Le parcours du pansement - L'Infirmière Libérale Magazine n° 339 du 01/09/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 339 du 01/09/2017

 

INNOVATION

Sur le terrain

Enquête

Anne-Lise Favier  

Dispositifs connectés, biomimétiques, avec médicaments intégrés…?Les pansements de demain se conçoivent aujourd’hui. Mais cette soif d’innovation des industriels et des chercheurs n’est pas toujours suivie d’une mise sur le marché à portée des patients.

Le traitement des plaies par l’usage des pansements représente un marché colossal de 17 milliards de dollars(1) dans le monde, et en France une enveloppe annuelle de 365 millions d’euros de remboursement par l’Assurance maladie, soit l’un des dispositifs médicaux contribuant le plus à la croissance des dépenses liées à la liste des produits et prestations(2). Dans l’Hexagone, une vingtaine d’entreprises adhérentes au Snitem (Syndicat national de l’industrie des technologies médicales) se partagent une grosse part du marché innovant du pansement. Avec chacune ses spécificités, développées au cours de l’histoire. Si l’on parle déjà de pansements dans l’Égypte ancienne – les bandelettes ne servaient pas qu’à envelopper les momies ! –, la majorité d’entre eux sont arrivés à la suite des besoins exprimés par les utilisateurs. « Dès les années 1890, l’Assistance publique a créé le corps des infirmières panseuses, retrace le Dr Thierry Le Guyadec, chef du service de dermatologie de l’hôpital d’instruction des Armées Percy. Ont suivi, le siècle suivant, le tulle gras, imaginé par Auguste Lumière, et le boom des pansements hydrocolloïdes et hydrocellulaires, boostés par la découverte de George Winter sur l’intérêt d’une cicatrisation en milieu humide dans les années 1960 »(3).

Mystère autourde la composition

Aujourd’hui, l’offre en pansements est large. En pratique, certains infirmiers peinent même à s’y retrouver. « La vraie innovation en matière de pansement ? Que les labos communiquent la composition exacte de leurs pansements, pour faire face au nombre grandissant de patients allergiques. Pour les médicaments, la composition doit être affichée clairement, mais pas pour les pansements : pourquoi ? », s’agace Magalie, infirmière libérale diplômée en plaies et cicatrisation. Même constat dans ce cabinet d’infirmiers de Lille (Nord), qui déplore le nombre croissant de patients développant des réactions cutanées. « Il serait intéressant d’avoir des pansements qui aient toutes les performances que l’on connaît mais qui ne soient pas agressifs pour le contour de la plaie », remarque Chantal, infirmière depuis plusieurs dizaines d’années. En effet, il arrive que la peau saine finisse par souffrir de dermatoses d’irritation ou eczématiformes provoquées par certains pansements. Les industriels ne doivent donc pas seulement s’attacher à développer des produits performants pour la cicatrisation de la plaie, mais aussi faire des efforts pour mettre au point des dispositifs moins irritants. La demande d’information a en tout cas été entendue par le législateur : « Un nouveau règlement sur les dispositifs médicaux va demander au fabricant de faire apparaître plus clairement les substances en contact direct avec les plaies pour plus de transparence dans leur utilisation », explique Pascale Cousin, directrice des affaires réglementaires au Snitem.

Innover, oui, mais sans oublier d’autres aspects essentiels plus classiques, serait-ce le nouveau défi à remporter pour les industriels ? Ainsi, E., infirmière en centre d’hémodialyse en Nouvelle-Calédonie, regrette que l’innovation se base sur l’aspect de la plaie : « Les pansements actuels sont tellement ciblés sur les phases de la plaie qu’il arrive de devoir en changer tous les jours. Dans le cadre de la prise en charge et de l’instauration d’une relation de confiance dans le soin, je pense que trop de diversité dans le pansement nuit au patient. Je rêve d’un pansement qui soit universel et adaptable à chaque cas… » Un rêve pas si éloigné du projet de certains industriels de proposer des pansements à composition unique afin de répondre, avec un seul dispositif, à toutes les attentes des professionnels, à une époque où le choix du pansement adéquat s’est complexifié(4).

Une galerie de l’innovation

En général, la tendance est à une action de plus en plus pointue des dispositifs. « La réflexion actuelle porte sur la performance des pansements, sur l’utilisation du silicone et d’autres composants, sur les dimensions, l’épaisseur, la capacité d’absorption, la facilité d’utilisation, voire l’aspect esthétique et le service rendu », détaille le Dr Nathalie Faucher, gériatre à l’hôpital Bichat-Claude-Bernard (AP-HP)(3). En pratique, la recherche appliquée réfléchit aux pansements de demain, qualifiés d’intelligents : actifs, ils pourront détecter l’infection d’une plaie grâce à un film sensible aux variations de température (via la dégradation de la pectine qui les compose) ou encapsuler des antibiotiques relargués dans la plaie. Aucune limite – ou presque – à l’ingéniosité avec des pansements créés à partir de toile d’araignée (pour ses propriétés de résistance et de biocompatibilité), d’autres conçus sur la base d’une feuille d’hydrogel couplée à des capteurs de température, de pression ou de pH pour déterminer l’inflammation d’une plaie, ou encore contenant des cellules souches capables de régénérer les zones lésées. Science-fiction ? Pas vraiment : plutôt un apport, dans le civil et au quotidien, des recherches les plus avancées en termes de technologies du futur, en particulier dans l’aérospatiale et l’armement. Pour preuve, les travaux de l’Agence spatiale américaine (la NASA) ont conduit à créer un pansement électro-actif qui délivre un courant électrique de faible intensité au lit de la plaie afin d’éliminer le biofilm responsable de retards de cicatrisation (sur le biofilm, relire notre numéro 334 de mars, p. 14). De son côté, la Direction générale de l’armement subventionne, à raison de plusieurs centaines de milliers d’euros chaque année, des projets de pansement, comme une compresse hémostatique, un pansement bioactif et biodégradable destiné à accélérer la cicatrisation des plaies cutanées ou de brûlure des combattants, ou encore un biomatériau servant de support pour la régénération de la peau.

