiéter ?

« Des infirmières libérales de toute la France nous ont téléphoné ces derniers mois, inquiètes, pour nous informer qu’elles avaient reçu un courrier de leur CPAM », rapporte Élisabeth Maylié, présidente de l’Organisation nationale des syndicats d’infirmiers libéraux (Onsil). Dans cette lettre, identique à plusieurs CPAM, ces dernières expliquent qu’en raison de la hausse des remboursements, elles souhaitent « rencontrer certains professionnels afin d’échanger avec eux sur leur pratique quotidienne, leur organisation et le contenu de leur facturation pour l’année 2016, de façon à comprendre » la hausse générale des remboursements de soins infirmiers.

« Ne rien signer »

Pour l’Onsil, cette démarche des caisses est inadmissible. « Nous conseillons aux infirmières de ne pas se rendre à ce rendez-vous, d’autant plus que le courrier ne fait référence à aucune procédure, ou alors d’y aller accompagnées et de ne surtout rien signer », soutient Élisabeth Maylié*. Pour le syndicat, il s’agit « d’un piège », les CPAM profiteraient de ces rencontres pour faire reconnaître aux Idels des indus. « On est globalement dans le cadre de procédures qui ont pour objectif de ramener de l’argent aux CPAM, estime Maître Michel Grillat, avocat spécialisé dans les professionnels de santé, qui dénonce le côté “convivial” du courrier. Quoiqu’on nous en dise, les CPAM ont des objectifs financiers à atteindre et elles s’en prennent aux Idels. » Et de préciser : « Si les infirmières vont à ce rendez-vous, elles auront en face d’elles des représentants de la CPAM qui ont épluché leur dossier, leur facturation et qui ne vont pas hésiter à les mettre sur la sellette. Cette manière de faire prive les Idels du principe du contradictoire et du droit de la défense car elles ne peuvent pas se préparer aux reproches qui leur sont adressés. »

Simple rappel des règles

De son côté, l’Assurance maladie, que nous avons sollicitée au niveau national, affirme que cette démarche des CPAM ne s’inscrit pas dans le cadre des programmes nationaux de contrôle et n’a pas fait l’objet de consigne. Dans les Hauts-de-France, par exemple, « il s’agit d’une initiative à visée pédagogique et non contentieuse de la direction de la coordination de la gestion du risque et des organismes d’Assurance maladie de la région qui s’inscrit dans le cadre d’un plan d’accompagnement des professionnels de santé défini pour la région ». Cette action, déployée depuis cet été, consiste en un « accompagnement gradué » des infirmiers libéraux. Ceux-ci peuvent être conviés à un entretien présenté comme attentionné et mené par un binôme médico-administratif, ou recevoir la visite d’un délégué de l’Assurance maladie, suivant un ciblage régional. « Ces rendez-vous ont notamment pour vocation de rappeler les pratiques de prescription de soins infirmiers et de rappeler les règles de facturation et de tarifications des actes afin d’éviter certaines anomalies, entend rassurer la Caisse nationale d’Assurance maladie, mais il n’est pas prévu de récupération d’indus dans ce cadre. Celle-ci s’inscrit dans le cadre des actions de lutte contre la fraude qui suivent des “process” spécifiques. »

* La FNI, en ligne, recommande, elle, de s’y rendre, accompagnée. Et de demander les pièces du dossier pour pouvoir se défendre.

« Un délégué m’avait dit… »

Indépendamment des rencontres organisées ces derniers temps (lire ci-dessus), les relations aux caisses passent aussi, régulièrement, par les délégués de l’Assurance maladie. Mais leurs informations sont-elles toujours claires, voire fiables ? Apparemment non, à en croire ce témoignage d’un Idel de l’Ouest de la France.

