Derrière la carte postale - L'Infirmière Libérale Magazine n° 335 du 01/04/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 335 du 01/04/2017

 

SANTÉ INSULAIRE

L’exercice au quotidien

Françoise Vlaemÿnck*   Héloïse Chochois**  

Associées, Valérie Le Barbier et Florence Dugravot exercent en Polynésie française depuis treize et deux ans. Témoignage à deux voix.

« Bora-Bora, son lagon, ses eaux turquoise, ses hôtels de luxe… L’envers du décor est moins paradisiaque. La grande majorité de la population est en butte à la pauvreté. L’habitat, le plus souvent à même la terre battue, ne bénéficie d’aucun confort de base comme l’électricité ou les toilettes, et abrite des familles nombreuses. Nous sommes très vigilantes à ne pas attraper la leptospirose, mais ce n’est pas toujours aisé car on se déchausse au seuil des portes en signe de politesse. De fait, il y a énormément de cas sur l’île et, au regard des conditions de vie et d’hygiène, de nombreux Polynésiens ont des problèmes dermatologiques. La filariose est également présente et, bien souvent, on ne peut pas faire grand-chose si ce n’est des pansements de confort et de s’assurer, en cas d’ulcère, que les personnes prennent leurs antibiotiques pour parer à toute surinfection. Le rhumatisme articulaire aigu est également une pathologie relativement courante. Sans oublier les virus de la dengue, du zika et du chikungunya. Bref, en termes de santé publique, le constat n’est guère reluisant. Ici, lorsqu’une personne décède à 50 ans, on considère qu’elle a déjà bien vécu(1)

L’autre plaie de l’île, c’est l’obésité et l’obésité morbide. Il est fréquent de mettre une bonne dose de grenadine dans les biberons de bébés de deux mois… Environ 40 % de nos patients sont d’ailleurs diabétiques ou suivis pour des complications liées à un diabète. Quelques patients annoncent entre 2 et 3 g de glycémie à jeun et ne prennent ni insuline ni aucun traitement ! Au début, ça surprend…

Pour assurer la prise en charge, nous ne manquons de rien. En revanche, il est compliqué de nous former ou d’échanger sur nos pratiques. Il y a bien quelques formations à Tahiti, mais cela nécessite d’organiser un remplacement, de prendre l’avion et un hébergement. L’année dernière, un laboratoire a dépêché un infirmier spécialisé en plaies et cicatrisation avec qui on a fait le tour des patients et qui nous a conseillés. Sinon, on cherche le plus souvent les informations sur Internet. Nous accueillons aussi des étudiants en soins infirmiers, ce qui nous permet de suivre les évolutions.

Sur l’île, nous sommes quatre Idels, répartis sur deux cabinets pour quelque 10 000 habitants. La concurrence vient surtout du dispensaire, situé à Vaitape(2), puisqu’il assure pour tous la gratuité des soins et des consultations et qu’il dispose d’une équipe d’infirmières se déplaçant à domicile. Mais nous avons une patientèle fidèle. En moyenne, nous parcourons chacune une centaine de kilomètres par jour, ce qui équivaut à trois fois le tour de l’île…

Ici, difficile de succomber à la société de consommation puisqu’il n’y a quasiment pas de magasins. On vit au gré de ce que livrent les cargos de ravitaillement. Cela dit, être ici est une vraie chance. On ne se lasse pas d’admirer cet écrin quand on roule au bord du lagon.

(1) L’espérance de vie pour toute la Polynésie française était de 76 ans en 2012 ; en 2016, elle est de 79,3 pour les hommes et de 85,4 pour les femmes en moyenne en France (données Insee).

(2) Chef-lieu de l’île où vit 50 % de la population.