Des contraintes réglementaires fortes

Reste que le chemin de l’innovation est un parcours semé d’embûches, déplore-t-on notamment du côté des industriels. Avant sa commercialisation, un pansement doit passer l’étape du marquage CE afin de répondre à la réglementation européenne (directive n° 93/42/CEE et en 2020 règlement 2017/745) par l’élaboration d’un dossier technique et clinique qui inclut une évaluation clinique du dispositif. Après leur mise sur le marché, ces dispositifs, comme tout produit de santé, seront également soumis à une surveillance continue via la matériovigilance sous l’égide de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Pour les pansements, deux possibilités : s’il existe une ligne générique sur la liste des produits et prestations remboursables dont la description correspond au dispositif, il peut être remboursé. Dans le cas d’une demande de remboursement en nom de marque, le pansement doit passer l’oral de son éligibilité au remboursement auprès de la Commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (Cnedimts), qui fait partie de la Haute Autorité de santé. « C’est cette instance qui va regarder si le dispositif médical répond au service attendu et s’il apporte quelque chose de mieux que les autres, en délivrant un niveau d’ASA(5) de 1 à 5 selon l’amélioration qu’il apporte. Cette démonstration est difficile à produire et exige des études cliniques méthodologiquement robustes et coûteuses », détaille Dorothée Camus, spécialiste de l’accès au marché au Snitem. Ces données sont ensuite transmises au Comité économique des produits de santé (CEPS), qui négocie les modalités de remboursement. D’aucuns jugent cette procédure peu incitative pour l’innovation puisque seuls le service attendu et la comparaison avec des produits déjà existants fixent les modalités de remboursement. Ce cadre réglementaire laisse donc peu de place aux produits qui se démarquent largement car ils ne seront pas plus valorisés qu’un pansement qui apporte le même service attendu.

(1) En 2016, selon MarketsAndMarkets.

(2) Ce montant remboursable en 2014 a crû de 10,5 % par rapport à 2010, selon le rapport “charges et produits” pour 2017.

(3) Propos extraits d’une rencontre organisée fin mars par le Snitem sur la cicatrisation des plaies.

(4) Livret du Snitem sur les innovations en plaies et cicatrisation, p. 14.

(5) Amélioration du service attendu (ASA).

QUESTION DE CLASSE

Le pansement étant un dispositif médical (DM), il est régi par un classement complexe qui tient compte du degré d’innovation et du “risque” lié à l’usage, et s’appuie sur différents facteurs, dont son indication, son caractère invasif ou non, sa durée d’utilisation ou encore la présence de substances. « Cette classification existe pour que la procédure d’évaluation de la conformité la plus adaptée soit utilisée pour un produit donné », explique Pascale Cousin, du Snitem. Concrètement, les pansements gras (de type tulle) font partie de la classe I, tandis que les pansements hydrocolloïdes, hycrocellulaires, hydrogels, pansements au charbon et alginates (sauf Algostéril) font partie de la classe IIb (utilisation sur peau lésée). Enfin, l’Algostéril, le Duoderm, les pansements à l’argent et ceux à l’acide hyaluronique sont de la classe III, qui caractérise les DM contenant une substance active (par exemple antibactérienne pour l’argent).

LA PARTICULARITÉ DU TPN

L’objectif du traitement par pression négative (TPN) est, par ce moyen, d’accélérer la circulation sanguine et la cicatrisation. « Pour cela, le dispositif se compose d’une console portable reliée à un soft port(1) intégré à un pansement réservoir qui recueille les exsudats », résume-t-on chez Smith & Nephew, un des leaders du marché. Ce TPN trouve son indication dans la prise en charge des plaies complexes, notamment celles avec perte de substance, ou en inflammation chronique, mais également en cas de plaies étendues ou plus longues à cicatriser. Prouesse technologique, ce dispositif complexe a été miniaturisé par Smith & Nephew(2), lauréat du prix Galien, pour plus de confort et d’autonomie du patient. Il est pour le moment uniquement utilisé en hôpital et hospitalisation à domicile.

(1) Dispositif qui permet d’éliminer tout point de pression causé par la tubulure.

(2) Dispositif PICO.

PANSEMENTS “BIOLOGIQUES” : TOUS LES GOÛTS SONT DANS LA NATURE

Si l’usage du miel dans les pansements est connu et efficace depuis longtemps pour construire un terrain favorable à la cicatrisation (lire aussi le témoignage d’un Idel inventeur, p. 65), il n’est pas le seul élément naturel à se révéler utile dans les pansements. Ainsi, la recherche clinique travaille sur des dispositifs médicaux à base de cannelle et de cellulose pour produire un principe actif aromatique qui réduit l’intensité des plaies malodorantes. Mais le plus spectaculaire concerne un essai clinique mené au Brésil sur des patients atteints de brûlures au second degré et sur la peau sur lesquelles a été appliquée de la peau de tilapia, un poisson, en guise de pansement. Préalablement lavée et stérilisée, la peau de l’animal, qui contient des protéines de collagène, favorise la régénération cellulaire et permet le maintien de la plaie en milieu humide, tout en soulageant les patients. En France, on utilise, sur le même principe, l’enveloppe amniotique, pour produire des pansements pour la cornée.