« Des patients m’ont prévenu que des représentants de la Sécurité sociale étaient venus les voir pour leur poser des questions sur mes soins. J’ai appelé la CPAM pour savoir s’il s’agissait bien d’agents de chez eux et non de charlatans qui s’en prennent aux personnes âgées. On me l’a confirmé, et j’étais serein. Je n’ai pas eu de nouvelle pendant six mois… Mais, quelques jours avant Noël, j’ai reçu un appel de la CPAM. Deux personnes m’ont reçu, m’ont expliqué avoir vérifié mes factures et annoncé que j’avais un indu de plus de 150 000 euros sur trois ans. J’ai pris une grosse claque, ma vie s’est arrêtée. Ils ont quand même voulu s’assurer que je n’allais pas faire une bêtise en sortant de leurs locaux… Je suis reparti de la CPAM sans aucun document. On me reproche de ne pas avoir transmis mes démarches de soins infirmiers [DSI] ; mais je leur ai expliqué qu’un délégué de la CPAM m’avait justement dit, à un moment, d’arrêter de les envoyer et de bien les conserver en cas de contrôle. J’ai toujours fait signer toutes mes DSI et je les ai toutes conservées. Un proche m’a informé que j’aurais pu essayer me couvrir en consignant par écrit ce que le délégué m’avait dit, puis en le lui envoyant en recommandé. D’autres Idels m’ont conseillé d’appeler un syndicat. On m’a immédiatement mis en contact avec un avocat spécialisé. Lui m’a dit de ne pas m’inquiéter et m’a expliqué qu’il y avait une chasse aux sorcières vis-à-vis des infirmiers libéraux. On avait jusqu’au 15?février pour constituer les dossiers sur chaque patient. La procédure devrait durer au total un peu plus d’un an. J’ai continué à travailler après cette nouvelle mais, depuis fin janvier, je suis en arrêt car j’ai fait de l’hypertension et souffert de problèmes cardiaques. J’ai même été suivi par un psychologue. C’est difficile de travailler dans ces conditions, je me sens trahi et je suis presque dans une crise de paranoïa. En août, j’ai reçu un courrier de la CPAM me disant qu’elle abandonnait les charges sur 7 000 euros. Mais les autres dossiers sont en cours d’examen. Maintenant, j’ai des problèmes financiers car les versements de ma prévoyance ont tardé et la Carpimko ne m’a toujours rien versé. Il en découle des problèmes avec l’Urssaf. Aujourd’hui, je ne suis ni optimiste, ni pessimiste, mais je suis en train de chercher un autre travail. C’est un beau gâchis. »

Recueilli par L. M.

Contacté, le service presse de la Caisse nationale d’Assurance maladie nous a indiqué qu’il ne pouvait se prononcer sur ce dossier, étant donné qu’il s’agit d’un cas particulier.

Lucie*, Idel dans les Hauts-de-France, convoquée à une rencontre de ce type

« Un échange plus qu’un entretien »

« Par courrier, ma CPAM m’a conviée à un rendez- vous fin septembre. Cela m’a affolée, avec tous les contrôles qu’il y a aujourd’hui… J’ai décidé de m’y rendre car j’étais stressée et je voulais me libérer de tout cela. J’ai été reçue par le directeur- adjoint, le médecin-conseil et une représentante de la gestion des risques/fraudes. Je leur ai expliqué être venue accompagnée de ma collaboratrice, qui a longtemps été l’une de mes deux remplaçantes. À ce moment-là, ils se sont tous regardés et m’ont dit qu’ils comprenaient alors mon important chiffre d’affaires. En effet, j’étais la seule à facturer pour trois ! Ils m’ont ensuite questionnée sur mon nombre d’AIS, d’AMI 4 et de MCI, mais tout était justifié. Ils m’ont en effet dit que ma cotation était bien faite, tout comme mes démarches de soins infirmiers. Je leur ai aussi dit que j’avais fait deux fois une formation à la cotation. Puis nous avons plus globalement parlé de la facturation. Le rendez- vous a duré à peine moins d’une heure. Pour moi, c’était plus un échange qu’un entretien. »

* Prénom modifié à la demande de l’interessée.